Intervention de Monique Orphé

Réunion du 24 avril 2013 à 13h45
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonique Orphé :

Je rappellerai d'abord le contexte de notre travail. À la suite d'un échange avec la ministre des Droits des femmes, Mme Gueugneau et moi-même avons souhaité apporter une contribution de la Délégation, en amont du futur projet de loi-cadre sur les droits des femmes qui comportera un volet violences. Il s'agit notamment d'apporter des améliorations à la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Les violences faites aux femmes constituent une réalité incontestable. Les chiffres disponibles pour évaluer et quantifier ce phénomène proviennent de l'enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France (ENVEFF) réalisée en 2000. L'enquête VIRAGE (enquête nationale sur les violences subies et les rapports de genre) décidée par le ministère des Droits des femmes devrait apporter des chiffres plus récents en 2015. Cette enquête sera réalisée sur l'hexagone en excluant malheureusement l'outre-mer pour des raisons de coût, ce qui m'a paru assez choquant. Le coût de l'enquête s'élèverait à 3 millions d'euros pour la métropole, dont 1,5 million d'euros serait pris en charge par le ministère des Droits des femmes. L'extension aux départements d'outre-mer aurait un coût évalué à 300 000 euros pour chacun d'entre eux. À ma demande, l'enquête inclura finalement la Réunion.

Les statistiques dont nous disposons pour le moment, souvent citées, témoignent d'une réalité ordinaire : 10 % des femmes sont victimes de violences au sein de leur couple, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint, compagnon ou ex-partenaire.

Les femmes handicapées semblent particulièrement concernées par les violences. L'association « Femmes pour le dire, femmes pour agir », qui représente les femmes handicapées, avance un chiffre effrayant : 70 % de ces femmes seraient concernées par les violences.

Les territoires ruraux présentent une situation particulière, caractérisée par le manque de prise en charge des personnes victimes comme des auteurs.

Le coût annuel pour la société des violences faites aux femmes a été estimé à 2,5 milliards d'euros.

En réponse à ce phénomène massif des violences, la loi de 2010 a adopté comme mesure centrale la création de l'ordonnance de protection. Celle-ci est rendue par le juge aux affaires familiales, et vise à fournir un cadre protecteur à la femme victime de violences et à stabiliser sa situation juridique.

La liste des mesures que peut prendre le JAF sur le fondement de l'article 515-11 du code civil est particulièrement complète : je vous renvoie à cet article et à notre communication pour en prendre connaissance.

La loi de 2010 a aussi créé un article 222-14-3 au sein du code pénal transcrivant la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de violences. Désormais « les violences (….) sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s'il s'agit de violences psychologiques ». Le délit de violence psychologique n'a pas encore donné lieu à jurisprudence.

Le législateur a également décidé de faire du mariage forcé une circonstance aggravante d'infractions existantes.

Par ailleurs, les associations de soutien et de défense des femmes victimes de violences ayant signalé que la médiation pénale était inappropriée dans les situations de violences conjugales, l'article 30 de la loi de 2010 a introduit dans le code de procédure pénale une présomption de non consentement à la médiation pénale pour les personnes bénéficiant d'une ordonnance de protection.

Aussi, avant le prochain projet de loi sur les violences annoncé pour 2013 par la ministre des Droits des femmes, il est opportun de s'interroger sur les possibles améliorations à apporter à la loi de 2010 et sur les points qui posent encore problème.

La question essentielle est celle de la nécessité ou non de modifier le dispositif de l'ordonnance de protection.

Aujourd'hui, avec un délai moyen de délivrance autour de 26 jours alors que ce dispositif vise à répondre à des situations d'urgence, la question se pose d'inscrire dans la future loi un délai maximal pour la délivrance d'une ordonnance de protection. Par ailleurs, la plupart des personnes entendues proposent de porter la durée de l'ordonnance de protection, actuellement fixée à quatre mois, à six mois, renouvelable une fois sans qu'il soit nécessaire de recommencer la procédure, selon une procédure de tacite reconduction.

Après avoir envisagé dans un premier temps de reconnaître le juge délégué aux victimes (Judevi) comme autorité compétente pour la délivrance de l'ordonnance de protection, le législateur a décidé de confier cette compétence au juge aux affaires familiales (JAF), ancrant cette mesure dans le droit de la famille. Certains considèrent pourtant que lorsqu'une procédure pénale est engagée, il faudrait que le juge pénal puisse aussi rendre une ordonnance de protection.

Certaines associations préconisent la suppression de la médiation pénale dans les situations de violences conjugales, en dehors de l'application d'une ordonnance de protection. La loi de 2010 nous semble néanmoins avoir trouvé une solution d'équilibre sur ce point.

Les violences au sein du couple posent enfin la question des enfants témoins et parfois aussi victimes. Longtemps a prévalu l'idée qu'un mauvais mari pouvait être un bon père. Ce postulat doit aujourd'hui être remis en cause. L'enfant témoin est toujours victime au moins à titre secondaire. Toute décision le concernant devrait toujours faire prévaloir l'intérêt de l'enfant. Dans un contexte de violences conjugales, le principe du maintien de l'exercice conjoint de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement (garde alternée) peut aussi légitimement être interrogé. L'ordonnance de protection pourrait, durant la durée de son application, entraîner une suspension de l'exercice de l'autorité parentale pour l'auteur des violences.

Pour améliorer l'application du dispositif de la loi de 2010, quelques axes pourraient être suivis.

Premièrement, l'application de l'ordonnance de protection est très inégale sur le territoire, leur nombre étant variable d'un tribunal à l'autre ; de plus, certains juges semblent réticents à recourir à ce nouvel outil. Des instructions de la part de la Chancellerie et un effort de formation sont donc indispensables pour faire « décoller » le dispositif.

Le succès obtenu par le département de la Seine-Saint-Denis dans l'application de l'ordonnance de protection indique la voie à suivre. C'est le partenariat entre les différents acteurs, la mise en réseau, qui est la clé du succès. La mise en oeuvre d'un protocole formalisant ce partenariat a permis la réussite de l'application de l'ordonnance de protection. Ces protocoles devraient être généralisés.

L'articulation insuffisante des procédures au civil et au pénal est aussi régulièrement dénoncée : la désignation dans chaque TGI d'un magistrat du parquet spécialisé dans le suivi des violences faites aux femmes doit devenir systématique et non facultative.

Deuxièmement, il est indispensable de prendre en charge les auteurs de violences et de prescrire une période d'accompagnement thérapeutique et psychologique, afin d'éviter les récidives ultérieures et de faire prendre conscience des actes commis. La question se pose d'aller plus loin en envisageant une obligation de soins ou non.

Troisièmement, il convient de prévoir l'accompagnement social des victimes par la mise à disposition de logements.

Quatrièmement, des actions de prévention et de lutte contre les stéréotypes sont nécessaires. Ainsi, les personnels médicaux qui sont susceptibles de repérer en premier lieu les femmes victimes de violences doivent être mieux informés et mobilisés dans la lutte contre ce fléau.

Enfin, la prévention des violences suppose également d'agir en amont, en luttant contre les stéréotypes sexistes présents dès l'école et en veillant aux contenus diffusés par les médias. Cet aspect apparaît également important pour modifier à moyen terme les comportements et les représentations.

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