Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 15 mai 2013 à 16h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur :

Parmi ses multiples questions, la rapporteure spéciale, Monique Rabin, a évoqué la situation des services économiques – qu'elle a récemment auditionnés. La réforme engagée en 2008 pour séparer les actions commerciales des missions régaliennes a maintenu cette mission régalienne au sein de nos ambassades, sous ma responsabilité. Ils ont néanmoins participé aux efforts de réduction des déficits exigés par la RGPP, sans trop de succès, du reste. Il n'en reste pas moins que notre appareil régalien, ainsi que notre opérateur commercial, doivent s'adapter. Il est nécessaire aujourd'hui de se concentrer sur les priorités. Ainsi, 61 à 62 % des moyens des services économiques sont affectés dans les pays identifiés pour être en croissance ou présenter des couches moyennes de population capables d'absorber nos produits de consommation courante. En effet, sur un chiffre de 440 milliards d'euros en 2012, seuls 7 % de notre commerce extérieur résultent de grands contrats. Le reste correspond à du « commerce courant ». C'est sur ce créneau que sont positionnées nos PME et nos entreprises intermédiaires. C'est là où nous devons porter nos efforts.

Nos concurrents, notamment les pays qui ont mené des réformes de compétitivité à temps, et en particulier l'Allemagne qui a su également conserver toutes ses machines-outils, se sont trouvés en phase avec la très forte demande des grands pays émergents voulant s'industrialiser, alors que nous n'étions plus capables d'y répondre. Ainsi, dans mes visites en France et à l'étranger, je vois des machines allemandes, suédoises, italiennes, japonaises, mais très peu françaises pour faire tourner les usines. Un de nos enjeux structurels est le réarmement de notre tissu productif – un travail qui relève de mon collègue ministre du Redressement productif.

Quoi qu'il en soit, ces services économiques sont en cours de redéploiement. Ainsi, la conférence des donateurs du Mali se réunit aujourd'hui et nous avons décidé d'ouvrir un poste à Bamako, ou plus précisément de déplacer un poste initialement situé au Sénégal, conformément à notre priorité politique de soutenir ce pays dans son futur développement. De même, a été créé l'an dernier un poste d'opérateur d'Ubifrance en Birmanie, au moment de l'ouverture de ce pays, même s'il n'est pas un marché traditionnel pour notre pays ; mais il est nécessaire d'être dans les premiers installés pour avoir une chance d'être identifiés. Il faut de la réactivité, en fonction non seulement des priorités économiques mais aussi des priorités politiques.

A aussi été souligné le problème de la lisibilité des opérateurs. Mes services mènent une évaluation sur ce sujet. Une étude parlementaire est également réalisée en parallèle sur cette question. Elle doit déposer ses conclusions peu avant mes propres travaux ; ma présentation au Premier ministre en tiendra compte.

Je soutiens par ailleurs la mobilisation de nos « ambassadeurs » du ministère des Affaires étrangères pour défendre l'influence de la France. Le Président de la République et le Premier ministre souhaitent que la diplomatie économique se développe. Mais elle exige effectivement une bonne coordination avec mes services qui assurent au quotidien le travail de terrain. Nous devons déployer le volet économique avant tout déplacement du Président à l'étranger pour s'assurer sinon de résultats immédiats en termes de contrats, du moins que le terrain a bien été déblayé.

Quant à la stratégie « pays-produits », elle est fondamentale. Notre analyse, avec la direction générale du Trésor, est que la demande mondiale se concentrera davantage sur certains pays, en Asie, mais aussi en Afrique – non pas sur les terrains traditionnels de la France, mais plutôt en Afrique de l'Est, comme le Kenya où je me suis rendue ou le Nigéria où j'irai en juillet, soit les pays où se trouve la croissance. Nos entreprises doivent pouvoir y être accompagnées, parfois précédées. Si la France a raté la première phase de la mondialisation faute d'appareil industriel adapté face à la montée des grands pays émergents, je suis convaincue qu'elle peut s'inscrire dans la deuxième phase. La Chine, par exemple, a pour objectif de doubler le revenu moyen par habitant dans une période très rapprochée. Elle anticipe donc la pression de sa demande intérieure et les attentes des classes moyennes en biens de consommation. Les quatre « familles » que j'ai précédemment évoquées peuvent prospérer dans un tel contexte. C'est aussi vrai dans les marchés développés ; je le montrerai quand je répondrai aux questions sur le projet d'accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis.

Dans ces couples « pays-produits », j'ai installé quatre « fédérateurs », un par « famille », car la France, pays d'ingénieurs et d'innovation, doit dépasser une certaine difficulté : il ne s'agit pas seulement d'organiser la rencontre de nos entreprises, nos grands groupes et nos PME, avec les autorités des pays que nous visitons – ce que tout le monde a fait avant nous. On ne peut se contenter de présenter nos produits comme les meilleurs du marché, sans faire l'effort de comprendre la demande du pays. On ne vend plus seulement un produit industriel mais tout un service autour. L'internationalisation des entreprises s'est substituée à une démarche d'export simple. Plusieurs grands pays émergents – mais c'est également vrai de pays comme la Pologne – vous imposent un « ticket d'entrée » : le bon produit certes ; il peut se vendre plus cher si la qualité est au rendez-vous. Mais ils demandent aussi ce que nous faisons pour leur tissu local, car tous se préoccupent de créer des emplois, surtout si leur population est jeune et dynamique ; ils peuvent demander des transferts de compétences, de savoir-faire, jusqu'à des transferts de technologie. Il faut désormais accepter qu'un client puisse devenir un futur concurrent ; ce n'est pas un jeu perdant si nous conservons la meilleure part de la valeur ajoutée. Quand on est capable d'innover, on est capable d'exporter. Il importe donc de conserver une avance en matière d'innovation. Dans le même temps, les fédérateurs ont la tâche de vérifier que notre offre est en phase avec la demande, parce que, dans le passé, nous avons perdu des marchés par excès de confiance. Or, il ne suffit plus d'être sûrs de la valeur de nos produits.

En tout état de cause, la performance à l'exportation, la capacité à aller au devant des marchés permet de créer des emplois dans notre pays. Ne brandissons pas la menace de la délocalisation ; il faut parfois trouver un partenaire commercial dans le pays d'accueil, s'internationaliser pour mieux exporter et être plus attractif sur notre propre territoire. Ce n'est pas toujours aisé à expliquer, mais facile à démontrer statistiquement.

S'agissant des pôles de compétitivité, qui relèvent d'abord de la compétence du ministre du Redressement productif, je soulignerai au préalable le handicap que représente pour nos entrepreneurs leur tendance à se présenter en individuel, même s'ils sont très bons, et leur difficulté à proposer une offre unie, quitte à taire leurs différends. Cette offre à l'unisson est une des forces de l'Allemagne grâce à une organisation mise en place depuis cent cinquante ans. Les fédérateurs ont donc un rôle à jouer pour rassembler nos entreprises tout en vérifiant que leur offre est adaptée aux marchés. Les pôles de compétitivité sont également utiles, même s'ils sont un peu lents à devenir opérationnels. Ces organisations sont une réussite qu'il faut mettre au crédit des précédents présidents et gouvernements. Néanmoins pour obtenir des résultats, elles doivent se doter d'une capacité internationale opérationnelle – que certains pôles ont réussi à atteindre.

Éric Woerth s'interroge sur l'utilité d'un ministre du Commerce extérieur ; je ne me pose pas la question. J'ai déjà évoqué l'effet macroéconomique de ma fonction au début de ma présentation.

Quant à la structuration « produits-filières », j'observerai que deux modèles coexistent : le modèle anglo-saxon conjugue commerce et politique à l'occasion des déplacements diplomatiques des gouvernants. Ce n'est pas la tradition française, ni la tradition européenne. Le second modèle associe industrie et commerce extérieur. Il a, pour moi, un vrai sens si l'on veut mettre l'accent sur l'industrie, l'innovation, le redressement du tissu productif. Ce n'est pas non plus le schéma français, mais il ne m'effraie pas.

Les VIE, évoqués par certains d'entre vous, sont des jeunes formidables et très utiles aux entreprises auxquels ils sont rattachés. Souvent, ils montent même ensuite leurs propres entreprises ou développent, plus souvent encore, des marchés. Cette expérience est une réussite à 80-85 %. Les VIE sont donc une priorité que le Pacte national de compétitivité veut augmenter de 25 %. Les régions y contribuent quand elles participent à leur financement ; mais elles le font encore insuffisamment. Il faut les démultiplier dans le monde, et les encourager à s'adresser davantage aux PME et ETI. J'ai, de mon côté, confié une mission de tutorat aux conseillers du commerce extérieur afin que les jeunes volontaires ne s'en tiennent pas seulement aux grands groupes.

Pour ce qui est du rôle des régions, le prochain projet de loi de décentralisation leur attribue enfin une compétence internationale, les désignant par ailleurs comme chefs de file du développement économique de leur territoire. Je l'ai vérifié encore récemment. Ces collectivités me semblent le niveau d'intervention pertinent. Elles participent déjà au développement de notre commerce extérieur par leurs fonds d'investissement, avec des performances diverses, quelques-unes apparaissant toutefois comme des moteurs. Tout en respectant le principe de la libre administration des collectivités territoriales, je leur ai demandé de me fournir un plan régional pour l'internationalisation des entreprises, qui sera intégré à leur schéma régional, afin d'assumer leur futur rôle de pilote, en concertation avec les acteurs locaux, notamment les chambres de commerce. La moitié devrait être finalisée d'ici l'été.

Annick Girardin a évoqué la question de la négociation des accords de libre-échange, en particulier la proposition de la Commission européenne, qui est effectivement fondamentale. La Commission exerce sa compétence, européenne, en matière de politique commerciale ; or, l'actuelle Commission achève son mandat. La composition de la future Commission revêt donc une importance essentielle. Il s'avère que la Commission actuelle ferait un succès personnel de l'obtention d'un mandat de négociation les 14 et 15 juin, lors du Conseil des ministres du Commerce extérieur.

Je me suis rendue aux États-Unis pour apprécier l'intérêt que l'on y porte aux négociations commerciales ainsi que pour consulter les entreprises françaises présentes sur place. Cette démarche n'est pas sans utilité. Je rappelle qu'à l'occasion d'un déplacement au Japon où nous avions obtenu la protection du secteur automobile, j'avais moi-même obtenu un succès, certes symbolique, mais un succès quand même : la réouverture du marché japonais aux importations de viande bovine française, importations interdites par le Japon depuis la crise de la « vache folle ».

L'exception culturelle constitue, à n'en pas douter, un sujet symbolique. Depuis 1994, les services audiovisuels sont exclus des négociations commerciales de l'Union européenne alors que les États-Unis s'intéressent prioritairement au piratage sur Internet, pour lequel ils souhaitent un accord avec l'Union européenne. La question de l'exception culturelle ne nous sépare pas de la Commission européenne ; c'est la tactique de négociation à adopter qui nous oppose. En effet, la Commission européenne évite toute posture d'exclusion au départ des négociations : les problèmes ainsi éludés finissent par resurgir. L'exemple des négociations avec le Canada est là pour nous rappeler l'intérêt de mettre dès le départ les questions essentielles sur la table. En effet, la tactique de la Commission a eu pour effet le blocage des négociations avec le Canada depuis cinq ans.

Lors du Conseil informel de Dublin, j'ai constaté que le Royaume-Uni a souhaité l'exclusion des marchés de défense des négociations, avec notre accord et le soutien de la Suède. L'Allemagne ne veut en aucun cas d'un volet sur le règlement des différends entre États et investisseurs. Je sais que les États-Unis demanderont, pour leur part, une exclusion des services financiers.

Mon point de vue est de ne pas accorder de mandat de négociation à la Commission si le mandat actuel n'est pas modifié. Le mandat de négociation que la Commission doit présenter dans un mois doit être compatible avec les intérêts des entreprises européennes comme avec ceux des États-Unis. En effet, les États-Unis et l'Union européenne représentent 40 % du commerce mondial et un accord, difficile à obtenir, avec les États-Unis aurait un effet structurant sur le commerce mondial, notamment en matière de droit du travail et d'environnement. Les États-Unis sont rétifs devant la perspective d'un accord commercial mais il serait intéressant de développer un partenariat équilibré avec eux sur la base d'ambitions communes et de bonnes relations. Le contre-exemple est l'Accord de libre-échange nord-américain – ALENA –, signé au détriment du Mexique.

Les États-Unis sont importants pour une autre raison : ils assurent avec l'Europe les deux tiers de l'innovation. Je suis donc favorable à une négociation constructive sur des bases clairement posées.

Par ailleurs, je serai très attentive à l'avis que doit donner le Parlement européen la semaine prochaine, en application du traité de Lisbonne. Il s'agit d'un avis non contraignant mais qui est attendu et qui sera intéressant. Je m'interroge également sur l'opportunité qu'il y a de la part de la Commission européenne à engager des discussions sur le volet commercial compte tenu de la croissance du sentiment anti-européen.

Patrick Lebreton a attiré mon attention sur la concurrence exercée par les grands émergents et également Maurice. L'Union européenne doit défendre les intérêts des départements d'outre-mer qui sont compris dans son espace politique et économique. Les grands émergents peuvent effectivement adopter des pratiques déloyales, contraires aux règles de l'OMC à laquelle ils adhèrent. Une action est donc à mener avec la Commission européenne pour traiter ce problème. Enfin, pour ce qui est de l'opportunité de mettre en place des dispositifs fiscaux spécifiques, je n'ai pas d'opinion à exprimer en tant que ministre du Commerce extérieur.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion