Je veux en préambule me réjouir des propos tenus par Jean-Yves Le Déaut. Durant la vingtaine d'années que j'ai eu à m'occuper de ce dossier à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, nous avons travaillé de concert, majorité et opposition, selon les périodes. J'ai travaillé avec Bruno Sido, avec Jean-Yves Le Déaut, Claude Birraux, Henri Revol et avec le regretté Robert Galley. En dépit de nos sensibilités politiques différentes, sur ce sujet, nous nous sommes toujours rejoints. Au contraire de ce journaliste, je me réjouis que dans ce pays puisse exister une unité de vue sur des dossiers qui nous projettent loin dans le futur, tels ceux de la filière nucléaire, des déchets radioactifs, de la politique de défense ou internationale. Si je suis ce dossier depuis plus de vingt ans, aujourd'hui, par le jeu des circonstances, je n'aurai pas cinq minutes de plus à lui consacrer après mon intervention, puisque j'auditionne sur le sujet des gaz et huiles de schiste, tout aussi controversé que celui des déchets radioactifs.
Je vais revenir très rapidement sur le rapport d'évaluation du précédent plan que nous avons publié, avec Claude Birraux, le 19 janvier 2011, afin de rappeler nos conclusions et nos recommandations concernant les deux sujets dont nous traitons aujourd'hui : la séparation-transmutation et les déchets de faible activité à vie longue.
D'abord sur la séparation-transmutation, l'un des trois axes de recherche définis par la loi sur les déchets radioactifs de 1991 et repris par celle de 2006, je rappelle qu'elle vise à réduire le risque pour les générations futures, en éliminant directement les radio-éléments les plus nocifs. Paradoxalement, ce processus de physique nucléaire extrêmement avancé, fait partie de l'argumentaire anti-nucléaire. Certains esprits avant-gardistes annoncent une énergie nucléaire du futur sans déchets qui rendrait obsolètes les centrales nucléaires actuelles. Faut-il préciser qu'il s'agit là d'une illusion ? Toute activité industrielle, quelle qu'elle soit, ne peut faire autrement que de produire des déchets. Plus sérieusement, la transmutation doit, avant tout, être vue comme un moyen de diminuer les émissions radioactives et de chaleur des déchets les plus nocifs. Le gain se traduira par une réduction de la taille du stockage géologique profond, donc de son coût, et par une décroissance plus rapide de la radioactivité des déchets stockés. La faisabilité de la transmutation a été scientifiquement démontrée. Bien que nous n'ignorions pas toutes les difficultés pratiques que pose son industrialisation à grande échelle, nous avons, avec Claude Birraux, estimé que ces obstacles ne doivent pas conduire à une remise en cause de l'objectif de long terme de la séparation-transmutation. A fortiori cet objectif de long terme ne saurait être remis en cause par des calculs économiques à courte vue.
Aussi, avons-nous formulé plusieurs recommandations visant à garder à la transmutation toute sa place au coeur des réflexions sur le développement des réacteurs de quatrième génération. Nous avons notamment demandé que le rapport sur l'évaluation des perspectives industrielles des filières de quatrième génération, que le CEA a remis à la fin de l'année dernière au Gouvernement, présente un échelonnement des solutions possibles de transmutation, en fonction des gains attendus et des difficultés estimées et, de plus, que ces solutions de transmutation fassent une place à des conceptions industrielles innovantes de recyclage des déchets de haute activité. Nous avons également estimé que les recherches sur les réacteurs de quatrième génération devaient résolument tirer le meilleur avantage de la coopération internationale, pour mutualiser les coûts et préserver l'objectif de la transmutation. Dans la première table ronde, M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA, nous présentera ce dossier d'évaluation et nous pourrons donc vérifier si ces recommandations ont été prises en compte.
Ensuite, sur le stockage des déchets FAVL, je rappellerai d'abord que la France est l'un des premiers pays à s'être doté de centres de stockage pour ses déchets radioactifs à vie courte: dès 1969 pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs, et en 2004 pour ceux de très faible activité. La France s'est également préoccupée très tôt, avec la loi de 1991, des déchets radioactifs à vie longue. Malheureusement, en 2009, le projet lancé par l'Andra pour trouver un site destiné au centre de stockage des déchets de faible activité à vie longue a tourné court. Après avoir auditionné les principaux intervenants, nous avons constaté que ce dossier a d'abord été traité par le Gouvernement dans la précipitation, pour recueillir les candidatures des communes, et qu'ensuite il a tergiversé pendant 8 mois pour faire un choix. Ce délai injustifiable de 8 mois a été mis à profit par des militants antinucléaires, pour obliger les élus locaux à revenir sur leur décision initiale, avec des méthodes parfois contestables. De plus, les élus concernés n'ont bénéficié d'aucun soutien de l'État, bien qu'il s'agisse d'un dossier d'importance nationale.
Après avoir, approuvé la démarche de redéfinition et de rééchelonnement engagée pour pallier les difficultés rencontrées, nous avons, là aussi, formulé plusieurs recommandations. Tout d'abord, nous avons réaffirmé que les difficultés politiques rencontrées ne devaient en aucun cas conduire à transiger sur les critères scientifiques de choix du ou des futurs sites. Ensuite, nous avons indiqué que la concertation sur le choix d'un site de stockage pour les déchets FAVL doit être menée en impliquant non seulement la ou les communes directement concernées, mais aussi les Conseils généraux, voire régionaux. Enfin, nous avons rappelé que, de toute évidence s'agissant de projets d'intérêt national, l'État doit une protection et un soutien spécifiques aux responsables des collectivités locales qui apportent leur concours à la politique nationale de gestion des déchets. La deuxième table ronde nous permettra de faire le point sur les progrès réalisés par l'Andra, depuis début 2011, dans sa démarche de mise en place d'une filière adaptée à cette catégorie de déchets radioactifs. Comme l'a indiqué Jean-Yves Le Déaut, cette table ronde doit aussi être l'occasion de clarifier les enjeux sur les déchets bitumés. Je serai, je tiens à le dire, comme mes deux collègues, particulièrement vigilant sur le fait que l'intérêt collectif, qui exige de donner la priorité à la sûreté, ne soit pas mis à mal pour de simples questions d'opportunité de court terme. Car au final, comme le prévoit la loi, et comme l'a rappelé Jean-Yves Le Déaut, c'est bien la représentation nationale qui aura le dernier mot sur le stockage géologique profond, puisque l'Office parlementaire aura à se prononcer à ce sujet et qu'un rendez-vous législatif est d'ores et déjà fixé en 2015.