Je vais vous présenter les travaux conduits par le CEA avec l'ensemble de ses partenaires : le CNRS, les universités et l'Andra, ainsi que, sur un certain nombre d'aspects, avec EDF et AREVA. Je suis accompagné de MM. Bernard Boullis et Christophe Béhar. Ensemble, nous répondrons à vos questions.
Les travaux que nous avons menés, dans le cadre défini par la loi du 28 juin 2006, sont conduits en relation avec ceux prévus par la loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique, sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires ainsi que sur les réacteurs dédiés à la transmutation des déchets pilotés par accélérateur (ADS - Accelerator Driven System), afin de disposer, en 2012, d'une évaluation des perspectives industrielles de ces filières. Le décret PNGMDR en précise les échéances. Nous les avons respectées, puisque nous avons remis ce dossier en temps utiles, comme cela nous avait été rappelé à deux occasions au sein de réunions du Comité à l'énergie atomique. Les enjeux, décrits en détail dans les cinq tomes aujourd'hui publiés sur le site du CEA, sont notamment de réduire, pour les déchets radioactifs de haute activité, les rayonnements et particules nocives ou létales pour les systèmes biologiques et la chaleur qui accompagne ces rayonnements.
Le cycle du combustible mis en oeuvre aujourd'hui intègre un recyclage du plutonium dans les combustibles de la filière des réacteurs à neutrons thermiques. Il est dénommé cycle fermé par abus de langage, puisqu'il comporte un entreposage des combustibles usés, avec notamment un flux annuel d'environ une dizaine de tonnes de Plutonium pour l'ensemble du parc, en une décennie cent tonnes de plutonium sont ainsi accumulées. Une première réduction de cet inventaire est effectuée par recyclage du plutonium dans les MOX, permettant une diminution de 30 % environ de ce flux. L'objectif serait d'envisager une réduction plus complète de l'inventaire de plutonium et d'actinides mineurs en mettant en oeuvre le seul système véritablement efficace: des réacteurs à neutrons rapides, dits de IVe génération. Ces réacteurs présentent l'intérêt, au-delà du multi-recyclage du plutonium, d'ouvrir une possibilité de multi-recyclage de l'uranium des combustibles usés et de valorisation des stocks d'uranium appauvri, à ce jour de 270 000 tonnes et, au rythme actuel, de 500 000 tonnes en 2040. Ils permettent d'envisager un nucléaire multiséculaire, perspective justifiant les recherches menées qui visent à un recyclage systématique des matières, uranium et plutonium, au sein d'un système permettant d'en tirer le meilleur parti.
Le programme de recherche correspondant comporte trois axes. Le premier consiste à aller aussi loin que possible dans le développement des technologies de multi-recyclage du plutonium et de l'uranium, en commençant par la séparation, et ensuite à développer la capacité à produire des combustibles utilisables dans les nouveaux réacteurs. Le deuxième, une fois cette technologie acquise, vise à mettre au point un réacteur à neutrons rapides (RNR) qui satisfasse les exigences fixées à la IVe génération, notamment en termes de sûreté. La sûreté de ces réacteurs ne saurait être inférieure à celle que nous connaissons aujourd'hui sur les réacteurs à neutrons thermiques de IIIe génération. Le troisième axe concerne l'optimisation économique qui passe par une opérabilité efficace.
Au-delà du multi-recyclage incontournable du plutonium, une optimisation est recherchée pour les actinides mineurs, notamment l'américium. La séparation-transmutation est une opération complexe qui nécessite la récupération des éléments d'intérêt. Elle met en oeuvre le recyclage en réacteur, en mode homogènes ou hétérogènes. Il s'agit soit d'une répartition homogène des actinides mineurs dans l'ensemble des combustibles, soit, au contraire, dans une fraction de ces combustibles ou dans des strates dédiées. Voilà les éléments qui ont été, de mon point de vue, validés aujourd'hui au niveau du laboratoire. Les progrès accomplis sont multiples. Nous avons développé des étapes complémentaires au procédé actuel de retraitement, permettant de récupérer les actinides mineurs, en complément de l'uranium et du plutonium, de nouvelles molécules extractantes, plus sélectives et plus résistantes au rayonnement, et des procédés mettant en oeuvre ces molécules. Trois options de séparation ont été retenues : des actinides mineurs pris un à un, avec le procédé SANEX, des actinides groupés, avec le procédé GANEX, ou, au contraire, uniquement de l'américium, avec le procédé EXAM. Tous ces concepts ont pu être testés en laboratoire, sur des combustibles usés réels, à l'échelle de plusieurs kilos, avec des technologies représentatives de ce que l'on peut imaginer pour un procédé industriel. Mais pour les procédés de fabrication des combustibles, nous en sommes plutôt actuellement à des dizaines de grammes.
D'autre part, des tests sur la faisabilité de la transmutation ont été réalisés. Une des possibilités est le « once through » ou « passage unique » : un combustible contenant des actinides mineurs est laissé en réacteur, aussi longtemps que possible. Nous n'avons constaté dans cette configuration qu'une réduction minime, assez éloignée de l'objectif, de ces actinides. Par conséquent, nous ne recommandons pas cette option. Une autre option est celle du recyclage homogène. Des travaux ont été réalisés à l'échelle d'aiguilles dans le réacteur PHENIX, avant son arrêt. C'est une solution envisageable. L'option du recyclage hétérogène n'a pas été développée de manière aussi avancée, en l'absence de réacteur à neutrons rapides avec des flux suffisants, les travaux ne peuvent, pour le moment, pas progresser de manière très significative. Enfin, des travaux ont été réalisés sur les combustibles destinés aux ADS.
Les études technico-économiques demandées ont été conduites avec l'ensemble de nos partenaires. Les critères considérés sont les suivants : les flux, l'incidence sur les installations, les conditions d'entreposage et de stockage, la radioprotection et tout ce qu'elle implique au niveau des travailleurs concernés, les aspects directement économiques, et les risques industriels associés à différentes options. La conclusion majeure, unanime je crois, est que le recyclage du curium présentant des difficultés beaucoup trop importante, ne doit pas être envisagé. L'estimation des surcoûts, avec toutes les précautions qu'il convient de prendre à ce stade de la réflexion et de l'analyse, est dans la gamme des 10 % du coût moyen actualisé.
Une différence essentielle entre les combustibles usés de type UOX et les MOX issus des REP ou des RNR, concerne l'énergie susceptible d'être extraite. Au bout de 5 ans, l'augmentation de la part des actinides mineurs dans les MOX est double de celle dans les UOX. Plus le temps de refroidissement des MOX usés est prolongé, plus la part d'américium augmente de façon significative. Pour l'éliminer, la transmutation est donc une nécessité. La transmutation de l'américium seul dans un coeur de réacteur double la puissance thermique en situation homogène et la quintuple en situation hétérogène. Ces effets thermiques doivent être pris en considération. L'un des deux bénéfices de la transmutation réside dans la réduction des émissions radioactives, mais les actinides mineurs et le plutonium étant peu mobiles dans un stockage géologique doté d'un bon confinement, ce facteur ne modifiera pas la radioactivité résiduelle à l'exutoire. La transmutation permet par ailleurs une réduction thermique significative, susceptible de réduire l'emprise du stockage géologique profond dans l'argile. Le traitement de l'ensemble des actinides mineur permettrait une réduction de la surface d'un facteur dix, celui de l'américium seul une réduction d'un facteur huit.
La conclusion nous semble assez claire. C'est la nécessité de mettre au point et de valider à l'échelle industrielle les procédés performants de séparation des actinides mineurs, qui ont été étudiés dans la période 2006-2012. Nous avons pu procéder à des expériences de séparation-transmutation mettant en évidence les orientations à retenir, même si les conclusions ne sont pas définitives. Un travail important reste à mener pour passer à une phase industrielle. Les études technico-économiques menées en partenariat avec EDF et AREVA ayant montré que le recyclage du curium conduirait à des difficultés très importantes, nous l'écartons. Le recyclage de l'américium, qui constitue de notre point de vue le seul objectif à retenir, demande encore énormément de travail pour être complètement qualifié, l'étape première étant la démonstration du multi-recyclage du plutonium.
C'est le sens du projet de réacteur à neutrons rapides, appelé ASTRID. Le choix a été fait de donner une priorité à l'effort sur ces réacteurs à neutrons rapides à caloporteur sodium, comme élément de référence au vu des données déjà accumulées et des potentialités que recèle cette technologie. Mais il ne s'agit pas d'abandonner la perspective de réacteurs à neutrons rapides refroidis au gaz, dont les études sont menées en partenariat par un consortium de pays d'Europe centrale, auquel le CEA apporte son concours. Des paramètres ont été définis concernant le démonstrateur technologique ASTRID: une puissance de 600 MW, un choix d'iso-générateur, c'est-à-dire qu'il produira autant de plutonium qu'il en aura été introduit, un objectif de représentativité industrielle sur les options de sûreté, celles-ci ayant été confortées par le choix d'un coeur particulièrement innovant que je détaillerai si nécessaire, et un dispositif d'évacuation de la puissance, donc de conversion de l'énergie, qui pour le moment n'est pas définitivement arrêté mais que nous souhaiterions particulièrement innovant avec la conversion à gaz. A ce stade, le planning d'ASTRID est entaché de très lourdes incertitudes. Dans le meilleur des cas, en mobilisant tous les moyens humains et financiers, une divergence pourrait intervenir en 2025, soit 5 ans après l'objectif initial de 2020. Nous envisageons un développement très progressif de tels réacteurs, sans l'objectif d'une compétitivité économique avec les réacteurs classiques, en considérant leur apport au fonctionnement global du parc, notamment par l'optimisation du cycle et de la gestion des combustibles usés, en particulier du plutonium. Ce travail se développe dans un cadre international, au sein du forum international Génération IV, ouvrant des perspectives de coopération active, avec la Russie en particulier, mais aussi la Chine et l'Inde, pays qui disposent de programmes comparables et sont intéressés à collaborer étroitement avec nous. Dans ce contexte, la France dispose d'atouts, en particulier dans sa maîtrise des technologies du cycle.