Intervention de Yannick Rousselet

Réunion du 21 mars 2013 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Yannick Rousselet, Greenpeace :

- Je me trouve en situation un peu difficile puisque ni France Nature Environnement, ni Monique Séné ne sont présents. Sur cette question de la transmutation, je ne vais pas essayer de concurrencer le savoir du CEA, ni ses compétences, car nous ne sommes, entre guillemets, qu'une association, et nous n'avons pas les moyens d'aller regarder ce que vous faites dans le détail. Il n'y a pas de contre-expertise réellement possible dans ce domaine. C'est une difficulté pour nous. Voilà le préambule que je souhaitais faire.

Le plus marquant dans cette notion de génération IV et de transmutation, est qu'on nous la présente souvent, à nous citoyens, comme une chose quasi acquise, quasiment établie. La voie est toute tracée. Nous le voyons régulièrement, notamment dans le groupe de travail sur Cigéo, au sein du Haut comité : nous nous sortons d'à peu près toutes les situations par la future génération IV. Il paraît difficile de comprendre la réelle cohérence de tout cela. Par exemple, vous expliquiez tout à l'heure que si nous stockions les MOX, il y aurait production d'américium 241, ce qui représenterait évidemment un problème. Je pourrais retourner le problème, en soulignant qu'extraire, comme à l'heure actuelle, le plutonium conduira, avec le temps, à un plutonium à forte teneur en américium 241. Il conviendrait de s'interroger sur la cohérence de ce système qui conduira à devoir retirer de nouveau l'américium. Ce n'est qu'un exemple. Nous comprenons mal cette volonté de retraitement d'une partie des combustibles, avec une zone tampon d'entreposage dans les piscines de La Hague, qui finalement continue d'augmenter, puisque le contrat d'EDF avec AREVA pour le retraitement est inférieur à ce qu'il extrait de ses réacteurs. Nous sommes donc face à un système ambivalent avec, d'un côté, une volonté affichée de retraitement, mais de l'autre une part non traitée augmentant en permanence, avec une particularité : comme les MOX ne sont pas retraités, leur proportion dans les piscines augmente d'une manière notoire par rapport aux UOX retraités. Cela conduit à s'interroger sur la cohérence entre ce choix affiché de retraiter le stock, d'environ 60 à 64 tonnes de plutonium, et EDF qui affirme ne pas pouvoir consommer plus de plutonium, étant arrivé au maximum de consommation de MOX dans ses réacteurs. Cela implique qu'il est impossible de retraiter d'avantage. Nous sommes dans une situation que nous percevons comme bancale, incohérente.

Il nous est dit que seule la voie du retraitement est bonne, que seule la génération IV est bonne, mais finalement, des incohérences demeurent. J'insisterais là-dessus, car si pour le public lambda ces questions sont obscures, pour ceux qui s'y intéressent, il semble très difficile de faire la part entre la vision de l'esprit, la recherche à laquelle nous ne sommes pas opposés, car il est bien clair que nous ne sommes pas opposés à la recherche fondamentale, les évolutions techniques réelles, dont vous nous avez parlé, et les choix politiques. Tout cela mis ensemble, même si vous nous dépeignez un tableau qui semble cohérent, nous apparaît vraiment très mitigé entre ces différentes options. En particulier vous parliez des différents facteurs pris en compte : si nous regardons l'évolution économique, la situation du monde, de nos finances françaises, j'ai du mal à voir où nous allons en termes de capacité sur ce type de réacteur, puisque nous connaissons déjà de vraies difficultés sur les coûts pour la génération III. Il convient de vraiment s'interroger sur ce que nous allons faire, car nos ressources financières ne sont pas un puits sans fond. De véritables choix seront nécessaires.

En ce qui concerne le choix sodium, nous sommes également un peu dubitatifs. Nous avons énormément travaillé en France sur cette filière, ce qui nous conduit à dire : c'est celle-là la bonne. Pour nous le sodium a tellement d'inconvénients qu'il nous semble délicat de continuer sur cette piste quasi-unique. Surtout si l'on présente la génération IV comme la porte de sortie à l'utilisation de l'URT, de notre stock de plutonium, etc. Finalement, nous sommes dans une espèce d'impasse où l'on nous dit : de toute façon nous n'avons pas le choix. Cela va marcher. Il faut que cela marche, parce que sinon tous nos arguments sur la séparation ne tiennent plus. Ce sont avant tout ces questions qui nous préoccupent. Elles nous paraissent obscures. Il est difficile de faire la part des choses entre ces différents critères, et nous n'arrivons pas pour le moment, tel qu'on nous présente les choses, à y croire, sur le plan technologique et économique. Je ne sais pas si le mot croire est adapté, mais en tout cas, l'on ne nous a pas encore convaincu, comme je l'ai déjà dit pour Cigéo. L'ensemble de tout cela nous semble fumeux, c'est le terme le plus entendu dans ce que l'on peut appeler les organisations critiques. Surtout, nous avons l'impression d'être emmenés dans une voie qui va coûter extrêmement cher et dont la démonstration de sûreté pour le moment ne nous semble pas du tout acquise. Les différentes expériences dans le monde sur l'utilisation du sodium ne sont pas toutes convaincantes, c'est le moins que l'on puisse dire. Je voudrais citer, par exemple, l'évènement de Monju et un certain nombre d'expériences. Nous pouvons avoir de sérieux doutes sur l'utilisation du sodium.

Je rappelle une position de principe de notre organisation, puisque je suis là pour cela : nous sommes opposés à la séparation, au retraitement tel qu'il est fait aujourd'hui. Nous considérons que cela amène beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages. Nous sommes sur une position d'opposition au retraitement, et en tout état de cause les débouchés proposés par rapport au retraitement, ne sont pas suffisamment établis, ni suffisamment clairs. Évidemment, un jour, si tout cela fonctionne, dans une grande démonstration de sûreté et d'innocuité pour l'environnement, nous pourrons nous reposer la question de la séparation. Si nous sommes opposés au retraitement, nous ne le sommes pas à la recherche fondamentale. Une difficulté réside dans la puissance d'ASTRID : 600 MW. Nous ne sommes plus là dans la recherche, mais dans la construction d'un prototype industriel. En d'autres termes, nous avons du mal à voir la limite entre l'engagement vers une filière industrielle, qui apparaît comme une sortie d'un point de vue politique, et la pure recherche. Il est vrai que vous allez nous expliquer avoir absolument besoin de ce réacteur pour avancer. Pour le moment, je n'arrive pas à me convaincre du caractère indispensable d'une puissance de 600 MW, ni d'un refroidissement au sodium, sachant que nous avons de nombreux retours d'expériences sur cette question du sodium.

Je pense avoir résumé notre position : pas d'opposition à la recherche, mais refus du retraitement tel qu'il est pratiqué. La raison principale en est qu'il s'agit d'un processus extrêmement polluant. Nous discuterons évidemment de l'impact des usines. Mais pour nous ces procédés génèrent un volume de déchets important, en plus de ceux qui existent sous d'autres formes.

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