Intervention de Olivier Sidler

Réunion du 4 avril 2013 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Olivier Sidler, ingénieur énergéticien, vice-président de NegaWatt :

Je voudrais rappeler pour commencer que l'association NégaWatt est constituée de professionnels du bâtiment, et n'ont rien à vendre. Ils sont tous engagés dans l'efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Le scénario NégaWatt a pour horizon 2050. Il est de long terme, et fondé sur l'idée que pour arriver aux performances devant être visées par tous, il n'y a pas une solution unique à mettre en oeuvre, mais un triptyque fondé d'une part sur la sobriété, c'est-à-dire une modification de nos comportements vis-à-vis de l'énergie, la suppression des gaspillages, d'autre part sur l'efficacité énergétique, tout ce que la technologie peut nous apporter pour réduire nos consommations à besoins identiques, et enfin sur le recours aux énergies renouvelables, élément fondamental appelé à changer beaucoup de choses.

Ce scénario s'est fixé deux objectifs très clairs: diviser par quatre les consommations d'énergie, et les émissions de gaz à effet de serre : la guerre contre le climat est devant nous. Elle approche très vite. Il y a une sorte de déni face à cette question, mais elle est là. Nous devrons la régler. Elle va coûter infiniment plus cher si nous ne prenons pas les bonnes mesures maintenant.

Le pic pétrolier est bien derrière nous: nous en subirons les conséquences à la fois en pénurie d'énergie et par l'augmentation de son prix liée à cette raréfaction. Il faut donc travailler sur ces deux éléments, le but du scénario étant de rendre possible le souhaitable et le nécessaire.

C'est un scénario très conservatoire dans la mesure où il utilise des technologies disponibles. Il n'y a pas d'hypothèse sur des technologies futures qui pourraient nous sauver la vie.

Sur la question du bâtiment, il est le suivant : nous passons de 27,8 millions de résidences principales aujourd'hui à 31,8 millions ; 14% de logements en plus. Mais nous passons de 2,25 habitants par logement à 2,20, alors que la tendance nationale est plutôt d'aller vers 2. Ce choix n'est pas anodin. Il représente une économie de 3 millions de logements. Nous observons dans les pays actuellement en pénurie que les gens font de la colocation: ils occupent des logements grands à plusieurs. Nous le voyons en Espagne et d'autres pays. Personnellement, je ne crois pas que l'on aille vers des logements occupés par seulement deux personnes. Toutefois, la surface des logements augmente dans ce scénario. Elle passe de 91 à 93 m², et la surface par personne augmente également, de 39,4 à 40,9 m². Il ne s'agit donc pas d'un scénario de la pénurie, comme on a pu l'entendre.

Le neuf ne permet malheureusement pas de rénover le parc en un siècle, car l'on ne démolit que 30 000 logements par an et l'on en construit 300 000. Or il y a 30 millions de logements. À ce rythme, il faut mille ans. Il y a un renouvellement de 1 pour mille par an. La construction neuve accroit le parc mais ne se substitue pas à lui. Donc le grand enjeu est bien la rénovation, sur ce point-là nous sommes tous d'accord.

L'objectif de facteur 4 se traduit par une consommation de 50 kWh par mètre carré par an d'énergie primaire sur le chauffage seul. C'est l'objectif n°1, qui doit être mesurable dans ce scénario.

En deuxième hypothèse très forte, nous pensons qu'il faut rénover en une seule fois et pas en plusieurs couches, car dans ce cas cela ne se ferait pas. Je n'ai pas le temps de développer, mais je le ferai volontiers dans le débat: si vous lancez des opérations de rénovation en cascade, le premier étage se fera, et pas le reste, avec le risque de générer de la pathologie. Lorsque vous changez les fenêtres et rendez étanche le bâtiment, et ne faites pas la ventilation, le logement va devenir impropre à son utilisation, et même pathogène. De plus vous n'aurez pas les économies d'énergie, car il est impossible de faire fonctionner un logement dont la rénovation est hétérogène. C'est un problème technique sur lequel je pourrai revenir aussi tout à l'heure.

Il est donc question de rénover la totalité des logements, et non des tranches de logements.

Dans le neuf, les tendances choisies sont la poursuite des tendances actuelles : à partir de 2020 les bâtiments seront passifs. Autrement dit, ce qui est prévu réglementairement à ce jour n'est pas modifié.

En revanche il y a des modifications importantes dans l'ancien: dès 2013, nous avons envisagé 33 000 logements par an, puis 60 000 de plus chaque année, pour trouver un rythme de croisière à partir de 2022, où 500 000 logements seraient rénovés par an. C'est moins que le plan du président de la République actuel qui parlait de 500 000 logements lors de son quinquennat. Il s'agit d'une montée en puissance relativement raisonnable, même très raisonnable. La fin de la rénovation des logements d'avant 1975 interviendrait en 2044. Donc nous sommes bien au rendez-vous.

Pour les logements d'après 1975, déjà un peu isolés car il y a une réglementation à partir de cette date, le démarrage de la rénovation s'effectue en 2020, avec seulement 25 000 logements par an, et une montée en puissance en dix ans pour atteindre 250 000 logements rénovés chaque année à partir de 2030. Fin des rénovations: 2050.

Enfin dans le tertiaire, nous avons prévu le début des rénovations en 2014. Mais le scénario date de 2011, et il y aura un petit décalage. Le régime de croisière est atteint en 2026 avec 29 millions de mètre carré par an, et la fin de la rénovation en 2050.

Voilà le programme et la vitesse à laquelle il est prévu. Il n'a rien d'irréaliste. Il est au contraire très réaliste. Les résultats sont spectaculaires: on réussit à diviser par 4,6 la consommation d'énergie primaire du secteur bâtiment, et par plus de 10 l'émission de gaz à effet de serre, essentiellement de CO2.

J'ai une explication à vous donner, car sur l'ensemble du scénario il s'agit même d'un facteur 15: tout simplement parce que nous travaillons sur l'origine des vecteurs énergétiques. Nous utilisons du gaz, mais il n'est pas fossile. Il vient essentiellement de la biomasse, pour 90 %, à travers des filières de fermentation, de gazéification. L'électricité elle-même est produite par des voies autres que la chaleur et le travail. Il y a des pertes énormes dans les centrales thermiques, quelles qu'elles soient. Nous revenons à des conversions directes, de type photovoltaïque ou éolien. Grâce à cela, à la fin du scénario Négawatt, nous ne sommes plus sur un coefficient de 2,58 de conversion finale primaire, mais 1,19, ce qui change tout à fait le contenu énergétique des kWh consommés. D'où cette chute monumentale sur les gaz à effet de serre.

Ce programme est donc très intéressant. Il va créer beaucoup d'emplois, comme le montre l'étude emploi publiée il y a quelques jours. L'impact environnemental est considérablement réduit.

Le gradient thermique, qui fait tellement peur à RTE, c'est-à-dire les 2300 mégawatt électriques induits par la perte de chaque degré extérieur, les constructions de tranches nucléaires supplémentaires, tout cela disparait. Il y a énormément de gagnants dans ce scénario.

Ce scénario est construit sur l'obligation de rénover. C'est le débat actuel: si vous n'obligez pas à la rénovation, il n'y aura pas de rénovation au bon niveau.

Dans les bâtiments BEPOS, c'est-à-dire les bâtiments à énergie positive, le chauffage représente moins de 10 %, selon des campagnes de mesures, tout le reste recouvre des usages spécifiques de l'électricité : éclairage, bureautique, moteurs de ventilation et de pompes, électroménager. Là se trouve un gisement d'économie, par amélioration des produits, déjà en cours avec les directives européennes et la transformation des habitudes des usagers. Dans le scénario Négawatt, nous réduisons d'un facteur 2 les consommations d'usages spécifiques de l'électricité, dans le tertiaire et dans le logement, dès 2050. À titre personnel, j'ai déjà fait un facteur 3. Ce n'est pas du tout difficile. Dans nos bureaux nous sommes à un facteur 10 : ce sont des choses parfaitement possibles qu'il faut mettre en oeuvre, dont on ne parle jamais, et le gisement d'économies est tout à fait considérable.

La marche à suivre à partir d'aujourd'hui est :

1) Mettre en oeuvre cette obligation de rénover. Si vous ne le faites pas, il ne se passera rien du tout. Il faut le faire sur les mutations, premier élément. Et puisqu'il y a 500 000 rénovations et 470 000 mutations dans les bâtiments d'avant 1975, il faudra encore trouver quelques logements non concernés par les mutations et les rénover.

2) Définir ensemble des seuils de déclenchements: quand est-il nécessaire de rénover, ou non, des bâtiments de classe G, F, ou E.

3) Mettre en place un financement extrêmement robuste. Il y a 18 milliards de travaux à faire. L'étude de la KfW (anciennement Kreditanstalt für Wiederaufbau) en Allemagne montre qu'un euro investi, c'est 11 euros de travaux générés, et 2 à 4 euros rapportés à l'État.

4) Tout repose sur les artisans : la maison individuelle pour 53 %, et encore 20 % de petits bâtiments. Sans les artisans vous ne ferez pas de programme de rénovation. Leur formation est un sujet majeur.

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