Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 4 avril 2013 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Fleur Pellerin, ministre chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l'Innovation et de l'Economie numérique :

Je remercie l'Office parlementaire, son président Bruno Sido et son Premier vice-président Jean-Yves Le Déaut pour leur invitation à venir conclure cette matinée de réflexion consacrée à un sujet effectivement très important, l'économie d'énergie dans le bâtiment, sujet majeur auquel je sais ma collègue Delphine Batho extrêmement attachée.

J'aimerai vous donner ma vision de ce que doit être notre politique d'innovation, revenir aussi sur un ou deux retours d'expérience puisque je rentre de Corée et du Japon où j'ai eu l'occasion de visiter des villes-démonstrateurs, des smart cities, où la question de la régulation, de la gestion de la maîtrise de l'énergie est au coeur de la réflexion, même si je sais qu'il y a des entreprises extrêmement en pointe sur ces sujets en France, et dont nous n'avons pas à rougir.

Je pense en particulier à l'expérimentation faite par Schneider Electric et, je crois, le groupe Carrefour, pour réduire la consommation d'énergie des supermarchés. Elle a bien montré que l'on peut réduire la facture énergétique de l'ordre de 20 %, en combinant du réseau électrique intelligent, de l'optimisation, du calcul intensif, du Big data.

Je crois que la meilleure source d'énergie renouvelable et la moins chère, c'est bien l'économie d'énergie. Et tout ce que nous pouvons faire pour aller dans ce sens et mobiliser les nouvelles technologies, doit être fait, et vite parce que vous avez raison, la bataille de la standardisation, la normalisation, est une bataille internationale. Si nous sommes absents de ces discussions nous risquons de nous faire damer le pion par des entreprises d'autres pays, et je crois que ce serait fort dommage.

Le contexte me paraît aussi favorable pour venir m'exprimer devant vous puisque demain sera remis le rapport Beylat-Tambourin, que j'ai commandé avec Geneviève Fioraso sur la rationalisation des dispositifs d'aide à l'innovation. Il doit nous permettre d'articuler une véritable politique d'innovation, qui a fait défaut jusqu'à présent à notre pays.

Un mot sur ma vision de l'innovation. Je crois déjà important de souligner que l'innovation concerne tout le monde, pas seulement des « BAC plus huit » et diplômes supérieurs.

Je pense en particulier à ce jeune lycéen de 17 ans qui vient de gagner 30 millions de dollars en vendant son application iPhone à Yahoo, exemple assez frappant qui illustre bien que l'innovation est autre chose que la recherche fondamentale ou la recherche développement. Elle est le résultat d'un processus qui ne se planifie pas. J'aime beaucoup le mot serendipity en anglais, qui veut dire le fait de trouver des choses parfois par chance, malchance, erreur, alors qu'on ne cherche pas forcément cette chose-là, et donc qui caractérise le processus d'innovation.

J'ai été frappée en Corée par la démocratisation des usages. Il n'y a pas de fracture générationnelle, il y a un accès et un usage des nouvelles technologies de l'information et de la communication à la fois territorialement et générationnellement très diffus. C'est important également de montrer que les nouvelles technologies et l'innovation peuvent être le support d'une politique d'égalité sociale, territoriale.

L'innovation, c'est le fait de trouver un nouveau marché, un nouvel usage, un nouveau bien, d'améliorer un processus de production. Elle doit se faire en continu, et assure la productivité et la compétitivité d'un pays.

Le marketing, le design, sont des éléments qui peuvent conduire à de l'innovation. Une entreprise comme Apple a connu son succès avec le design, le marketing, et avec relativement peu de recherche développement.

Un autre exemple est Nespresso.

Ces entreprises ont été innovantes dans la manière aussi de commercialiser leurs produits ou de le « designer », et je crois qu'il faut avoir cette approche extrêmement aval qui permet d'associer la recherche développement et la préoccupation de l'expérience utilisateur, du marché, du consommateur.

Un autre exemple frappant en Corée, est la possibilité de se connecter partout dans le métro avec une qualité de débit incroyable. Cela me rend très jalouse, mais la Corée et le Japon sont les pays qui ont déployé le très haut débit fixe et mobile en très peu de temps, trois-quatre ans, qui ne sont pas là, à réfléchir à des débits de 100 mégas, mais de 1 giga. Nous passons avec eux à des échelles incroyables, et cette réflexion sur les infrastructures s'accompagne vraiment d'innovation en termes de services et d'usages, qui peuvent être proposés grâce à elles aux citoyens.

L'innovation est au service de la vie quotidienne des gens, très importante pour la qualité des services rendus aux utilisateurs, aux usagers, aux citoyens, mais aussi pour la compétitivité des entreprises.

En France nous avons un paradoxe, nous sommes la cinquième puissance mondiale pour le produit intérieur brut, 6ème ou 7ème selon les années en matière de poids des dépenses de recherche et développement dans le produit intérieur brut, et 17ème en termes d'innovation, mesurée par un indicateur un peu composite que je ne détaillerai pas, mais qui est le nombre de produits de moins de trois ans développés dans les entreprises, et un certain nombre d'autres critères. Il montre bien que, malgré les efforts faits en matière de recherche et développement, nous sommes plutôt mal placés en innovation.

En gros, à l'entrée, nous sommes bons pour les projets de recherche, mais c'est à la sortie, au moment de la commercialisation que nous sommes plutôt moyens. C'est cela qu'il faut changer. Nos efforts doivent se porter dans le lien avec le marché si nous voulons être aussi bons que des pays comme le Japon ou la Corée dans la compétition internationale, qui est rude.

Une fois cette vision exposée, reste à la mettre en oeuvre. Ce n'est pas le plus évident. Nous nous sommes déjà attelé à cette tâche dans le cadre du Pacte pour la compétitivité, la croissance et l'emploi, qui, vous le savez, comporte 35 mesures. La plupart tournent beaucoup autour de cette idée d'une montée en gamme de notre économie, notamment grâce à l'innovation et aux nouvelles technologies. Nous avons fait évoluer la politique des pôles de compétitivité, il est vrai jusqu'à présent plutôt tournés vers la recherche fondamentale, plutôt que conçus comme des usines à projets. Nous essayons de les faire devenir des usines à produits d'avenir. C'est le défi majeur dans les années qui viennent. Ces lieux où s'effectue une recherche collaborative entre des PME, des grands groupes, des laboratoires de recherche, doivent pouvoir traduire ce travail par des produits industrialisables, commercialisables, et susceptibles de rencontrer un marché.

Il faut vraiment changer la façon dont nous concevons ces clusters et ces pôles de compétitivité, pour en faire ces usines à produits d'avenir que nous appelons de nos voeux.

Nous avons défendu un autre élément pendant la campagne présidentielle, la demande très forte des entreprises de croissance, à savoir le crédit impôt-innovation. Il s'agit d'un crédit impôt-recherche étendu aux dépenses d'innovation, dépenses de prototypage, de design, de marketing. Car ces dépenses parfois font le succès d'une entreprise ou de la mise sur le marché d'un produit.

Le crédit impôt-recherche est l'un des premiers atouts de la France en matière d'attractivité pour les pôles de recherche-développement des grandes entreprises, reconnu comme tel par l'OCDE, et beaucoup des pays la composant. Mais il n'est pas suffisant pour assurer l'aval, l'industrialisation de nos produits, et c'est pour cela qu'il était particulièrement important, même si cela était promis depuis longtemps, mais jamais mis en oeuvre, d'étendre l'éligibilité des dépenses du crédit d'impôt aux dépenses de prototypages.

Autre mesure prise et en train d'être mise en oeuvre : nous nous sommes fixés, pour donner l'exemple, un objectif de 2% de la commande publique réservée aux entreprises, aux PME innovantes. Cela peut paraitre modeste pour un début mais représente plusieurs centaines de millions d'euros, et peut avoir un effet d'entrainement important pour les PME. Le 11 avril, à Bercy, nous ferons sortir les acheteurs publics de leurs bureaux et nous organiserons des espèces de speed dating pour présenter aux acheteurs publics des PME innovantes qui proposent des produits ou des services pouvant répondre à des besoins des administrations.

Il est important aussi de changer la philosophie, la culture d'achat des acteurs publics qui n'ont pas forcément le réflexe de se tourner d'abord vers les PME, et surtout les PME innovantes. Donc en sensibilisant ces acheteurs et en leur permettant des rencontres physiques, nous allons atteindre ces 2 % et créer cet effet d'entrainement pour les PME innovantes.

En exemple, j'ai rencontré, je crois aux universités d'été du MEDEF, une entreprise qui crée des cartes de visite perpétuelles, avec un flash code. Si vous changez de bureau ou de poste, vous pouvez modifier votre carte de visite sur votre ordinateur sans être obligé de la réimprimer à chaque fois. Voilà un exemple d'achat que nous avons fait à Bercy. Il concerne une toute petite start up, et cela fait partie des 2% d'achats innovants que nous sommes en train de mettre en oeuvre.

Nous devons prendre la mesure de cette urgence pour lutter dans la compétition internationale et ne plus perdre de temps. Tout est réuni pour faire de la France une terre d'innovation. Je ne veux pas me contenter de la 17ème place. Je veux que la France revienne dans les 10 premières nations les plus innovantes. Les exemples étranger peuvent nous inspirer, non pas pour les copier ou les reproduire à l'identique.

Au Japon, j'ai pu constater par exemple que déjà, dans les collèges, on apprend aux jeunes à coder, ou à s'approprier des langages de programmation. On leur fait faire des mini-entreprises, des jeux d'entreprise. Toute cette culture de l'innovation, de l'entreprenariat, mérite d'être diffusée dès le plus jeune âge. Vincent Peillon a exprimé son souhait de rapprocher l'école de cette culture, qui fait partie de la culture générale économique, pour donner le goût de l'audace, du risque à nos jeunes, car l'innovation est un processus risqué, et entre dans un état d'esprit qu'il convient de créer dès le plus jeune âge.

Il y a des efforts à faire tout particuliers en matière de simplification et de délivrance de titres de séjour pour les étudiants étrangers et les créateurs d'entreprises innovantes. Nous sommes en train d'oeuvrer avec Emmanuel Valls et Laurent Fabius, pour faciliter l'entrée et le séjour de ces étudiants ou créateurs d'entreprises. D'autres pays, je l'ai vu beaucoup en Allemagne et d'autres pays européens, ont des stratégies beaucoup plus articulées en matière d'accueil d'étudiants étrangers avec des préoccupations sectorielles, géographiques. Je crois que la France mériterait de s'interroger sur la manière de mettre en place une véritable politique qualitative d'accueil, dans certains secteurs où nous pourrions bénéficier de l'apport d'étudiants étrangers.

Faciliter l'accueil, simplifier les procédures, aider les entreprises dans l'accueil de talents étrangers : la notion de brassage de talents est très importante quand on parle d'innovation. Celle-ci en effet n'est pas un processus qui se travaille tout seul en chambre dans son coin, bien que ce soit parfois le cas, mais gagne beaucoup aux échanges coopératifs, collaboratifs, avec des personnes n'ayant pas forcément les mêmes formations ou les mêmes cultures.

Un élément important qui tient beaucoup à coeur à Geneviève Fioraso, est de valoriser tout au long de la carrière des chercheurs leurs investissements dans les activités de transfert de technologie, pour que la recherche soit mieux articulée avec les besoins des entreprises. Geneviève Fioraso a fait une communication au Conseil des ministres conjointement avec le ministère du Redressement productif. Il faut vraiment que l'on poursuive cette valorisation du travail des chercheurs dans le cadre des transferts de technologie ou des activités privées.

Enfin, puisque l'État donne l'exemple en matière d'achats innovants, il est nécessaire d'inciter les grandes entreprises à être aussi vertueuses dans leurs relations avec les PME et les PME innovantes en particulier, donc d'inclure, dans le rapport annuel de leur démarche de responsabilité sociale et environnementale, des critères qui permettront d'objectiver la manière dont elles traitent les PME innovantes. Par exemple, le crédit d'impôt recherche qu'elles perçoivent, leur bénéficient-elles ou pas ? Ces critères permettront d'objectiver des bonnes pratiques dans les relations entre les grandes entreprises et les sous-traitants innovants.

J'en suis convaincue, il nous faut mesurer les résultats de notre politique d'innovation pour nous comparer à d'autres pays et aussi mesurer nos progrès. Aujourd'hui la politique d'innovation n'existe pas en tant que telle, il n'y a pas d'outil budgétaire qui rassemble dans un seul document l'ensemble des dépenses consacrées à l'innovation dans les différentes administrations ou ministères. Il serait utile d'avoir ces données consolidées pour évaluer l'effort des collectivités publiques en cette matière, outil de mesure, de comparaison avec d'autres pays. Voilà quelques orientations qui ont guidé ma politique d'innovation.

Puisque c'était un sujet qui vous intéressait : depuis ma prise de fonction je me suis beaucoup intéressé en partenariat avec Delphine Batho au sujet des smart grid.

Ce sujet est beaucoup plus de la compétence de Delphine Batho. Il a été bloqué pendant pas mal de temps, en tout cas le compteur électrique intelligent, pour des raisons liées à la maitrise des données personnelles. A qui appartenaient ces données, à qui étaient-elles communiquées, qui les détenaient ? J'ai pu constater qu'un certain nombre de questions sur ces données personnelles étaient réglées, et que le projet pourrait avancer si l'on trouve des financements permettant de le déployer à grande échelle. Ce sujet est important pour réduire notre dépense énergétique. Je l'ai vu fonctionner dans certains pays, où est développée une espèce de compteur intelligent qui permet à chaque habitant de maîtriser sa dépense énergétique, de la moduler à distance avec son Smartphone en fonction du moment où il est chez lui ou non. Cela permet de responsabiliser nos concitoyens et de réaliser beaucoup d'économies d'énergie.

Une anecdote amusante : j'ai un ami consul à San Francisco, chez qui est installé ce type d'appareil. Un audit a été réalisé à la résidence du consul français grâce à cet appareil, et la société s'est rendu compte que ses dépenses énergétiques étaient monstrueuses, qu'un réfrigérateur hors d'âge y consommait énormément, de même un grille-pain. Et le consul de France a pu réduire sa facture énergétique de 40 %, ce qui est considérable.

Je crois vraiment beaucoup à la nécessité d'expérimenter vite ce compteur intelligent, même si l'on ne peut pas le faire d'une manière généralisée à l'échelle nationale. Dans certaines villes, je crois que Delphine Batho et Nicole Bricq avaient l'idée de faire des démonstrateurs en matière de smart grid. Il est indispensable que l'on puisse expérimenter rapidement une combinaison entre ces nouveaux dispositifs, souvent le fruit de start up, de maitrise collective de l'énergie, de gestion collective des flux énergétiques en fonction des horaires de bureaux, etc. Il y a beaucoup de choses qui permettent de mieux gérer les flux d'énergie. Cela suppose que les collectivités ouvrent des données publiques, utilisent des outils en matière de data mining, enfin captent des données et les traitent avec du calcul intensif. C'est une source à la fois d'amélioration de notre empreinte carbone, mais aussi de réduction de la dépense énergétique collective. Même si cela nécessite des investissements au départ, il y a là un élément de progrès qu'il faut pousser et appeler de nos voeux.

Nous avons, pour réussir ce chantier ambitieux à mettre en place, un atout : les acteurs. J'ai cité Schneider tout à l'heure, j'aurais pu citer Legrand, mais il y en a beaucoup d'autres, extrêmement performants. Il faut utiliser ce potentiel que nous avons pour être leader sur le marché des smart grid, et pousser beaucoup les promoteurs immobiliers à développer dans les programmes nouveaux tous ces éléments qui permettent de responsabiliser d'avantage les consommateurs et de maitriser d'avantage les dépenses énergétiques. Je m'y emploierai du mieux que je pourrai avec ma collègue Delphine Batho.

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