Intervention de Saeb Bamya

Réunion du 15 mai 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Saeb Bamya, ancien ministre palestinien adjoint à l'économie nationale et coordonnateur palestinien du groupe d'Aix :

Vous posez en effet des questions très difficiles.

Ce conflit nécessite la fin de l'occupation des Territoires palestiniens qui prévaut depuis 1967. Il ne s'agit pas d'une question de dispute sur les terres. Si le gouvernement israélien ne reconnaît pas que cette occupation doit cesser et que ces territoires doivent constituer un État indépendant pour les Palestiniens, il n'y aura pas de solution. Aucun Palestinien ni aucun arabe n'acceptera une autre voie : le maximum de compromis selon l'initiative européenne et la légitimité internationale passe par la fin de cette occupation. Nous sommes le dernier peuple subissant une occupation sur la planète : Cela suffit !

Or nous manquons d'une volonté politique de la communauté internationale, notamment de l'Europe, pour envoyer un message clair pour dire qu'il est temps d'en venir à une solution à deux États. On poursuit des négociations pour les négociations – et pour les médias – : cela devient dangereux. Il semble que les Israéliens et même les Américains apprécient cette situation. Ne les laissons pas mener la danse !

Les Français et les Européens connaissent et comprennent beaucoup mieux la région. Les Américains ont besoin de votre expérience. Si vous voulez donner une chance à la paix, ne les laissez pas agir seuls ! Les diplomaties française, anglaise et européenne pourront utilement informer John Kerry pour qu'il comprenne mieux le problème. Il a mal commencé en s'adressant aux Israéliens : avec une telle approche, nous ne parviendrons jamais à des résultats sérieux. L'administration américaine doit comprendre que le temps ne joue pas en notre faveur.

Nous faisons actuellement des paris lourds de conséquences pour l'avenir de la région. Les Israéliens comme les Palestiniens seront tous ensemble des victimes si ce conflit ne s'achève pas bientôt. Il nous faut adopter des mesures préventives réversibles, y compris concernant le mur.

Une autre idée doit par ailleurs être évoquée : l'analyse la plus importante de la Banque mondiale est que la compétitivité de l'économie palestinienne est sérieusement menacée pour les dix ou vingt ans à venir si le statu quo perdure. Jamais, alors, quels que soient les changements d'environnement, nous ne connaîtrons de reprise, ou bien il faudra très longtemps pour cela. Le peuple palestinien vit déjà dans une situation humaine et économique précaire.

Quant au contrôle des ressources, les colons utilisent celles de la Palestine sans payer de taxe au gouvernement israélien, alors qu'ils réalisent des exportations. J'ai été impliqué dès le premier jour dans toutes les relations avec l'Union européenne et le comité conjoint entre Palestiniens et Israéliens : on essaye toujours de trouver une solution technique, zigzagante, et, au bout du compte, 60 % de ces exportations sont réalisées en tant que produits israéliens, de façon frauduleuse. La part restante est déclarée comme des produits venant des colonies et fait l'objet de droits de douane, mais le gouvernement israélien subventionne leurs producteurs. La Communauté européenne le sait. Ces produits pénètrent ensuite le marché européen à un rythme quinze fois supérieur aux exportations palestiniennes. Nous, les Palestiniens, sommes, comme les Israéliens, membres depuis le premier jour du processus de Barcelone ainsi que du partenariat euro-méditerranéen, mais nous ne pouvons en tirer profit. Or il n'y a aucune réaction sérieuse de nos partenaires pour faire pression sur Israël pour qu'il interrompe ses restrictions illégales.

La Cisjordanie représente 6 000 kilomètres carrés. Depuis 2002, elle est divisée en 500 parcelles, ce qui un cas unique au monde. Or la communauté internationale regarde les bras croisés ce système impensable et attend qu'Israël fasse un geste de bonne volonté. Mais celui-ci ne changera pas de position si elle ne lui envoie pas de message clair en ce sens.

Vous nous avez enseigné les valeurs des droits de l'homme et nous avez fait croire en la démocratie, aux droits de chacun à subvenir à ses besoins, ainsi qu'aux marchés libres. L'interdiction des colonies doit être la seule voie à suivre : ce qui est illégal au regard de vos propres lois doit être considéré comme tel en Palestine. Si vous défendez vos propres principes, les produits provenant des colonies ne devraient pas avoir l'autorisation de pénétrer sur le marché européen

Au sein du groupe d'Aix, nous réfléchissons ensemble et avons une compréhension et un concept communs : c'est la raison pour laquelle nous atteignons nos objectifs. Nous pourrions avoir une influence si on nous en donnait l'occasion. Il nous a été demandé de façon officielle de mener des travaux supplémentaires, car ce que nous faisons est considéré comme important et utile aux négociations israélo-palestiniennes. Le leader de la délégation palestinienne nous a rencontrés à cet effet pour aider l'équipe de négociation. Notre groupe constitue donc une valeur ajoutée.

Nous essayons aujourd'hui de dégager un consensus, mais je crains que nous ne puissions avoir un impact véritable. Il y a trois semaines, nous étions à l'université de Tel Aviv, où nous avons présenté nos idées, qui ont suscité des réactions tout à fait positives ; cela n'est cependant pas suffisant. Sans votre soutien, nous ne pourrons modifier l'environnement actuel.

Le processus d'Oslo est en effet aujourd'hui caduc. Il a tourné à un véritable désastre. La transition ne mènera nulle part tant que nous aurons une asymétrie et que nous comparerons la situation des Palestiniens avec celle des Israéliens.

Pour avoir personnellement participé à des négociations, je puis dire que nous n'en avons jamais eues de sérieuses. Le comité économique conjoint, qui a commencé à fonctionner de manière bilatérale, est devenu après un an une instance unilatérale, où seuls les Israéliens prenaient les décisions. Ainsi, en 1997, le ministre du commerce et de l'industrie du premier gouvernement de M. Netanyahou a décidé, sans nous en informer, que les importateurs palestiniens ne seraient pas autorisés à vendre des biens dans les territoires israéliens : ils devaient signer un document à cette fin et risquaient d'être traduits devant un tribunal. Israël était en mesure de poursuivre ces ventes au sein du territoire palestinien, ce qui allait à l'encontre de tous les principes commerciaux. Nous leur avons fait valoir que cela violait le protocole de Paris et le principe même d'une union douanière, mais ils nous ont répondu qu'ils n'en avaient cure et qu'ils avaient pour mission de défendre les intérêts des entreprises israéliennes. Aujourd'hui encore, les importateurs palestiniens n'ont pas le droit de vendre sur les marchés israéliens.

L'argent des bailleurs de fonds est un substitut aux mesures israéliennes. En tant que secteur privé palestinien, nous ne bénéficions absolument pas de cet argent. En effet, le commerce représente un montant plus important : si nous ne sommes pas en mesure de réaliser des échanges et que nos revenus sont réduits, nous ne pourrons survivre. Les fonds servent donc à la survie de l'Autorité palestinienne, qui garantit elle-même la sécurité d'Israël – comme elle l'a fait au cours des cinq dernières années. Elle a en effet montré sa capacité à respecter ses engagements.

Mahmoud Abbas a fait de son mieux, de même que son prédécesseur. Quant à Salam Fayyad, il était apprécié par la communauté internationale et l'Union européenne ; il a mis en place sa stratégie. Nous avons eu un rapport très complet du FMI, de l'Union européenne et de la Banque mondiale, mais les mesures prises par Israël ont immédiatement fait en sorte qu'il ne puisse véritablement aider le peuple et le secteur privé palestiniens.

Au cours des quatre derniers mois de 2012, certaines entreprises n'ont pas été en mesure de verser des salaires. Salam Fayyad est affaibli par ses alliés internationaux, les Américains, mais aussi, à mon grand dam, les Européens, qui le considèrent pourtant comme un allié très proche. Il est isolé.

Or les Palestiniens n'accepteront pas que ce statu quo se prolonge, même si cela devait mener à la dissolution de l'Autorité palestinienne et à un retour à une véritable occupation.

Israël profite aujourd'hui d'une occupation de fait, garantit sa sécurité et ne délivre finalement absolument rien.

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