Intervention de Henri Jibrayel

Réunion du 14 mai 2013 à 16h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Jibrayel, rapporteur :

Après plusieurs mois de travaux, notre mission d'information sur les zones franches urbaines vous présente aujourd'hui ses conclusions. Je salue la présence du ministre François Lamy qui s'intéresse de près à leur avenir. Notre mission a organisé plusieurs auditions et effectué plusieurs visites dans toute la France afin de nourrir ses travaux de multiples témoignages, expériences et suggestions. Je remercie le président François Brottes d'avoir permis la création de cette mission afin d'évaluer le dispositif des zones franches urbaines et de s'interroger sur son avenir. La loi de finances pour 2012 a, en effet, prolongé le dispositif jusqu'au 31 décembre 2014 sans préciser ce qu'il en serait après.

La loi du 14 novembre 1996 relative au pacte de relance pour la ville a posé le principe de la mise en oeuvre, au sein de la politique de la ville, de dispositions dérogatoires au droit commun dans le but de compenser les handicaps économiques ou sociaux de certains quartiers. Les zones franches urbaines (ZFU) ont été créées dans des quartiers particulièrement défavorisés. On en compte aujourd'hui cent, dont quatre-vingt-treize en France métropolitaine et sept en outre-mer. Elles ont été créées en trois vagues successives, à raison de quarante-quatre en 1997, de quarante et une en 2004, puis de quinze, dites de troisième génération, en 2007.

Les ZFU font l'objet d'un régime dérogatoire d'exonérations fiscales et sociales destiné à inciter les entreprises à s'y installer et à embaucher. Les entreprises qui emploient au plus cinquante salariés et dont le chiffre d'affaires annuel est inférieur à 10 millions d'euros bénéficient d'une exonération totale de taxe foncière sur les propriétés bâties et d'impôt sur les bénéfices pendant cinq ans, puis d'une exonération dégressive de l'impôt sur les bénéfices pendant neuf ans. Elles bénéficient également d'une exonération totale de la contribution économique territoriale pendant cinq ans, puis dégressive pendant trois à neuf ans selon la taille de l'entreprise. Ces entreprises sont également totalement exonérées de cotisations sociales patronales de sécurité sociale pendant cinq ans pour les rémunérations en dessous de 1,4 SMIC, et de façon dégressive jusqu'à 2 SMIC. Ces exonérations s'appliquent ensuite de façon dégressive pendant trois à neuf ans, selon la taille des entreprises. Depuis 2012, le bénéfice des exonérations sociales est subordonné à l'embauche d'un salarié sur deux résidant en zone urbaine sensible (ZUS), contre un sur trois auparavant.

Bien que le dispositif soit régulièrement critiqué, notre mission d'information en dresse un bilan globalement positif et propose de le proroger jusqu'au 31 décembre 2017. Le rapport souligne que les résultats des ZFU en matière d'activité économique et d'emploi varient selon les générations de ZFU et leur localisation. Selon l'INSEE, dans les quarante-quatre ZFU instituées en 1997, de 9 700 à 12 200 établissements ont été créés en cinq ans. La deuxième génération de zones franches aurait eu un effet moins positif : fin 2006, les quarante et une ZFU créées en 2004 auraient permis la création de seulement 1 400 à 3 400 établissements. Les ZFU de première génération auraient permis la création de 41 000 à 57 000 emplois alors que celles de deuxième génération n'auraient pas eu d'effet significatif sur l'emploi.

Cependant, la mission considère que ces chiffres doivent être relativisés pour deux raisons. D'une part, le contexte de crise économique explique en partie un certain essoufflement du dispositif ces dernières années. D'autre part, plus du tiers des entreprises qui s'implantent en ZFU sont des auto-entreprises et les auto-entrepreneurs ne sont pas comptabilisés dans les créations d'emplois car ils n'ont pas un statut de salarié. De plus, la mission, s'appuyant sur les déplacements qu'elle a effectués à Mulhouse, Nîmes, Marseille et Toulouse, insiste sur la dynamique créée par les ZFU au plan local et l'effet de levier exercé sur les investissements privés, en particulier dans la construction d'immobilier d'entreprise.

L'une des critiques fréquemment adressées aux ZFU est que celles-ci ne reposeraient que sur le transfert d'activités déjà existantes, les entreprises y ayant été attirées par les exonérations au détriment d'autres quartiers. La mission a constaté qu'un tel effet d'aubaine avait joué lors de la mise en oeuvre du dispositif mais que, actuellement, la part des créations d'entreprise par rapport aux transferts s'élevait à 76,4 %, soit à peine moins que dans les unités urbaines de référence. Lors de ses déplacements, la mission a rencontré de nombreux chefs d'entreprise qui ont fait le choix de s'installer de façon pérenne dans une ZFU. Les ZFU ont fortement contribué à la mixité fonctionnelle, qui était l'un des principaux objectifs fixés par la loi de 1996 : l'installation d'entreprises a permis en particulier le développement de commerces de proximité, ce qui a amélioré l'image des quartiers et la vie quotidienne de leurs habitants.

Pour différentes raisons, la mission estime que le coût des ZFU tel qu'évalué par l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), qui s'élève à 419 millions d'euros en 2011, ne reflète pas toutes leurs retombées positives. Il conviendrait, tout d'abord, de déduire de ce coût les allégements dits Fillon qui auraient bénéficié aux bas et moyens salaires et qui présentent un faible différentiel avec les allégements de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises en ZFU. Le dispositif ZFU a exercé un effet de levier important sur les investissements privés et a engendré des recettes fiscales, notamment par le biais de la TVA. Enfin, la vision purement comptable du coût des ZFU conduit à ignorer toutes les retombées positives en termes de mixité fonctionnelle, d'amélioration de l'image des quartiers, de dynamique urbaine et d'équipements.

Le rapport identifie plusieurs explications au fait que certaines ZFU n'ont pas atteint tous leurs objectifs.

Premièrement, l'érosion des avantages sociaux liés à l'implantation en ZFU du fait de la mise en oeuvre, depuis 2003, de l'allégement Fillon, faisant passer l'écart de taux de cotisation entre les établissements situés en ZFU et les autres de dix points en 1997 à deux points en 2006.

Deuxièmement, le manque de foncier et d'immobilier disponibles. Au départ, les ZFU ne disposaient pas toutes du même potentiel. De plus, certaines sont aujourd'hui victimes de leur succès, l'arrivée à saturation ayant pour résultat le plafonnement des implantations d'entreprises.

Troisièmement, le manque d'accompagnement pour les entreprises, qu'il s'agisse de l'information sur le dispositif, du recrutement, de l'aide à la création d'entreprise ou de la prévention des contrôles. La mission souligne en particulier le manque d'un dispositif adapté pour le recrutement et l'emploi, alors même que la loi impose aux entreprises le recrutement d'un salarié sur deux résidant en ZUS pour bénéficier des exonérations de cotisations sociales.

Quatrièmement, l'insuffisance du pilotage au niveau local. Les ZFU qui ont réussi sont celles pour lesquelles les collectivités territoriales se sont investies et ont mis en oeuvre un vrai pilotage associant les différents acteurs. On ne peut que regretter la suppression, en 2004, des comités d'orientation et de surveillance qui regroupaient dans chaque ZFU, sous la présidence du préfet, les élus, les représentants des organismes consulaires et les services de l'État.

Cinquièmement, l'absence de stratégie économique globale au niveau de l'agglomération. Les ZFU ayant le mieux réussi sont celles qui se sont inscrites dans un véritable projet de développement économique et dans lesquelles les collectivités locales ont réalisé les investissements nécessaires pour attirer les entreprises : transports, voirie, équipements publics, télécommunications.

Sixièmement, le manque d'articulation avec la rénovation urbaine, qui concerne 80% des ZFU.

Septièmement, l'absence d'évaluation systématique des résultats au niveau local. L'ONZUS a pour mission de collecter un certain nombre d'indicateurs socio-économiques définis par la loi, mais le manque de suivi dans chaque ZFU ne permet pas la mise en oeuvre d'un réel pilotage obéissant à une vision stratégique.

La réflexion sur le devenir des ZFU après 2014 s'inscrit dans le contexte de la réforme de la politique de la ville que vous avez initiée, monsieur le ministre. Dans un rapport publié en juillet 2012, la Cour des comptes critiquait la trop grande complexité et le manque de lisibilité des instruments de la politique de la ville. Lors de votre audition par la commission, le 4 décembre 2012, vous aviez annoncé votre volonté de soumettre au Parlement une réforme de cette politique à la fin du premier semestre 2013. Dans cette perspective, le Comité interministériel des villes a rendu publique, le 19 février dernier, une liste de décisions résultant de la concertation nationale « Quartiers, engageons le changement », tenue entre octobre 2012 et janvier 2013. Il s'agit principalement de simplifier et resserrer la géographie prioritaire actuelle autour d'un nombre ciblé de « quartiers prioritaires » – 1 000 au maximum, contre 2 500 actuellement –, définis sur la base de la part de population à bas revenus, et de graduer l'intervention de l'État en fonction des besoins sociaux et de la capacité contributive des collectivités concernées. La mission est favorable à une simplification du zonage et à une meilleure articulation entre les différents instruments de la politique de la ville. À ce titre, elle salue le travail issu de la concertation nationale.

Parallèlement, dans le domaine de l'emploi, le Gouvernement met en oeuvre une expérimentation sur trois ans des emplois francs, qui visent les résidents des ZUS de moins de trente ans. Les entreprises qui les embaucheront en CDI pourront bénéficier d'une aide de 5 000 euros. Une première vague de 2 000 emplois francs est prévue en 2013 sur dix sites : Amiens, Grenoble, Clichy-Montfermeil, Marseille, Toulouse, Lille, Saint-Quentin, Fort-de-France, Perpignan et Sarcelles. La mission estime que les emplois francs et les zones franches ne doivent pas reposer sur des logiques antagonistes mais qu'il convient de rechercher une synergie entre les deux dispositifs.

La mission d'information formule quatorze propositions, dont la principale est la prolongation du dispositif des ZFU jusqu'à fin 2017, dans un objectif de stabilisation institutionnelle. Les ZFU ont permis la mise en oeuvre d'une dynamique extrêmement positive. Leur maintien est une nécessité, compte tenu de la situation économique et de l'évolution du chômage, qui s'élève à plus de 25 % dans les ZFU, et jusqu'à 40 % chez les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans. De tous les acteurs que nous avons pu rencontrer et que nous avons interrogés sur un éventuel dispositif de remplacement, aucun n'a pu nous en proposer un d'équivalent. Dans le contexte actuel, faire disparaître les zones franches serait vraiment une aberration. Il faut les pérenniser jusqu'en 2017, quitte à conduire en parallèle votre expérimentation sur les emplois francs. De mitigé au départ, le bilan nous a paru finalement plutôt positif. Sur chaque site où nous nous sommes rendus, nous avons pu voir des actions positives et des acteurs souhaitant la prorogation du dispositif.

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