Intervention de Raphaël Hadas-Lebel

Réunion du 14 mai 2013 à 17h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Raphaël Hadas-Lebel, président du Conseil d'orientation des retraites :

Je vais maintenant faire un état des lieux de la question.

Les données les plus sûres dont nous disposons datent de 2008. En effet, nous travaillons sur la base d'un échantillon inter régimes préparé par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère des affaires sociales (DREES) laquelle travaille sur une périodicité de quatre ans.

Il est intéressant de noter que si la situation change, elle ne change pas assez rapidement.

À la fin de 2008, parmi les retraités résidant en France, la pension de droits propres – hors réversion et hors droits familiaux – des femmes ne représentait en moyenne que 53 % de celle des hommes : 879 euros par mois, contre 1 657 euros pour les hommes. Ce ratio a progressé au fil des générations et continue à progresser. Ainsi, pour la génération née entre 1924 et 1928, le ratio était de 44 % ; contre 56 % pour la génération née entre 1939 et 1943. Ensuite, selon l'INSEE, pour les générations nées dans les années 50 – celles qui partent actuellement à la retraite – ce ratio atteindrait 70 % et il serait de 80 % pour les générations nées dans les années 70.

Le dernier avis rendu par le COR sur la durée d'activité concerne les générations nées en 1955 et 1956. Il se base sur un chiffre de l'INSEE qui est encore grossier et qui porte sur les droits propres. Si l'on intègre la réversion, on constate que les écarts de pension entre les hommes et les femmes se réduisent. Pour 2008, le montant moyen des pensions était de 1 165 euros par mois pour les femmes, contre 1 749 euros pour les hommes. Le ratio est de 67 %, à comparer avec 53 % – c'est la réversion qui explique la différence de 14 %.

La réduction des écarts de pension est donc une bonne nouvelle. Mais il y a une moins bonne nouvelle : cette réduction des écarts de pension, qui était forte pour la génération née peu après 1945, en raison de la montée de l'activité féminine et de la baisse des écarts de salaire, marque le pas.

Les raisons de ce phénomène sont nombreuses. Les principales sont les suivantes : la persistance des interruptions d'activité liées aux naissances, qui ont un effet sur la carrière des femmes – 38 % des femmes ne travaillent pas après la première naissance, 47 % après une deuxième naissance, 70 % après une troisième – ; le développement de l'emploi à temps partiel, qui a une répercussion sur le niveau des salaires – 30 % des femmes travaillent actuellement à temps partiel – ; les écarts salariaux, qui ont tendance à cesser de se réduire depuis le milieu des années 90 – pour les temps complets, ils restent de 20 % dans le secteur privé et de 15 % dans le secteur public.

Ces écarts sont liés à la répartition des activités professionnelles et domestiques au sein du couple. Les femmes continuent à tenir une place plus importante que les hommes à la fois dans les tâches domestiques et dans l'éducation des enfants. C'est une réalité sociologique qui évolue très lentement. Cette dissymétrie se retrouve dans tous les pays européens, y compris dans les pays avancés en matière de parité comme les pays nordiques, la Suède ou le Danemark.

Cela dit, les conséquences de ces écarts en termes de niveau de vie sont aujourd'hui relativement limitées. En effet, la plupart des femmes vivant seules, à la retraite, sont veuves et bénéficient, de ce fait, de pensions de réversion. Mais dans les nouvelles générations, à cause de la montée du divorce et du célibat, davantage de femmes qu'aujourd'hui vivront seules sans percevoir de pension de réversion et leur niveau de vie risque d'en pâtir.

Pour réduire les écarts de pension, il faut d'abord agir en amont, sur le marché du travail. Mais une correction en aval par les dispositifs de retraite non contributifs – droits familiaux et minima de pension – peut se justifier tant que les écarts sur le marché du travail persistent et que ce sont les femmes qui prennent en charge l'éducation des enfants. Après tout, l'éducation des enfants permet d'assurer, le moment venu, la pérennité du système de retraite. Les droits familiaux viendraient ainsi corriger une situation dans laquelle, au regard du marché du travail, les femmes sont défavorisées par rapport aux hommes. Il existe par ailleurs toute une série de mesures, que la Délégation connaît bien, tendant à rééquilibrer la situation des femmes dans les activités économiques, dans les conseils d'administration notamment. Mais ce n'est qu'un aspect d'un problème plus général. Telle est la philosophie qui ressort des rapports du COR.

J'en viens au deuxième volet de mon propos, qui porte sur les droits familiaux de notre système de retraite. Il existe aujourd'hui trois principaux dispositifs.

Le premier est la MDA, ou majoration de durée d'assurance. Celle-ci concerne les mères et éventuellement, depuis 2010, grâce à l'Europe, les pères, sans condition de réduction d'activité. C'est une majoration de huit trimestres par enfant pour le régime général – les règles sont différentes dans les régimes spéciaux, en particulier dans la fonction publique. Ce dispositif a permis de rapprocher la durée moyenne de trimestres validés par les femmes et par les hommes.

Le deuxième dispositif est l'AVPF, ou assurance vieillesse des parents au foyer. Lorsqu'il a été créé, en 1972, il visait à comptabiliser les périodes passées au foyer pour élever des enfants de moins de trois ans, ou de nombreux enfants – d'abord quatre, puis trois à partir de 1977. Au fil des années, il a été étendu à différentes situations. Aujourd'hui, il permet de valider des trimestres avec un salaire porté au compte à hauteur du SMIC. Mais pour en bénéficier, il faut remplir certaines conditions : perception de certaines prestations familiales, condition de ressources et, dans certains cas, de revenus professionnels. À la différence de la MDA, il est lié au fait que l'on arrête de travailler et à la carrière professionnelle.

Le troisième dispositif est la majoration de pension pour les pères et les mères ayant eu ou élevé trois enfants ou plus. Celle-ci est proportionnelle à la pension et, dans le régime général, elle est de 10 %. C'est une pure mesure familiale qui vise à favoriser les familles nombreuses, de trois enfants ou plus.

Existe enfin un dernier dispositif, celui des départs en retraite anticipés dans les régimes spéciaux après quinze années de service et trois enfants ou plus, que je me contente de mentionner dans la mesure où il est en voie d'extinction.

Ces dispositifs représentent des sommes importantes : plus de 15 milliards d'euros, soit un peu moins d'un point de PIB et à peu près 8 % des pensions de droits propres. Il faut noter par ailleurs que l'AVPF monte en charge. Je précise enfin que les droits familiaux sont principalement attribués par le régime de base, mais parfois aussi par les régimes complémentaires.

La part des droits familiaux dans les droits à la retraite représente à peu près 16 % de la pension moyenne des femmes nées entre 1934 et 1938. Dans ces générations, neuf femmes sur dix avaient validé en moyenne 21 trimestres de MDA, soit l'équivalent de « deux enfants et demi ».

J'en viens au troisième volet de mon propos, qui concerne plus particulièrement la MDA. L'Europe ayant mis en avant le principe d'égalité entre hommes et femmes, cette majoration a été ouverte en droit aux hommes. Malgré tout, des conditions restrictives ont été posées afin que les femmes en restent les principales bénéficiaires. J'ai moi-même poussé en ce sens, bien que cela aille un peu à contre-courant de la jurisprudence européenne

Dans la fonction publique, c'est le fameux arrêt Griesmar de la Cour de justice des communautés européennes du 29 novembre 2001 qui a conduit à réformer cette majoration d'un an. Depuis 2004, celle-ci a été remplacée par une majoration de six mois au titre de l'accouchement, et complétée par une majoration de six mois destinée à compenser les interruptions d'activité jusqu'à trois ans – pour les enfants nés après le 1er janvier 2004.

Dans le régime général, un arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 2010 a abouti à ce que l'on scinde la MDA en deux pour les pensions prenant effet à partir du 1er avril 2010. C'est le système applicable aujourd'hui. Les huit trimestres ont donc été scindés en deux avec une majoration de quatre trimestres par enfant au titre de la maternité, et une majoration qualifiée d'éducation d'un an par enfant attribuée à la mère, pour tous les enfants nés avant le 1er janvier 2010 , sauf si le père a seul élevé l'enfant. Pour les enfants nés après le 1er janvier 2010, cette deuxième majoration est attribuée à l'un des deux parents au choix du couple. C'est un système anti redistributif, moins favorable aux femmes, mais fondé sur le principe d'égalité.

Le COR a repris ces analyses, qu'il avait développées dans son rapport de 2008, sans les modifier fondamentalement dans la mesure où depuis cette date, s'agissant de ces différents dispositifs, la situation n'a pas avancé.

Nous avons mis en avant la nécessité de clarifier les objectifs que l'on veut attribuer à chaque droit familial. Veut-on compenser les effets des enfants sur les carrières des mères ? C'est un peu l'objectif de l'AVPF, lorsqu'elle bénéficie aux femmes qui se sont arrêtées de travailler pour élever leurs enfants. Veut-on réduire les inégalités existant entre les hommes et les femmes au moment de la retraite ? Veut-on effectuer une redistribution en faveur des familles les plus nombreuses ou vers les bas revenus ? Ces objectifs peuvent être cumulés. Lorsque ces dispositifs ont été créés, on avait sans doute ces objectifs en vue, mais ils n'avaient pas été définis de façon précise.

On peut espérer qu'avec les trimestres attribués au titre de la MDA et de l'AVPF, la durée d'assurance moyenne validée par les femmes nées après 1960 rejoindra, voire dépassera la durée moyenne validée par les hommes. Mais si ces dispositifs permettent de rapprocher le nombre de trimestres validés par les femmes de ceux validés par les hommes, ils ne corrigent pas les écarts de pension entre hommes et femmes, qui sont dus aux écarts de salaires et à certains éléments de carrière. En outre, les femmes qui ont travaillé sans interruption, même lorsqu'elles ont eu des enfants, bénéficient peu de l'AVPF. Pour elles, d'ailleurs, la MDA est inutile. Elles n'ont pas besoin de trimestres supplémentaires, puisqu'elles les ont obtenus au titre de leur activité. Simplement, elles peuvent partir plus tôt, sans attendre soixante-cinq ou soixante-sept ans.

Voilà pourquoi, dès le sixième rapport, nous avions fait des propositions concernant à la fois la MDA, l'AVPF et la majoration pour trois enfants et plus.

S'agissant de la MDA, nous avons dit qu'il serait intéressant d'étudier l'idée consistant à en transformer, à terme, une partie en majoration de montant de pension et non de montant de trimestres – dont peuvent maintenant bénéficier, en partie, les hommes qui le souhaitent. Cette majoration du montant de pension serait réservée aux femmes et viendrait compenser les écarts de salaire existant entre les hommes et les femmes. Cela suppose, bien évidemment, que les mesures adoptées soient compatibles avec le droit européen. Ces majorations pourraient être soit proportionnelles, soit forfaitaires pour favoriser une redistribution vers les bas salaires. Encore faut-il le vouloir et l'expliciter.

L'AVPF étant un système complexe, subordonné à des conditions de perception de prestations familiales, de ressources du ménage, parfois d'activité, nous avons évoqué des pistes de simplification. L'idée était d'en faire un véritable dispositif de compensation des interruptions ou de réduction d'activité pour s'occuper d'un jeune enfant. La durée des interruptions compensées serait cohérente avec celle des prestations familiales, afin de ne pas favoriser un éloignement durable des femmes du marché du travail – pas au-delà de trois ou quatre ans.

Enfin, les majorations pour trois enfants et plus ne réduisent pas les écarts entre les hommes et les femmes. Ce dispositif poursuit plutôt un objectif de redistribution vers les parents de familles nombreuses. L'idée était de le transformer en majoration forfaitaire, ce qui favoriserait plutôt les bas revenus. Mais certains pourront faire remarquer que cela ne correspond pas à l'objectif premier qui était d'opérer non pas une redistribution des hauts revenus vers les bas revenus, mais une redistribution horizontale entre les familles célibataires ou peu nombreuses et les familles nombreuses à même niveau de revenus. C'est un débat politique. Nous disons simplement qu'une telle transformation est envisageable.

On peut aussi envisager de rendre ces majorations imposables. En effet, l'exonération de la majoration pour trois enfants et plus coûtait, lorsque nous avons fait notre rapport, à peu près 800 millions d'euros. Mais je dois dire que cette proposition n'a pas soulevé l'enthousiasme des membres du COR, même au sein des organisations syndicales. Un certain conservatisme semble régner en la matière. Sans doute la philosophie « familles nombreuses » est-elle encore prégnante. J'en veux pour preuve les réactions suscitées par le rapport de mon collègue Bertrand Fragonard, le président du Haut conseil de la famille, sur les aides aux familles. Je tiens cependant à préciser que M. Fragonard n'a pas abordé la question des avantages familiaux liés à la retraite, qu'il s'est contenté de la mentionner dans une annexe de son rapport en rappelant le dispositif que nous avions nous-mêmes présenté. Le HCF a simplement fait remarquer qu'une partie de ce dispositif était financée par la branche famille.

En tant que président du COR, je ne vois rien de choquant à ce que la majoration pour trois enfants et plus et l'AVPF soient partiellement financées par la branche famille puisqu'elles contribuent à la fois à la politique familiale et à la politique de retraite. En revanche, le HCF considère que cela aggrave le déficit de la branche famille et que ces avantages devraient être financés par la branche vieillesse.

Rappelez-vous ce que je vous ai dit de l'abaque du COR : les ressources prises en compte sont celles qui sont mises à la disposition du système. Or, parmi ces ressources, il peut y avoir des ressources fiscales comme des ressources provenant du transfert d'autres branches, et notamment de la protection sociale.

Certes, il existe un lien entre le niveau des retraites et celui des contributions, c'est-à-dire des cotisations. Le COR a d'ailleurs toujours considéré qu'il était dans la logique du système que la part essentielle du financement des retraites relève des contributions. Reste qu'environ 20 % du système de retraite – y compris les mesures familiales – relèvent de la solidarité. Dans ces conditions, l'introduction d'éléments redistributifs, soit par voie fiscale, soit par d'autres modes de financement, n'a rien de choquant.

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