Intervention de Rudy Salles

Réunion du 22 mai 2013 à 11h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRudy Salles, rapporteur :

La bonne santé insolente qu'affiche le cinéma français et européen, soulignée par les succès internationaux de films comme The Artist et Amour, cache paradoxalement une faiblesse structurelle que nous ne pouvons ignorer.

Le rapport sur le financement européen du cinéma, sur lequel, Mme Marietta Karamanli et moi-même travaillons, au sein de la Commission des affaires européennes, vise à répondre à cette interrogation : comment pérenniser l'existence d'un cinéma européen de qualité ?

Avant d'être technique, la question est politique. Quel avenir souhaitons-nous pour notre politique cinématographique européenne ? Comment protéger les industries cinématographiques nationales qui contribuent chacune à construire le cinéma européen ? Comment sauvegarder le tissu industriel propre à chaque pays pour conserver les savoir-faire industriels et artisanaux, sans que les États membres se livrent à un dumping social pour attirer les tournages sur le seul critère du moins-disant économique ou fiscal ?

Mon propos portera sur la législation européenne et sur les risques que son évolution fait courir aux industries cinématographiques nationales, qui sont la sève du cinéma européen.

L'Union européenne n'a pas de compétence propre ou partagée en matière cinématographique. Le respect du principe de subsidiarité laisse aux États membres le soin de définir leur politique culturelle, notamment cinématographique. Néanmoins, ceux-ci doivent respecter les règles du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en matière de concurrence, notamment en ce qui concerne l'attribution des aides d'État. Or le secteur cinématographique est un secteur aidé.

La « communication cinéma » de la Commission européenne réglemente donc depuis 2001 la compatibilité des aides d'État avec les règles de concurrence que prévoit le traité. Elle dispose que les aides doivent être destinées à un produit culturel. Elle offre également la possibilité pour un producteur de dépenser 80 % des aides à la production sur le territoire d'un État membre, et précise que celles-ci doivent être limitées à 50 % du budget de production. Néanmoins, elles peuvent être plus importantes pour les films réputés difficiles et à petit budget.

Le projet de révision de cette communication, présenté en 2012, proposait de maintenir l'intensité des aides, voire de l'augmenter pour les productions transfrontalières. En revanche, il limitait la possibilité pour un producteur de dépenser sur un territoire donné 100 % des aides accordées, ce qui revient de fait à limiter la « territorialisation » à 50 % du budget de production.

Cette nouvelle réglementation a inquiété à juste titre les professionnels. La territorialisation des aides est essentielle pour maintenir un tissu industriel ainsi que des savoir-faire sur nos territoires. Les présidents des institutions européennes analogues à notre Centre national du cinéma (CNC) sont unanimes. L'industrie cinématographique européenne est en situation de concurrence non au sein de l'Union européenne, mais vis-à-vis de l'industrie cinématographie américaine. Aussi ne faut-il pas l'affaiblir.

Une étude de 2008, sur laquelle la Commission s'est appuyée pour élaborer son projet de révision, a conclu que la territorialisation des aides ne constituait ni un frein à la création cinématographique européenne, ni une entrave à la libre concurrence entre États membres, notamment du fait de l'existence de nombreuses coproductions. Selon le rapport du CNC intitulé L'industrie cinématographique en France en 2011, le nombre de jours de tournage en France s'établit en 2011 à 5 002, contre 4 959 en 2010. En 2011, le nombre de jours de tournage pour les films d'initiative française s'élève à 6 879 jours, dont 27,3 % à l'étranger. Dans la majorité des cas, le choix de tourner à l'étranger se justifie par des raisons artistiques, mais il peut aussi s'expliquer par des raisons économiques, comme la réduction des coûts de production, notamment en Hongrie ou au Portugal, ou par l'accès à des financements locaux dans le cadre de coproductions, notamment en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne ou au Canada.

Face au front uni des différentes industries cinématographiques européennes et de leurs gouvernements, qui s'opposaient aux nouvelles règles proposées, la Commission a présenté le 30 avril un nouveau projet de communication. Hélas ! Ce texte n'apaise en rien les inquiétudes des professionnels. Outre le fait qu'il offre un calendrier contraint, il vide de sa substance le principe de la territorialisation des aides. De plus, la consultation ouverte, initialement fixée à deux mois, prendra fin le 28 mai. C'est pourquoi notre Commission a choisi d'examiner ce projet de résolution dès le lendemain de son adoption par la Commission des affaires européennes.

L'objectif de la communication sur les aides d'État est d'assurer un principe de sécurité juridique pour les États membres. Si des éléments positifs doivent être soulignés, dont l'extension du projet aux activités autres que la production, le texte demeure insuffisant. Il ne mentionne pas les jeux vidéo, qui sont un secteur innovant et créatif. En revanche, il inclut à tort les aides aux salles de cinéma, qui ne relèvent pas de la libre circulation des biens et des services.

La Commission semble faire droit aux demandes initiales en maintenant l'obligation de dépenser 80 % des aides à la production sur le territoire d'un État membre, mais il s'agit d'une disposition en trompe l'oeil. Dans les faits, les États ne pourront plus permettre aux industries nationales de conserver les savoir-faire inhérents à la création artistique. Dès lors qu'on ne pourra plus tenir compte de l'origine des personnes, des biens et des services, le principe de territorialisation des aides sera vidé de sa substance.

Non seulement le texte risque de multiplier les dispositifs d'attraction fiscale pour inciter à délocaliser les tournages, mais il créera une concurrence artificielle contraire aux intérêts du cinéma européen. Celui-ci n'y gagnera rien, et y perdra peut-être son identité.

C'est pourquoi la proposition de résolution demande à la Commission européenne de revoir son projet, parce que nous voulons non pas défendre la spécificité d'une industrie cinématographique nationale, mais assurer la pérennité du cinéma européen, faite de la diversité des expressions culturelles, que le cinéma français finance en partie. À court terme, l'avenir de l'industrie cinématographique européenne dépend du maintien de la territorialisation des aides.

Dans le cadre du rapport que nous préparons sur le sujet avec Mme Marietta Karamanli pour la Commission des affaires européennes, nous nous sommes rendus à Bruxelles à la direction générale de la concurrence, où l'on a balayé nos arguments d'un revers de main. Nos interlocuteurs ne songent qu'à garantir la concurrence, alors qu'à nos yeux, le cinéma n'est pas une marchandise. Encore une fois, il ne s'agit pas de mettre en cause le cinéma américain. Tant mieux s'il se porte bien ! Notre but est de donner au cinéma européen toutes les chances d'exister, de se développer et de faire rayonner notre culture sur toute la planète.

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