Madame la présidente, merci de votre accueil.
Ce travail a en effet été commandé par la ministre des affaires sociales et de la santé, Mme Marisol Touraine, au début du mois de septembre 2012. Nous l'avons rendu le 4 mars 2013. Trois groupes de travail réunissant chacun 60 ou 70 personnes ont travaillé jusqu'à la fin du mois de décembre 2012 autour des trois thématiques que vous avez rappelées : le service public et son financement, le dialogue social dans l'hôpital public, et l'organisation et le fonctionnement des établissements.
Au début du mois de janvier 2013, la restitution des travaux de ces groupes à laquelle nous avons procédé devant l'ensemble des représentants institutionnels du monde hospitalier public et privé a donné lieu à un débat constructif, auquel chacun a pu contribuer.
J'ai donc remis à Mme Marisol Touraine un rapport de synthèse accompagné de nombreuses annexes, dont le rapport de chacun des groupes de travail et les contributions de tous les partenaires concernés.
Ce rapport de synthèse compte une soixantaine de pages et comporte quarante-six propositions. Il s'organise autour de quatre thématiques : la première concerne le service public et son intégration territoriale ; la deuxième concerne le financement du service public ; la troisième concerne l'hôpital public proprement dit, son fonctionnement, son organisation et les conditions de l'amélioration du dialogue social ; la quatrième concerne les relations entre les pouvoirs publics, l'État au niveau central et les agences régionales de santé – ARS – au niveau déconcentré, et les opérateurs – en particulier les établissements publics.
La commande de la ministre portait, en fin de compte, sur des propositions visant à rétablir la confiance qui, comme cela ressort de la concertation, péchait à trois niveaux :
Premier niveau : les relations entre les patients et les institutions hospitalières. Certes, nombre de documents montrent que l'hôpital public est un des services publics, sinon le service public le plus apprécié de la population, surtout lorsqu'il s'agit de soigner de lourdes affections. Mais, depuis la loi de mars 2002 qui a reconnu le droit des patients, un certain nombre de questions sont restées sans réponse, s'agissant par exemple de la transparence du système, de la circulation des informations, de la participation des patients ou du fonctionnement des établissements.
Deuxième niveau : les professionnels. Un certain nombre d'entre eux, médecins, soignants, administratifs, gestionnaires s'interrogent sur l'avenir de leurs institutions qui traversent des périodes difficiles, que ce soit au plan financier ou organisationnel. La question qui se pose est donc de savoir comment redonner de la visibilité et rétablir les liens de confiance.
Troisième niveau : les relations entre les pouvoirs publics et les opérateurs. On a vu s'installer, sinon une certaine défiance, en tout cas un manque de confiance entre les tutelles, qu'elles soient centrales ou déconcentrées, et les établissements. Leurs relations sont parfois tendues et certains doutent de la sincérité des informations.
Je vais maintenant reprendre plus en détail les trois thèmes que j'ai évoqués précédemment.
Premier thème : le service public et son financement.
La loi de 2009 a apporté un changement important dans l'acception du service public hospitalier – SPH. Celui-ci était issu des ordonnances de 1958 et de la loi du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière, qui lui avaient confié des missions de soins, d'enseignement et de recherche, assurées par les établissements publics, par les établissements privés participant au service public ou par des établissements privés commerciaux concessionnaires du service public.
La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » de 2009 a mis en oeuvre une approche matérielle, à travers quatorze missions de service public que l'État, via les agences régionales de santé, peut confier à l'ensemble des opérateurs de soins sur un territoire : les établissements publics, les établissements privés non lucratifs devenus des établissements de santé privés d'intérêt collectif – ESPIC – car ne participant plus au service public, ou d'autres opérateurs.
L'exercice de ces quatorze missions de service public – comme l'enseignement, la recherche, les soins aux détenus, la précarité, les soins dans les centres de détention, etc. – ne représente que 20 à 30 % du volume de l'activité des centres hospitaliers publics. Ainsi, 70 % de l'activité se trouve dans le champ de la concurrence, avec tout ce que cela implique, notamment au regard du droit européen.
Ce changement radical a troublé une partie des professionnels dans l'exercice de leurs missions. Ceux-ci restent, notamment dans les centres hospitaliers universitaires (CHU), sur les notions de soins, d'enseignement et de recherche, qui sont les trois piliers du service hospitalier.
Dans le premier groupe de travail qui traitait de ces questions, un consensus très fort s'est rapidement formé, afin de rétablir cette notion de service public hospitalier. Chacun était cependant conscient qu'on ne pouvait pas reconstruire le service public hospitalier de 1970. À cette époque en effet, l'hôpital public était le pivot du système de santé – lequel fut d'ailleurs taxé d'« hospitalocentrisme ».
L'idée des participants de ce groupe de travail était que le service public hospitalier devait être ancré dans le territoire et ouvert sur l'environnement. Tout le monde s'est alors mis d'accord sur la nécessité de concevoir un système, construit non pas autour des institutions – médecine de ville, hôpital public, hôpital privé, secteur médicosocial –, mais autour du parcours du patient à l'intérieur du système en question. C'est évidemment plus compliqué et cela suppose de faire évoluer les pratiques et la conception de ce système.
Il en est ressorti deux idées importantes : la première est de réaffirmer l'existence du service public hospitalier autour de ses trois missions fondamentales que sont le soin, l'enseignement et la recherche ; la deuxième est de l'inscrire dans un territoire, en considérant que sur ce territoire, certaines missions de service public – comme la permanence des soins sur un territoire, l'éducation sanitaire ou la prévention – peuvent être confiées à d'autres acteurs que l'hôpital public.
Le service public hospitalier est ouvert en amont sur la ville, et en aval sur le médicosocial, les services de suite ou le retour à domicile. Le système est construit autour d'un parcours de santé ou d'un parcours de vie, pour les maladies au long cours. L'émergence très forte des maladies chroniques et l'évolution conséquente des dépenses d'affections de longue durée (ALD) montrent qu'il faut se préoccuper de la structuration et de la coordination entre les différents acteurs tout au long de ce parcours de santé.
Cette conclusion constitue une première proposition du rapport de synthèse : rénover le service public hospitalier et concevoir un service public territorial de santé en positionnant les acteurs dans le parcours de soin ou le parcours de vie des patients. Cela nécessite un ajustement du mode de financement, et donc une réforme du modèle de la tarification à l'activité (T2A) tel qu'il est actuellement appliqué.
La première proposition consiste à abandonner l'idée de mettre en place, à terme, un financement à 100 % par la tarification à l'activité, et donc à rechercher un point d'équilibre entre ce qui restera dans la part tarifée et ce qui relèvera de la dotation forfaitaire – pour les missions d'intérêt général et l'aide à la contractualisation, les MIGAC. Aujourd'hui, l'équilibre est autour de 65 % en T2A et de 35 % en MIGAC pour le financement des établissements hospitaliers. Dans certains pays voisins, la proportion est de 5050. Peut-être le point d'équilibre se situe-t-il à 6040. Je ne sais pas, car nous n'avons pas eu le temps d'arriver à des conclusions plus précises. Quoi qu'il en soit, il faut trouver un point d'équilibre entre le système de financement forfaitaire et le système tarifaire. Pour la part tarifée, particulièrement pour les cours séjours, la chirurgie et l'obstétrique, il faudrait davantage de transparence, davantage de visibilité pour les gestionnaires et les responsables d'établissements et, autant que possible, une plus grande stabilité dans les tarifs.
La deuxième proposition, qui est d'importance, est de trouver, pour les maladies chroniques et les maladies au long cours, un mode de financement mieux adapté à leur prise en charge. En effet, le système de tarification à l'activité, qui est basé sur la durée de séjour – plus la durée de séjour est courte, mieux l'hôpital se porte financièrement – ne convient pas pour les maladies chroniques, qui entraînent des séjours longs et répétés. Ce mode de financement serait sans doute un mix dotation forfaitairetarifs.
Ces propositions ont eu une suite. La ministre a en effet installé au ministère de la santé des groupes de travail : le premier a été chargé de mieux définir le périmètre et le contenu de ce que pourraient être les missions de service public sur un territoire de santé, et donc la fluidité avec les établissements dans le parcours du patient ; d'autres ont été chargés de la réforme du modèle de tarification à l'activité, à partir de comparaisons internationales et de travaux techniques d'adaptation de ce modèle.
Deuxième thème : le dialogue social à l'hôpital public. Cette question est importante dans la mesure où il y a beaucoup de discussions ou de débats sur le fonctionnement de l'hôpital, mais peu de dialogue social structuré. Je rappelle par ailleurs que nous sommes, à l'hôpital public, dans le cadre de la fonction publique hospitalière et que jusqu'à présent, les négociations se déroulent au niveau national.
Cette question n'a pas fait l'objet d'un consensus. Néanmoins, nous sommes parvenus à mettre d'accord la majorité des partenaires sociaux, directeurs d'établissement, médecins, personnels hospitaliers, sur les principaux facteurs du dialogue social – en prenant comme référence ce qui est communément admis, notamment par les organisations internationales du travail : l'information, la concertation et la consultation, et la négociation.
L'information circule plus ou moins bien. Cela n'appelle pas de proposition particulière, sinon faire en sorte qu'elle circule mieux et soit bien diffusée.
La loi a supprimé l'obligation d'organiser des structures de concertation comme les conseils de service ou les conseils de pôle, et a laissé aux établissements la faculté de faire comme ils le souhaitaient. On a constaté que la concertation se déroulait plutôt correctement dans les établissements qui l'organisaient, mais que dans d'autres établissements, la situation était plus délicate.
Ensuite, il existe dans les établissements hospitaliers des organes consultatifs – commission médicale d'établissement, comité technique d'établissement – dont le domaine de compétences a été réduit, et qui ne sont plus consultés, mais simplement informés sur certains sujets. Cela a provoqué une certaine frustration parmi les membres de ces organes consultatifs : les médecins pour la commission médicale d'établissement – CME – et les personnels et les partenaires sociaux pour le comité technique d'établissement. Nous avons donc des propositions intéressantes à formuler en la matière. Nous considérons ainsi que les organes consultatifs doivent vraiment être consultés – et pas seulement informés – sur les sujets les plus importants.
Enfin, la négociation n'existe pas, sauf au niveau national. Reste que la loi de juillet 2010, qui a suivi la négociation avec l'ensemble des partenaires sociaux sur les trois fonctions publiques – État, territoriale et hospitalière – prévoit un dispositif autorisant des négociations locales dans chacune d'entre elles. Nous voyons là une opportunité pour essayer de définir ce qui pourrait être du domaine d'une négociation locale entre un directeur d'établissement et les partenaires sociaux.
Les dispositions de la loi de 2010 l'autorisent, sous certaines conditions. J'en retiendrai deux : premièrement, qu'un accord national intervienne sur les conditions, les modalités et les matières qui seraient traitées au niveau local ; deuxièmement, que l'on respecte le principe dit « de faveur » qui consiste à ne pas négocier et signer localement des accords plus défavorables que ce qui a été négocié et signé au niveau national.
Nous avons donc proposé qu'un travail de concertation et de négociation définisse les champs qui pourraient être délégués au niveau local, et les modalités d'organisation de cette négociation à ce niveau. Ce serait une innovation assez conséquente dans le champ de la fonction publique hospitalière.
Nous avons également fait un certain nombre de recommandations liées à la gestion, au management, qui relèvent plutôt des recommandations de pratiques que du domaine réglementaire ou législatif. Il conviendrait en effet de promouvoir un management davantage participatif pour mieux diffuser l'information et mieux organiser la concertation dans les établissements.
Troisième et dernier thème : l'intérieur de l'hôpital, à savoir les questions liées à la gouvernance et à l'organisation. L'hôpital ne fonctionne pas tout à fait comme une entreprise et pas vraiment comme une administration classique et l'équilibre est délicat à trouver entre les médecins, l'administration et l'ensemble des différentes catégories et métiers, qui sont très nombreux à l'hôpital. À chaque fois que l'on touche à cet équilibre fragile, on crée des tensions. De fait, une forte tension était palpable, notamment entre médecins et directeurs.
Nous avons donc essayé de rétablir l'équilibre entre les organes délibérants, l'exécutif – dans la mesure où il faut une direction responsable qui puisse arbitrer et décider – et l'ensemble des autres partenaires qui ont voix au chapitre et doivent, notamment, donner des avis.
Nous avons examiné la question récurrente de l'articulation entre le directeur et le président de la commission médicale d'établissement. Nous avons fait des propositions concernant, en particulier, les nominations des médecins à l'intérieur de l'hôpital. Notre souci était à la fois de conserver sa capacité d'arbitrage et de décision au directeur, tout en ménageant à son président la capacité d'agir réellement sur ces nominations
Nous ne sommes pas parvenus à un consensus sur l'organisation interne de l'hôpital. Certains étaient favorables, d'autres étaient défavorables à l'organisation en pôles d'activité. Lorsque nous avons interrogé la directrice générale de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) sur cette question, nous avons appris que son établissement avait créé 128 pôles d'activité, le plus petit comportant 400 personnes et le plus important 1 500. En revanche, dans certaines régions, par exemple en Rhône-Alpes, certains établissements n'ont que 200 lits, n'emploient que 300 personnes autour de trois pôles d'activité. Il est évident qu'on ne parle pas de la même chose et que ces différents pôles n'ont ni les mêmes compétences ni les mêmes activités.
L'idée qui a donc prévalu est qu'on n'organise pas les CHU – et a fortiori un grand CHU comme l'AP-HP – comme on organise un hôpital local, ni un hôpital psychiatrique comme un centre hospitalier. La gestion médico-économique exige qu'il existe des structures de regroupement pour constituer des masses critiques d'activités et de moyens. Mais il faut des structures de proximité pour recevoir les patients et faire de l'enseignement. L'université donne son agrément pour l'enseignement non pas au pôle A ou B, mais au service dirigé par le professeur X ou Y.
Ainsi, l'appellation et l'organisation sont laissées à la liberté de l'établissement. L'organisation doit être conforme – c'est un principe de base – au projet médical de l'établissement, adaptée à son activité et à sa taille. Elle doit comporter deux niveaux : un niveau de regroupement pour la gestion médico-économique, et un niveau de proximité pour les soins et l'enseignement.
Telles sont les recommandations que nous avons faites, en disant qu'il faut abandonner l'idée qu'il y aurait un seul modèle pour tout le monde, comme dans le système actuel.
Voilà, très rapidement résumée, madame la présidente, l'ossature générale du rapport de synthèse qui comporte 46 propositions. C'est le fruit d'un travail collectif, qui a recueilli un consensus relativement important, même si la question de la gouvernance fait toujours l'objet, sinon de controverses, du moins de débats.