Intervention de Louis Gallois

Réunion du 22 mai 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Louis Gallois, commissaire général à l'investissement :

Je crois savoir que mon prédécesseur, M. René Ricol, a été reçu à plusieurs reprises par votre Commission. Je dirai quelques mots sur les investissements d'avenir en général avant de traiter plus particulièrement des investissements dans les réseaux à très haut débit et de ceux qui visent à favoriser la transition énergétique.

L'enveloppe initiale du programme d'investissements d'avenir s'élève à 35 milliards d'euros, dont une quinzaine de milliards sont non consomptibles : ce sont des crédits affectés dont le bénéficiaire reçoit les intérêts ; ils concernent principalement le domaine universitaire, mais aussi celui de la transition énergétique, et notamment les instituts d'excellence dans le domaine des énergies décarbonées (IEED).

De ces 35 milliards d'euros, 28,5 milliards ont été engagés et sont en cours de contractualisation ou contractualisés. À ce jour, 4,7 milliards ont été versés. Il a fallu lancer les appels à projets, réunir les jurys, engager les crédits, puis contractualiser et tout cela a pris du temps. Mais nous arrivons aujourd'hui à une phase de maturité, et les versements vont s'accélérer. Nous verserons environ 4 milliards par an en 2013, 2014 et 2015. De 2,7 à 3 de ces 4 milliards, selon la définition que l'on adopte, seront consacrés à l'innovation. Cela devrait permettre de changer la donne.

Quelque 7 milliards restent donc à engager. Une partie de ces crédits est déjà pré-affectée ; des enveloppes ont par exemple été définies pour le très haut débit. On peut estimer qu'il existait une marge de manoeuvre de l'ordre de 3 milliards, que le Gouvernement a redéployés vers l'appareil productif. Le Premier ministre a retenu les technologies génériques et notamment le numérique, la santé et l'économie du vivant, et enfin la transition énergétique. Quelques crédits sont également prévus pour la formation professionnelle.

Tel est l'état des lieux. La période de l'engagement des crédits est donc en train de s'achever. Il n'est pas impossible qu'ils soient réabondés – c'est en tout cas ce que le Président de la République a laissé entendre lors de sa dernière conférence de presse – mais nous n'avons encore aucune certitude à cet égard. Quoi qu'il en soit, le Commissariat se concentre désormais sur deux tâches. La première est d'accélérer le processus de contractualisation pour accélérer les versements, notamment aux IEED ; désormais, il faut aller vite. La seconde est l'évaluation. Depuis l'origine, le suivi est prévu dès la mise en place des crédits, pour vérifier qu'ils sont utilisés dans les conditions contractualisées et pour évaluer leur impact économique. Nous entretenons un dialogue étroit avec les opérateurs qui contractualisent pour le compte du Commissariat général – lequel accorde peu de crédits directement : comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou encore la Banque publique d'investissement (BPI). Comme nous contractualisons par leur entremise, c'est avec eux que nous discutons du suivi et de l'évaluation, selon des procédures établies.

Il est encore trop tôt pour mesurer l'impact macroéconomique des investissements d'avenir, mais nous avons soutenu des opérations remarquables. Je pense au nouveau système Hybrid Air développé par PSA Peugeot Citroën ; cet accumulateur hydro-pneumatique qui récupère l'énergie cinétique dans les phases de freinage puis la libère est une première mondiale. Je pense aussi à la chirurgie robotisée mini-invasive dans laquelle s'est spécialisé l'Institut hospitalo-universitaire de Strasbourg, que j'ai visité il y a peu. Il faudra bien sûr vérifier par une évaluation macroéconomique que nous avons effectivement créé un flux additionnel d'innovations déclinées en produits aptes à soutenir l'appareil productif français sur les marchés.

J'en viens plus précisément à l'aménagement numérique des territoires. Le Président de la République et le Premier ministre ont confirmé que le programme d'investissement dans les réseaux à très haut débit serait de 20 milliards d'euros sur les dix années à venir. Il devra permettre d'équiper l'ensemble du pays, avec une étape intermédiaire : l'accès généralisé au haut débit. Ce programme de 20 milliards sera financé pour les deux tiers par les opérateurs privés, et pour un tiers par les collectivités territoriales. Dans ce cadre, les investissements d'avenir interviendront de deux manières : à hauteur de 700 millions d'euros par des prêts aux opérateurs privés et pour 1 milliard d'euros sous forme de subventions aux collectivités territoriales pour la partie à leur charge.

Trois types de zones territoriales ont été définies : les zones denses, où les opérateurs privés interviennent seuls car l'investissement est rentable ; les zones conventionnées où interviendront à la fois opérateurs privés et collectivités territoriales, la rentabilité n'étant pas suffisante pour attirer les seuls opérateurs privés ; enfin, les zones dites d'initiative publique, où l'investissement est entièrement financé par les collectivités territoriales faute d'opérateur privé intéressé. Ainsi que je l'ai indiqué, les opérateurs privés bénéficieront de prêts à hauteur de 700 millions d'euros et les collectivités territoriales pourront accéder à une enveloppe de prêts de la Caisse des dépôts et consignations : l'État subventionnera les réseaux d'initiative publique à hauteur de 3 milliards, dont un milliard au titre des investissements d'avenir.

Le cahier des charges de l'appel à projets a été approuvé par un arrêté du Premier ministre daté du 29 avril 2013. Le Fonds national pour la société numérique a reçu 29 dossiers de subvention relatifs à des projets d'envergure au moins départementale. Ces projets concernent 38 départements et une population de 22 millions d'habitants ; chaque dossier concerne donc 1,3 département en moyenne. Au cours des prochaines années, 2,5 millions de foyers bénéficieraient ainsi de ce redéploiement dans les zones d'initiative publique, pour un investissement total de 3,15 milliards d'euros.

J'en viens aux trois programmes énergétiques. Ils concernent respectivement les énergies renouvelables et décarbonées et la chimie verte, l'économie circulaire, les réseaux électriques intelligents. J'aborderai également la sûreté nucléaire, ainsi que la ville de demain et la suppression des « passoires énergétiques », autrement dit la rénovation thermique des logements.

Les crédits prévus s'élèvent à 1,380 milliard d'euros pour les trois programmes énergétiques, dont 120 millions sont affectés à un fonds Ecotech aujourd'hui géré par la BPI, et qui a pour objet de prendre des participations dans un certain nombre de sociétés.

En ce qui concerne les énergies décarbonées, notre action s'appuie sur les IEED. Neuf projets d'IEED ont été retenus en mars 2012, pour 156 millions d'euros de crédits consommables et 685 millions de crédits non consommables. Quatre projets n'ont pas été retenus mais ont paru dignes d'intérêt ; une enveloppe de 80 millions leur a donc été accordée. Aucun des 9 projets retenus n'a encore fait l'objet d'une contractualisation, à la fois pour des raisons de complexité et parce que les IEED doivent franchir l'étape communautaire, ce qui exige d'incessants allers et retours entre l'administration française et la Commission européenne. La première contractualisation devrait intervenir dans les prochains jours, et elle fera date ; il n'est pas acceptable que des projets avalisés en mars 2012 ne se soient pas encore traduits par des contractualisations. C'est qu'il nous faut démontrer en permanence que ces projets n'entraînent pas des aides publiques dépassant certains seuils. Nous espérons signer 5 IEED dans les prochaines semaines ; le premier sera le projet Picardie innovations végétales, enseignements et recherches technologiques. La longueur du processus n'a pas empêché le lancement des programmes de recherche et développement (R&D), mais ils sont pour le moment exclusivement financés par les industriels.

Par ailleurs, grâce aux investissements d'avenir, l'ADEME finance des démonstrateurs. Le Commissariat général ne finance pas des séries – par exemple l'équipement en éoliennes ou en hydroliennes – mais des démonstrateurs qui permettront une industrialisation ultérieure. Il le fait dans trois domaines : les énergies décarbonées, les réseaux électriques intelligents et l'économie circulaire. Soixante-quinze projets ont été retenus, pour 650 millions d'euros de financement au titre des investissements d'avenir, qui génèrent, selon la règle communautaire, des financements privés équivalents. On parvient ainsi à un financement total de quelque 1,3 milliard d'euros. Ces projets concernent pour 23 % des établissements publics de recherche, pour 44 % des grandes entreprises et pour 33 % des PME. J'appelle votre attention sur ce dernier chiffre, qui est exceptionnel puisqu'en France, les PME réalisent moins de 20 % de la recherche industrielle : il traduit notre volonté d'attirer les PME vers ces programmes.

Trente-et-un projets sont à l'instruction, pour environ 200 millions d'euros – ce qui devrait donc déboucher, conformément à la règle, sur une dépense de 400 millions de R&D. Nous ciblons plus précisément les filières industrielles que nous souhaitons soutenir.

Pour ce qui est des réseaux électriques intelligents, nous cherchons à offrir aux acteurs nationaux les vitrines qui leur permettront de vendre leurs systèmes en France et surtout à l'exportation en leur permettant de développer des démonstrateurs. Je suis allé voir l'un d'entre eux chez Alstom à Saint-Nazaire.

Nous avons constaté deux obstacles à la valorisation des déchets. Tout d'abord, il convient de regrouper les déchets pour constituer des gisements plus massifs, qui seuls permettent l'industrialisation des processus. Il reste ensuite à poursuivre la réflexion sur les moyens d'accroître les débouchés des produits de l'économie circulaire. Désormais, nous ciblerons moins les opérations de valorisation de déchets proprement dites que les équipementiers qui produisent des équipements de tri et de valorisation.

Pour les démonstrateurs aussi, notre objectif est la simplification et l'accélération des procédures. J'ai indiqué en prenant mes fonctions que mes trois mots d'ordre seraient « simplifier, accélérer et travailler ensemble ». Pour autant, nous continuerons d'insister sur la présence de PME et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans ces projets, même si cela ralentit les procédures - il est en effet plus rapide de travailler avec les grandes entreprises, rompues à ce genre d'exercice.

Un mot sur la sûreté nucléaire. Après l'accident de Fukushima, 50 millions d'euros ont été dégagés dans l'enveloppe des investissements d'avenir au profit de la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection. Nous avons lancé un appel à projets, et en avons retenu 23, avec un taux de financement de l'ordre de 70 %. D'autres pourraient être financés si une enveloppe supplémentaire était décidée. Nous concentrons nos actions sur quatre thèmes : les évènements initiateurs, le déroulement de l'accident, la gestion de crise et les conséquences pour l'homme et l'environnement. Les programmes que nous finançons s'étendent sur quatre à huit ans ; l'objectif est d'aller assez vite pour permettre d'appliquer les résultats de ces recherches dans les travaux de sûreté en cours dans les centrales nucléaires.

J'en viens à la ville de demain. Il s'agit de financer des démonstrateurs de « ville durable » à la performance environnementale exemplaire. Nous avons engagé à cet effet 290 millions, soit 55 % d'une enveloppe qui est de l'ordre de 530 millions, dont 200 millions sont consacrés aux transports en commun en site propre et 90 millions aux actions sur la ville durable : systèmes d'information des voyageurs en temps réel, systèmes de billettique, équipements publics à énergie positive, îlots à énergie positive, systèmes de surveillance et de gestion des risques, gestion innovante de l'eau pluviale…

Le dernier programme, la rénovation thermique des logements, a suscité quelques difficultés. Il concerne les logements les plus modestes, qui sont souvent de véritables « passoires thermiques ». Nous devions subventionner 30 000 logements chaque année. Cet objectif n'a pas été atteint : nous en sommes aujourd'hui à 22 000 logements subventionnés. Nous constatons une assez forte réticence des propriétaires à s'engager dans ces travaux. Il s'agit souvent de personnes âgées, réticentes à l'idée de faire des travaux, qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour compléter la subvention, qui ont pris l'habitude de vivre mal chauffées et qui se méfient des colporteurs en tout genre… En bref, il n'y a guère que les maires qui puissent les convaincre.

Nous avons pris deux mesures pour accélérer la mise en oeuvre de ce programme : nous avons renforcé le financement des travaux afin de diminuer la part restant à la charge des propriétaires et élargi l'assiette des publics concernés en relevant le seuil des revenus éligibles. Enfin, le Gouvernement a décidé d'accorder sur cette enveloppe, aux classes moyennes cette fois, une prime de 1 350 euros par logement à ceux qui souhaiteraient réaliser des travaux d'amélioration comportant au moins deux types d'intervention.

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