Intervention de Philippe Laffon

Réunion du 22 mai 2013 à 10h00
Commission des affaires économiques

Philippe Laffon, inspecteur général des affaires sociales, co-auteur du rapport commandé par le Gouvernement sur le statut de l'auto-entrepreneur :

Je vous remercie Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs les députés, le rapport, qui a été commandé par six ministres, vise à dresser un état des lieux objectif d'un dispositif appliqué à compter du 1er janvier 2009 et d'objectiver les critiques dont il a fait l'objet dès sa naissance, en vue d'évaluer l'ampleur des risques qu'il présente.

C'est un dispositif simplifié tant en matière d'obligation comptable qu'en matière de déclaration, pour l'exercice d'activités artisanales, commerciales et libérales. Il a connu un succès quantitatif important – on compte à l'heure actuelle, vous l'avez indiqué Monsieur le Préisdent, près de 900 000 auto-entrepreneurs dont la moitié seulement réalise un chiffre d'affaires.

Il est également hétérogène que ce soit en termes d'activités ou d'origine des auto-entrepreneurs. Pour ceux qui sont dans une dynamique de création d'entreprise, ce régime constitue un sas d'entrée dans un statut plus pérenne. D'autres personnes – des demandeurs d'emplois – souhaitent recourir à ce statut pour créer leur propre emploi. D'autres, enfin, – des salariés, des retraités ou des étudiants – y voient seulement la possibilité d'exercer une activité accessoire afin d'améliorer leur revenu.

Le dispositif fait l'objet de trois critiques principales.

La première est le risque de distorsion de concurrence par rapport aux autres travailleurs indépendants – artisans, commerçants, professions libérales. Il est difficile d'effectuer des comparaisons en termes de pression fiscale et sociale. En effet, les cotisations des auto-entrepreneurs sont prélevées sur le chiffre d'affaires, sans possibilité de déduire les charges, contrairement au régime réel ou au régime fiscal simplifié. Le dispositif a été, de plus, modifié dans le cadre de la dernière loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 qui a relevé les taux de prélèvement applicables aux trois grandes catégories d'activités – commerce, artisanat et professions libérales.

Pour les auto-entrepreneurs qui sont au seuil de leur chiffre d'affaires, le taux de prélèvement social est comparable à celui de l'artisan, du commerçant ou d'une profession libérale soumise au régime réel ou au régime de la micro-entreprise. En revanche, des distorsions importantes demeurent en termes de prélèvements fiscaux : outre que les auto-entrepreneurs bénéficient de la franchise de TVA, la question de l'exonération de cotisation foncière des entreprises (CFE) n'est pas encore réglée.

Le régime de l'auto-entrepreneur devient vite inadapté si le montant des charges devient important.

Mais il ne suffit pas de comparer les pressions fiscales et sociales selon les régimes ; il faut aussi se pencher sur les secteurs où l'auto-entreprenariat représente une forte concurrence. Le rapport s'est plus particulièrement intéressé à ceux du bâtiment et de la coiffure. En termes d'activité économique globale, la part des auto-entrepreneurs est résiduelle – 1 % du chiffre d'affaires du secteur du bâtiment. Il est en revanche difficile de mesurer l'impact des auto-entrepreneurs sur la dynamique des effectifs salariés dans les secteurs concernés, car celle-ci dépend de la conjoncture. La création d'un nombre donné d'auto-entrepreneurs dans un secteur ne permet pas de conclure à une baisse équivalente du nombre de salariés de ce secteur. Il est évident qu'avant même la création du régime des auto-entrepreneurs, le nombre de salariés baissait dans le secteur de la coiffure. Dès l'année 2000, de nombreux petits artisans coiffeurs se sont mis sous le régime de la mono-entreprise. De même, dans le secteur du bâtiment, l'auto-entreprenariat est apparu au moment où la conjoncture devenait défavorable.

Le deuxième risque, vous l'avez évoqué Monsieur le Président, est celui du détournement du modèle salarial : de leur propre initiative ou à la demande de l'employeur, des salariés pourraient en effet être contraints d'adopter le statut d'auto-entrepreneur. Ce risque concerne les phases de début d'activité – le régime d'auto-entrepreneur peut être un substitut à la signature de stages ou de CDD – ou les phases de fin d'activité : des seniors se voient proposer des conventions de rupture à l'amiable de leur contrat de travail en échange de la récupération d'une petite activité sous le régime de l'auto-entrepreneur.

Le risque est réel, comme en témoignent de très nombreuses remontées, notamment sur les forums. Il est toutefois impossible d'établir des statistiques précises en se fondant sur les contrôles effectués par l'inspection du travail et les Urssaf ou sur les litiges traités par les prud'hommes. En effet, les auto-entrepreneurs ne constituent pas une catégorie statistique, faute de constituer une catégorie juridique (je rappelle qu'ils ne sont pas définis en tant que tels) ; ils bénéficient simplement d'un mécanisme particulier de déclaration et de paiement des cotisations. Ainsi, Pôle Emploi peut connaître le nombre de demandeurs d'emploi ayant une activité indépendante, mais pas celui des demandeurs d'emplois qui sont également auto-entrepreneurs. Il est donc impossible d'objectiver ce risque.

Le risque de fraude existe également du fait que le régime des auto-entrepreneurs est un régime déclaratif simplifié fondé sur l'assiette du chiffre d'affaires. Les risques sont même élevés, s'agissant notamment du recouvrement des cotisations de sécurité sociale. L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui est la caisse des Urssaf, et le Régime social des indépendants (RSI) ont commencé à lancer des plans de contrôle et ont développé des méthodologies pour évaluer les risques de fraude : la fréquence de redressement s'élève à un tiers pour une moyenne de 500 euros par redressement. C'est un montant très faible, en rapport aux chiffres d'affaires, pour des procédures compliquées, les organismes de recouvrement étant habitués à contrôler les déclarations de données sociales des entreprises et non des informations bancaires – celles des auto-entrepreneurs ou de leurs conjoints. De plus, ces redressements ont le plus souvent pour origine une méconnaissance, par les auto-entrepreneurs, de leurs obligations déclaratives. Il s'agit en effet d'un public précaire qui ne connaît pas les obligations liées à la création d'une entreprise.

Ce régime a également pour effet de réintégrer dans la sphère sociale et légale des activités informelles, mais on ignore dans quelle proportion – l'évaluation est difficile.

Enfin, le dispositif pèche, depuis l'origine, par un défaut d'accompagnement des auto-entrepreneurs à passer à une phase plus efficace de création d'entreprise.

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