Intervention de Anne Paugam

Réunion du 22 mai 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Anne Paugam, dont la nomination à la fonction de directrice générale de l'Agence française de développement est envisagée par le Président de la République :

Toutes ces questions témoignent de l'intérêt très fort que les parlementaires portent à la politique d'aide au développement. M. Christ m'interroge sur la façon dont le Parlement pourrait être mieux associé en amont à la définition des orientations et des choix de l'Agence. Je considère essentiel le dialogue avec le Parlement. Il complète celui que nous avons avec les pays partenaires, la société civile et les administrations.

Dans le temps bref qui m'est imparti, je ne pense pas pouvoir répondre de manière satisfaisante à l'ensemble des questions qui m'ont été posées. J'espère avoir l'occasion de revenir ultérieurement devant vous.

S'agissant du caractère lié ou délié des aides, la préoccupation économique est légitime car, je l'ai dit, un outil bilatéral doit tenir compte des priorités de notre pays. Il est clairement du rôle de l'AFD d'aider à la projection des savoir-faire français dans le monde. Je suis d'autant plus à l'aise pour le dire devant vous aujourd'hui que j'ai été de ceux qui ont en 2002 plaidé pour le déliement de l'aide. Relier l'aide serait rendre un mauvais service à nos entreprises, contrairement à ce que semblent penser une ou deux d'entre elles qui donnent de la voix sur le sujet. Dans leur très grande majorité d'ailleurs, elles ne demandent pas que l'aide soit de nouveau liée car elles y perdraient. En effet, l'aide française représente aujourd'hui moins de 5% de l'aide mondiale qui donne lieu à des marchés. Elles seraient donc perdantes si chaque pays liait de nouveau son aide. Les entreprises françaises obtiennent aujourd'hui environ un tiers de parts de marché sur les projets financés par l'AFD, soit beaucoup plus que leurs parts de marché dans l'économie mondiale. Cela prouve d'ailleurs que l'AFD est d'ores et déjà positionnée dans les secteurs privilégiés de nos savoir-faire. Cela n'interdit pas de progresser. Il faut identifier de manière très précise pays par pays les secteurs forts de l'économie française que notre aide pourrait donner l'occasion de servir. Il faut pour cela dialoguer – c'est tout le sens de la diplomatie économique – avec l'ensemble des acteurs, dont Ubifrance, les conseillers du commerce extérieur, les représentants des entreprises et de l'ingénierie sur le terrain… Ce dialogue doit permettre d'éviter qu'il arrive, comme cela a pu advenir par le passé, que des experts français édictent des prescriptions ne correspondant pas aux techniques employées par les entreprises françaises, qui se trouvaient donc de fait exclues des marchés.

On peut faire davantage, à la fois par la mobilisation concrète que je viens d'évoquer et par une meilleure prise en compte des normes sociales et environnementales dans les appels d'offres d'une part au stade de la pré-qualification, d'autre part au stade de la valorisation monétaire par l'ensemble des bailleurs de ces exigences dans les cahiers des charges. Mais l'AFD ne peut pas avancer seule sur ce sujet. Il est vrai, comme l'un d'entre vous l'a souligné, que les entreprises japonaises emportent beaucoup de marchés en Asie. Cela ne tient pas seulement à la présence naturelle du Japon dans la zone, mais aussi au fait que ce pays est capable d'effectuer, sans aucun état d'âme, des dons pour des totaux de centaines de millions d'euros ou de financer des études et de l'expertise dans des pays que nous considérons, nous, comme émergents et dont nous débattons pour savoir s'il est judicieux de leur accorder des prêts, fût-ce cela sans coût pour l'État. C'est toute l'importance de participer à l'élaboration des normes et à la définition des politiques sectorielles dans les pays, mais aussi de suivre de près la rédaction des cahiers des charges des appels d'offres. Il est donc essentiel de pouvoir financer de l'expertise dans tous les pays d'intervention, et d'y consacrer plus de moyens. Sans aller jusqu'à rêver du milliard d'euros que la GTZ allemande a chaque année à sa disposition, il est possible de faire davantage qu'aujourd'hui.

Outre que relier l'aide coûterait beaucoup plus cher au budget de l'État, cela nous interdirait d'intervenir dans certains pays, dont certains depuis longtemps, comme l'Inde ou la Chine, refusent toute aide liée. Dans ces pays, nous n'avons plus le choix qu'entre développer une stratégie d'influence indirecte la plus subtile possible pour promouvoir les savoir-faire français ou être absents.

Notre action dans les pays émergents ne se fait pas au détriment de l'Afrique. Je suis l'une des premières à regretter que nous ne puissions pas accorder plus de dons aux 17 pays pauvres prioritaires. Je n'ignore pas que mes prédécesseurs l'ont déploré eux aussi mais tout ne dépend pas de moi. Le premier moyen d'atteindre le rééquilibrage souhaité est d'adapter le budget de l'aide (APD) en conséquence. Je vous le dis à vous qui le votez, dans le cadre des contraintes budgétaires que nous connaissons. Cela étant, je suis convaincue que les prêts ont aussi toute leur utilité : tous les pays qui se sont développés y ont eu recours pour étaler la charge de leurs investissements. Aucun d'entre eux ne s'est appuyé seulement sur les dons et il est bon signe pour un pays lorsque, dans le strict respect de la soutenabilité de sa dette, il devient capable d'emprunter à des taux très concessionnels, puis un peu moins concessionnels, et enfin sur les marchés financiers.

Les pays les plus pauvres ont bien sûr surtout besoin, eux, de dons. Il faut pouvoir en mobiliser le maximum à leur profit. Il est aussi du rôle de l'AFD de mobiliser des subventions partout où il est possible, auprès de l'Union européenne, des grandes fondations internationales,… et de rechercher toutes solutions mixtes entre dons et autres outils, afin d'obtenir un effet démultiplicateur.

Ne perdons pas de vue que notre action dans les pays émergents est sans coût pour le budget de l'État et qu'on ne déshabille jamais Pierre pour habiller Paul. Au contraire, les pays les plus pauvres bénéficient indirectement de la taille et de la surface financière de l'Agence, qu'elle ne pourrait avoir si elle n'intervenait pas aussi dans les pays émergents – elle possède par exemple une dizaine de spécialistes mondiaux de l'environnement, travaillant aussi bien pour l'Indonésie que pour le Mali. Loin de s'opposer, les objectifs par catégories de pays sont complémentaires. Il faut simplement différencier les mandats et surtout ne pas considérer que les thématiques environnementales sont étrangères aux pays les plus pauvres.

Quel peut être l'impact de notre action sur la problématique environnementale dans ces pays ? Le Fonds vert pour le climat devrait normalement mobiliser 100 milliards de dollars par an, soit autant que le montant total de l'aide au développement. Comment sera-t-il structuré ? Une agence bilatérale comme l'AFD, qui possède une bonne connaissance de l'Afrique et un incontestable savoir-faire en la matière, pourra t'elle mettre en oeuvre les financements de ce fonds ou créera-t-on un nouveau fonds vertical thématique, susceptible de mal s'articuler avec le reste ? Si nous pouvons peser là-dessus, c'est parce que l'Agence est, parmi les bailleurs de fonds, l'un des premiers financeurs de la lutte contre le réchauffement climatique et de la préservation de la biodiversité. Plus que notre influence dans chaque pays, c'est notre influence agrégée qu'il faut prendre en considération. Avec plus de deux milliards d'euros d'aides consacrés à la lutte contre le changement climatique, nous pouvons compter à la table des négociations internationales sur ces sujets.

L'accaparement des terres est une préoccupation. Il faut être très vigilant. Si vous me faites l'honneur de confirmer ma nomination, j'exigerai que l'AFD ne soit pas impliquée, même indirectement, dans des financements aboutissant in fine à des acquisitions non souhaitables de terres. Il faut en ce domaine d'une part participer à des projets concrets – l'Agence collabore ainsi à divers projets de sécurisation des terres pour les propriétaires et les fermiers, et de structuration des administrations foncières –, d'autre part élaborer des doctrines et des diligences partagées par l'ensemble des bailleurs, au premier rang desquels la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation. Outil bilatéral, l'AFD doit être exemplaire sur le sujet et porter un haut degré d'exigence.

Il en va de même pour les thématiques du développement durable et de l'énergie. L'énergie est un sujet central dans la stratégie de l'AFD, qui a pris des engagements forts sur le climat. Pour les honorer, elle doit se mobiliser sur la transition énergétique et les énergies renouvelables. Ces dernières incluent bien sûr l'hydroélectricité. Il faut être très vigilant sur la manière dont est menée à bien la construction de barrages, toujours délicate, étant donné qu'elle touche inévitablement des populations et menace la biodiversité. Pour répondre aux immenses besoins énergétiques du continent africain, le développement des énergies renouvelables – dont fait partie l'hydroélectricité – est la priorité.

L'AFD s'est engagée à éviter de financer une agriculture faisant appel aux OGM.

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