Intervention de Delphine Batho

Réunion du 22 mai 2013 à 16h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

D'emblée je tiens à vous rappeler une donnée qui illustre les enjeux liés à l'adaptation aux changements climatiques : une étude récente estime qu'en 2070, en France, les débits d'été des cours d'eau auront diminué de 30 à 60 % dans notre pays. Par ailleurs, nous savons qu'aujourd'hui, dans le monde, 800 millions de personnes n'ont pas d'accès à l'eau potable, et que 2,6 milliards d'êtres humains ne disposent pas d'un assainissement amélioré. On comprend pourquoi l'UNESCO a dédié l'année 2013 à la coopération internationale dans le domaine de l'eau !

En France, les grands principes de la politique de l'eau sont clairs. Tout d'abord, l'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général. Ensuite, l'usage de l'eau appartient à tous, et chaque personne a le droit d'accéder à l'eau potable. Enfin, le coût d'utilisation de l'eau est supporté par l'utilisateur.

Le dispositif français de gestion par bassin versant, d'association des parties prenantes et de répercussion des coûts a servi de modèle pour l'élaboration de la directive-cadre européenne sur l'eau du 23 octobre 2000, qui a été transposée en droit français par la loi du 21 avril 2004 et par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006. Toutefois, beaucoup reste à faire concrètement pour atteindre l'objectif fixé par la directive : parvenir à deux tiers des masses d'eau de surface en bon état écologique en 2015.

Les actions à entreprendre pour atteindre ces objectifs sont identifiées dans les programmes de mesures accompagnant les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Les projets des maîtres d'ouvrage permettant la mise en oeuvre des actions sont cofinancés par les agences de l'eau. Pour ce faire, ces dernières collectent des redevances auprès des usagers. La politique de l'eau dispose ainsi d'une ressource affectée.

Les dixièmes programmes d'intervention des agences de l'eau pour la période 2013-2018 ont été adoptés fin 2012. Les travaux de révision des SDAGE et des programmes de mesures vont débuter dès 2013 pour aboutir, en juin 2014, à un projet qui sera soumis à consultation du public. Cette révision doit redéfinir les objectifs de bon état et les mesures à mettre en oeuvre pour les atteindre au cours de la période 2016-2021.

La conformité du dispositif français de mise en oeuvre de la directive a été soulignée par la Commission européenne dans le cadre de sa récente communication Blueprint. Les conclusions sont positives pour la France, en particulier sur les aspects de gestion par bassin, de recouvrement des coûts, d'organisation générale de la planification et de l'inspection. C'est finalement avant tout l'organisation française du petit cycle de l'eau – prélèvement et assainissement – qui a été ainsi validée. Néanmoins, les difficultés que rencontre la France à atteindre l'objectif du bon état écologique des eaux nécessitent une analyse approfondie et des solutions opérationnelles. Elles concernent avant tout le grand cycle de l'eau, qui va des pluies à l'écoulement de l'eau jusqu'à la mer.

Nous constatons le maintien d'un haut niveau de pollutions diffuses, notamment d'origine agricole – je pense en particulier aux nitrates et aux pesticides –, une insuffisance de maîtrise d'ouvrage au niveau local en raison de l'éparpillement des compétences entre les collectivités et l'État, et, enfin, une insuffisance de la restauration de la continuité des cours d'eau. C'est pourquoi j'ai proposé que le comité interministériel de modernisation de l'action publique (CIMAP) retienne la politique de l'eau parmi les quarante politiques publiques partenariales à évaluer avec l'ensemble des acteurs concernés : État, collectivités, organismes sociaux et opérateurs. Il s'agit de construire une vision collective des enjeux, des finalités, et des modalités de mise en oeuvre de ces politiques publiques. Le Premier ministre m'a confié la mission de conduire cette évaluation. Les travaux ont démarré en mars 2013. Une évaluation similaire relative à la police de l'environnement sera menée à partir du mois de juin. Au sein de mon ministère, les politiques maritimes font également l'objet de ce processus de modernisation de l'action publique.

En termes de calendrier, la démarche d'évaluation de la politique de l'eau s'inscrira dans le cadre de la révision des SDAGE et de la préparation de l'état des lieux des masses d'eau. Ces éléments vont apporter des informations utiles à l'établissement du diagnostic. Cette évaluation de la politique de l'eau s'appuie sur un certain nombre de travaux en cours auxquels la commission du développement durable de l'Assemblée est étroitement associée. Ainsi, le député Michel Lesage conduit une mission parlementaire sur le bon état des masses d'eau. Il est chargé de faire un bilan de la politique de l'eau depuis la loi sur l'eau de 2006 et d'identifier les points de blocage conduisant aux retards observés, Une autre mission parlementaire a été confiée au député Philippe Martin sur la gestion quantitative de l'eau. Elle porte sur la définition d'un nouveau modèle d'utilisation de l'eau en agriculture. Par ailleurs, le Conseil général de l'environnement et du développement durable a constitué une équipe opérationnelle qui vient en appui à l'ensemble de la démarche d'évaluation. Un comité de pilotage constitué des différents partenaires de la politique de l'eau est installé et placé sous ma présidence. Il s'est réuni une première fois le 4 mars et se réunira à nouveau lundi prochain. Le Comité national de l'eau, présidé par votre collègue M. Jean Launay, a aussi apporté des éléments de diagnostic à l'équipe opérationnelle. Il se réunira à nouveau le 26 juin prochain pour alimenter le débat sur les propositions de réforme. L'ensemble de ces travaux servira à alimenter la démarche globale d'évaluation de la politique de l'eau inscrite à l'ordre du jour de la deuxième conférence environnementale qui se réunira les 20 et 21 septembre prochains. J'ai, en effet, décidé d'inscrire la politique de l'eau parmi les thèmes de cette conférence. Le plan d'action de modernisation sera lancé dans la foulée, en octobre 2013.

Cependant, il m'a semblé nécessaire d'agir sans attendre les conclusions de l'évaluation sur deux points en particulier.

Le premier concerne la tarification sociale de l'eau. Des mesures concrètes pour la mise en oeuvre du droit à l'eau restaient à prendre. Introduisant la tarification progressive, la loi de 2006 ne répondait pas aux attentes de nombreuses collectivités souhaitant instituer une tarification préférentielle de l'eau pour les foyers les plus modestes. Des dispositions avaient bien été prises pour la couverture des impayés d'eau pour les personnes en situation de précarité, mais il fallait attendre que les abonnés soient dans l'incapacité de payer leur facture d'eau pour que la solidarité puisse s'exercer. C'est pourquoi le Gouvernement a présenté des amendements à la proposition de loi Brottes, qui sont devenus les articles 27 et 28 de la loi du 15 avril 2013. Outre la clarification de la possibilité générale d'introduire une tarification progressive pour les ménages, une expérimentation de cinq ans permettra aux collectivités qui le souhaitent de mettre en place des dispositifs de tarification sociale dont les résultats pourront être examinés afin de disposer des informations nécessaires à leur éventuelle généralisation. L'expérimentation prend la forme d'un appel à projets pour identifier les modalités administratives et financières les plus efficientes pour assurer pleinement le droit à l'eau potable dans des conditions économiques acceptables. Afin de permettre aux candidats d'engager l'expérimentation sans attendre, une première liste pourrait être validée par décret dès cet automne.

Le second point concerne la compétence de gestion des milieux aquatiques. À la lumière des événements dramatiques de l'année 2010, notamment de la tempête Xynthia et des inondations dans le Var, il m'est apparu nécessaire de coordonner les actions de prévention du risque « inondation » et de donner aux collectivités publiques les moyens d'y répondre, en clarifiant la répartition des compétences. L'article 16 du projet de loi relatif au développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale, qui a été examiné en conseil des ministres le 10 avril 2013, crée une compétence de gestion des milieux aquatiques. Elle est confiée à la commune, mais elle devrait le plus souvent être exercée par l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme et d'aménagement de l'espace. Dans tous les cas, ces collectivités sont incitées à transférer cette compétence à un établissement public territorial de bassin (EPTB), à l'échelle d'un bassin versant. Cette clarification des compétences permettra d'assurer un meilleur entretien des cours d'eau et une prévention des inondations renforcée.

Pour conclure, je souhaite évoquer l'avenir de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA). Cet établissement joue un rôle central dans la mise en oeuvre de la politique de l'eau. Ses fonctions sont diverses : collecte et diffusion de données sur l'eau dans le cadre du système d'information sur l'eau, police de l'eau, études et recherches en appui à la politique de l'eau, et appui technique et financier dans les départements d'outre- mer. Des dysfonctionnements importants ont été relevés par la Cour des comptes dès son rapport d'observations provisoires portant sur la période 2007-2011. J'ai nommé une nouvelle directrice générale à la tête de l'établissement le 23 octobre 2012, en la chargeant de remédier aux dysfonctionnements constatés. Les anomalies relevées par la Cour sont nombreuses : absence de fiabilité des comptes, absence de procédure formalisée d'engagement de la dépense, gestion des systèmes d'information défaillante, sous-traitances non déclarées, anomalie dans les passations de marchés publics… La Cour constate aussi, ce qui est plus grave de mon point de vue, un défaut de positionnement clair de l'opérateur par rapport à la tutelle et donc une absence de stratégie de long terme, avec son corollaire : une gestion des ressources humaines erratique, toujours marquée par l'urgence. Il y a incontestablement eu une défaillance de la tutelle, qui a laissé perdurer ces dysfonctionnements et qui les a même parfois engendrés.

Les agents de l'ONEMA, qui ont fait leur travail dans un contexte difficile, ne sont pas en cause dans leur probité et leur déontologie professionnelle. Beaucoup d'entre eux sont très engagés dans leur travail. Ils ont vécu comme une remise en cause personnelle les échos donnés au rapport de la Cour des comptes. Certains même, je pense aux agents chargés des contrôles, se retrouvent sur le terrain dans des situations difficiles. Je tiens à rappeler qu'ils sont chargés d'une mission essentielle de service public et qu'ils méritent notre respect.

Cela dit, je ne suis pas en mesure de m'exprimer concernant la gestion passée de l'ONEMA sachant que le Premier président de la Cour des comptes a transmis le rapport définitif de la Cour au parquet général de la cour de discipline budgétaire et financière.

Pour ma part, j'ai inscrit à l'agenda social de mon ministère la poursuite des travaux concernant la création d'un cadre permettant à l'ONEMA de recruter le personnel dont il a besoin. Malgré la trajectoire budgétaire contrainte du ministère, je fais de la question de l'évolution du statut des techniciens de l'environnement et des agents techniques de l'environnement, une priorité. Des promesses avaient été faites par le précédent Gouvernement ; il est temps de régler la situation ! À titre transitoire, ma priorité est la pérennisation des contrats à durée déterminée pour les agents actuellement en poste sur des emplois permanents à l'ONEMA. Afin de hiérarchiser ses missions, comme le recommande la Cour des comptes, je signerai prochainement le nouveau contrat d'objectifs. Le 14 mai dernier, le Conseil d'État a validé le décret relatif à la présidence du conseil d'administration de l'établissement public, qui ne sera plus assurée à l'avenir par la direction de tutelle afin de lui éviter tout conflit avec son rôle de commissaire du gouvernement. Ce décret sera signé très prochainement.

Enfin, dans le cadre de la réflexion en cours sur la création de l'Agence française pour la biodiversité, souhaitée par le Président de la République, j'ai demandé aux préfigurateurs de développer un scénario consistant à créer cette agence autour de l'ONEMA, considérant les liens très forts entre les missions de cet établissement et la diversité biologique. Je précise que cette piste privilégiée est choisie afin d'éviter un démantèlement de l'ONEMA. Il n'est pas question que les financements de la politique de l'eau servent à financer la politique de la biodiversité. L'argent de l'eau restera affecté à l'eau !

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