L'Assemblée nationale ayant déjà accompli un important travail sur le thème de la prostitution, en particulier dans le cadre du rapport établi par vos collègues Guy Geoffroy et Danièle Bousquet, je centrerai mon propos sur quelques points qui nous paraissent particulièrement importants.
En matière de prostitution, comme vous le savez, la Ligue des droits de l'Homme se situe dans le courant abolitionniste – nous ne sommes favorables ni à sa légalisation ni à son interdiction. Sa légalisation constituerait une validation et une légitimation, créerait un appel d'air et encouragerait les acteurs de la prostitution, déjà extrêmement offensifs à l'encontre de la légalité. Quant à son interdiction, d'une part, en tant qu'association de défense des libertés, nous n'y sommes pas prédisposés, mais surtout, comme la prostitution est un système global qui s'inscrit dans le cadre des violences patriarcales, l'expérience nous montre qu'en la matière la répression peut être une option mais n'est jamais la panacée.
Nous sommes partisans d'un processus global d'éducation qui irait de l'école au débat public par le biais de ses acteurs les plus importants, à savoir les médias et les grandes agences de publicité. J'insiste sur le caractère global de ce processus car nous parlons souvent et avec beaucoup d'émotion des enjeux liés à la prostitution et à la traite des êtres humains, mais en réalité nous savons peu de choses sur ces phénomènes et surtout sur leur diversité. Nous parlons de « prostitution », or il conviendrait de mettre le mot au pluriel car le phénomène existe sous différentes formes qui n'appellent ni les mêmes politiques ni les mêmes prophylaxies.
Cette diversité doit être prise au sérieux, et l'enquête menée par la mission Lotus-bus de Médecins du monde sur les prostituées chinoises à Paris est à cet égard très intéressante car il s'agit d'une forme spécifique de prostitution.
En ce qui concerne la traite des êtres humains, je constate avec regret que dix ans après le vote de la loi de sécurité intérieure de 2003, ce texte n'a fait l'objet d'aucun bilan public. Cette absence d'information est dommageable car elle ne nous permet pas d'estimer l'efficacité des politiques publiques engagées dans ce domaine. Permettez-moi toutefois, en l'absence de bilan, de vous livrer mon opinion : la lutte contre la traite souffre d'un certain nombre de maux qui participent tous, de près ou de loin, d'un paradigme pervers car les pouvoirs publics considèrent la prostitution comme un mal relevant de la politique des migrations et non de la défense des droits de l'homme. La délivrance du titre de séjour nous paraît extrêmement arbitraire, et l'application qui est faite de la loi ne semble pas rendre plus facile la lutte contre les proxénètes.
L'obtention du droit d'asile relève du parcours du combattant, mais la difficulté s'aggrave pour les femmes concernées par la traite des êtres humains : les trafiquants ont mis au point une stratégie consistant à présenter une demande fictive de droit d'asile pour leurs victimes, mais cette demande est si mal formulée qu'elle n'aboutit pas. Lorsque les femmes présentent ensuite une seconde demande, celle-ci n'est pas prise au sérieux et aboutit au mieux à l'octroi d'une protection subsidiaire, mais en aucun cas au statut, beaucoup plus protecteur, de réfugié.
La protection, l'accueil et l'hébergement sont très largement abandonnés au secteur associatif. Les associations font ce qu'elles peuvent avec les moyens dont elles disposent, mais la protection, l'accueil et l'hébergement passent par des locaux, des personnels et du savoir-faire, ce qui exige du temps, des formations et des moyens financiers – or ceux-ci, au lieu d'augmenter, se réduisent comme une peau de chagrin.
Ce qui rend les choses compliquées, c'est que le délit de racolage passif est toujours en vigueur – même si, comme nous l'espérons, ce ne sera plus le cas dans quelques mois – or il renforce les approches répressives de l'ensemble du phénomène, y compris de celles qui en sont les premières victimes. Il va de soi que l'on ne protège pas les victimes en les mettant en prison.
Vous l'aurez compris, la reconnaissance de la prostitution comme un métier ouvrant des droits en tant que tel, même si elle s'accompagne de revendications sociales en matière de sécurité, de santé et de carrière, ne nous semble ni raisonnable ni digne. Nous restons profondément attachés à l'idée que le corps n'est pas une marchandise et que laisser un individu le vendre pour survivre constitue une indignité sociale. Nous ne sommes pas non plus favorables à la répression, car pour nous l'idée selon laquelle elle suffirait à contenir le problème dans des limites acceptables, voire à le supprimer, n'est qu'une illusion politique.
En ce qui concerne les moyens de lutter contre la prostitution et la traite des êtres humains, je suis d'accord avec vous : le cadre législatif de notre pays est suffisant pour que nous ayons les moyens de lutter contre ces fléaux. Mais ces moyens ne sont pas mis en oeuvre ; il convient donc de veiller à leur effectivité.
Sur ce point, je me dois d'insister sur le caractère extraordinairement dispersé des outils administratifs qui existent sur notre territoire. Je ne suis pas convaincu qu'il faille créer un ministère pour chaque problème, mais il faut bien reconnaître qu'en la matière, la dispersion ministérielle ne joue pas en faveur de la résolution des problèmes posés.