Intervention de Didier Migaud

Réunion du 28 mai 2013 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux d'être auditionné par votre Commission sur les travaux que la Cour produit chaque année pour le Parlement en application de la loi organique relative aux lois de finances – LOLF –, dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement : d'une part, l'acte de certification des comptes de l'État et, d'autre part, le rapport relatif aux résultats et à la gestion budgétaire.

S'agissant de l'exercice 2012, ces deux documents ont été préparés par la formation interchambres présidée par M. Raoul Briet, ici présent. Les travaux sur lesquels s'appuient ces documents ont été réalisés par des équipes animées, s'agissant de l'acte de certification, par MM. Dominique Pannier, conseiller maître, Lionel Vareille, conseiller référendaire, et Laurent Zérah, expert, et, s'agissant du rapport sur les résultats et la gestion budgétaire, par Mme Catherine Perin, conseiller maître, MM. Fabrice Malcor et Louis-Paul Pelé, rapporteurs, les contre-rapporteurs étant MM. Christian Charpy, François-Roger Cazala et François Monier.

J'aborderai successivement et de façon aussi concise que possible le contenu de ces deux documents, qui synthétisent chacun un important travail, avant de répondre à vos questions.

Comme depuis sept ans maintenant, la Cour a transmis au Parlement son opinion sur les comptes de l'État pour l'exercice 2012, tels qu'ils ont été arrêtés par le ministre de l'Économie et des finances pour être intégrés dans le projet de loi de règlement qui vous sera soumis dans quelques jours.

La certification a pour objet d'apporter une assurance raisonnable sur la régularité des états financiers qui forment le compte général de l'État, sur leur sincérité et sur le fait qu'ils donnent une image fidèle. Cette comptabilité de l'État a été mise en place à partir de 2006, en application de la LOLF. Elle s'inspire, autant que possible, des principes de la comptabilité privée, tout en s'adaptant aux spécificités de l'action publique. Elle livre des informations très riches que la comptabilité budgétaire, créée il y a plus de deux siècles pour suivre le respect de l'autorisation parlementaire, n'apporte pas. En particulier, elle fournit une visibilité sur les dépenses de demain qu'entraîneront les engagements pris hier et aujourd'hui, ce que ne permet pas toujours la comptabilité budgétaire.

Quant à la certification, elle est l'instrument qui permet d'assurer la transparence des comptes publics et le fait qu'ils en donnent une image fidèle. Cette transparence est due aux parlementaires, aux citoyens et aux investisseurs en titres de dette, qui souhaitent légitimement disposer d'une information détaillée et fiable sur les actifs de l'État – son patrimoine et ses créances –, ainsi que sur ses passifs – notamment ses dettes, financières ou non financières. Elle conduit aussi à recenser les engagements hors bilan de l'État.

Je donnerai deux exemples illustrant l'utilité de cette comptabilité certifiée.

Premièrement, elle présente, dans ce que l'on appelle le « hors bilan », les engagements de l'État à l'égard des tiers. Nous avons adressé au début du mois à la commission des Finances du Sénat un rapport très riche sur ce sujet, cantonné jusqu'ici à quelques initiés. J'en retirerai deux constats.

D'abord, au 31 décembre 2012, l'agrégat total des engagements hors bilan de l'État excédait 3 000 milliards d'euros, soit une fois et demi le montant du PIB. Il dépasse ainsi largement le passif total de l'État – 1 859 milliards d'euros – et, plus encore, le montant de sa dette financière – 1 412 milliards d'euros. Il recouvre certes des obligations éventuelles dont les horizons temporels et les risques de réalisation sont très variables, mais son ordre de grandeur et, surtout, son évolution dans le temps sont significatifs.

Ensuite, parmi ces engagements, les garanties accordées par l'État à des emprunts de tiers représentent un encours de 163 milliards d'euros, qui a triplé depuis 2006. Cette augmentation très importante tient certes à un effort de recensement de ces engagements, grâce en particulier à l'action de la Cour en tant que certificateur. Mais elle résulte également de la participation de la France aux mécanismes de soutien aux États en difficulté au sein de la zone euro. Dans son rapport, la Cour a souligné la vigilance qu'il convient d'exercer face à ces risques, afin de préserver la crédibilité de la signature de l'État. Je signale au passage que, s'agissant du prêt bilatéral de 11,3 milliards d'euros consenti à la Grèce, nous avons reçu du directeur général du Trésor une lettre d'affirmation expliquant les raisons pour lesquelles ce prêt n'est pas déprécié au 31 décembre 2012, à l'exception d'un montant limité à 231 millions d'euros, qui correspond au coût de sa bonification à la suite de l'assouplissement des conditions de remboursement décidé par l'Eurogroupe le 26 novembre 2012.

Le second exemple concerne une des réserves substantielles émises par la Cour : celle relative aux actifs et passifs du ministère de la Défense. Nous avons cette année approfondi nos vérifications sur un sujet majeur : le démantèlement des matériels nucléaires. À la lecture de l'acte de certification, vous verrez que le démantèlement des chaufferies nucléaires du porte-avions Charles-de-Gaulle n'a pas été provisionné et que celui des réacteurs des sous-marins nucléaires ne l'a été que sur une base incomplète. Par ailleurs, en matière de charges de personnel, le ministère de la Défense est confronté à des dysfonctionnements graves du calculateur Louvois, qui ont des répercussions directes dans un sens comme dans l'autre sur la solde de certains personnels. Nous les avions déjà identifiés dans l'acte de certification de l'an dernier et les mentionnons à nouveau cette année. S'il fallait se convaincre que la certification n'est pas seulement un acte de pure technique comptable, mais qu'elle permet d'identifier chaque année des sujets relatifs à la gestion de l'État, voilà des exemples parlants.

J'en viens maintenant à la position de la Cour sur les comptes de l'exercice 2012. La Cour certifie que, au regard des règles et principes comptables qui lui sont applicables, le compte général de l'État de l'exercice 2012 est régulier, sincère et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'État. Elle le fait sous sept réserves, dont les champs sont inchangés par rapport à l'exercice précédent.

Nous avons constaté cette année une amélioration d'ensemble, qui affecte toutefois de manière très variable ces sept réserves, toutes qualifiées de substantielles par la Cour l'an dernier. Nous pouvons lever cette année seize parties de réserves, contre huit l'année dernière. Nous avons également relevé moins de points significatifs : soixante pour l'exercice 2012 contre soixante et onze pour l'exercice 2011.

Des progrès significatifs ont notamment été constatés sur deux réserves, conduisant la Cour à ne plus les qualifier de substantielles.

Il s'agit, d'une part, de la réserve sur le patrimoine immobilier de l'État. Celui-ci est désormais mieux recensé et évalué, tant pour les immeubles situés sur le territoire national que pour ceux situés à l'étranger. Pour que la Cour lève la réserve qui demeure, les progrès observés en 2012 devront être poursuivis en 2013. Un tel effort permettra à l'État d'utiliser davantage la comptabilité générale dans la gestion active de son patrimoine immobilier. À titre d'exemple, les actions de l'administration en 2012 sur le parc immobilier à l'étranger ont permis de le réévaluer de 500 millions d'euros à l'actif du bilan de l'État. Voilà un exemple d'une recommandation qui a été suivie d'effets.

D'autre part, la Cour a constaté des progrès concernant la réserve sur les passifs non financiers, qui sont notamment composés des engagements de l'État pris à l'égard des ménages, des entreprises, des organismes de sécurité sociale et des collectivités territoriales, au travers de plus de 1 300 dispositifs d'aide distincts. La valeur de ces passifs s'élève à 274 milliards d'euros. Les normes comptables qui leur sont applicables ont été modifiées au début de l'année 2012, ce qui a permis de résoudre de nombreux désaccords entre la Cour et le producteur des comptes quant à leur interprétation. Malgré le changement de normes comptables, l'administration s'est assurée du maintien du niveau de l'information donnée dans l'annexe des comptes de l'année 2012 sur ces passifs et ces engagements hors bilan. Il s'agit là, en effet, d'enjeux financiers majeurs : à titre d'illustration, l'État comptabilise un engagement hors bilan de 106 milliards d'euros pour les aides au logement et de 24 milliards pour l'allocation aux adultes handicapés ; ces montants pèseront très probablement sur les budgets futurs.

Les cinq autres réserves que la Cour avait formulées sur les comptes de l'année 2011 conservent leur caractère substantiel en 2012. Je ne les détaillerai pas : elles sont présentées dans l'acte de certification lui-même, ainsi que dans la synthèse qui l'accompagne. Elles portent respectivement sur le système d'information financière, les dispositifs de contrôle interne et d'audit interne, les produits régaliens, les actifs et passifs du ministère de la Défense et les participations et autres immobilisations financières.

Je souhaite insister particulièrement sur trois points.

D'abord, pour la première fois depuis 2006, la Cour lève une partie de sa réserve sur le contrôle interne et l'audit interne, s'agissant d'un processus majeur : celui relatif à la dette financière. Cette évolution montre que des progrès sont possibles en la matière. La Cour poursuit par ailleurs sa démarche de contractualisation de ses relations avec les auditeurs internes des ministères, afin de travailler de manière pleinement coordonnée avec eux, au bénéfice de la collectivité. Le contrôle interne et l'audit interne sont des instruments très efficaces qui permettent aux gestionnaires d'identifier et d'analyser les principaux risques pesant sur la fiabilité de leurs processus.

Ensuite, la Cour a relevé en 2012 des progrès, insuffisants toutefois, sur les produits régaliens, c'est-à-dire le produit des impôts. Le système de gestion fiscal français a été conçu à une époque où la comptabilité générale n'était pas une préoccupation. La conséquence en est une incertitude non pas sur les montants réellement encaissés par l'État, qui sont rigoureusement suivis, mais sur les droits et les obligations qui leur sont associés. Cette incertitude concerne, par exemple, le montant des créances fiscales enregistré dans les comptes, soit 56 milliards d'euros en valeur nette. Nous ne voyons pas de perspective de levée de cette réserve à court ou moyen terme. Pourtant, il nous semble que de premières avancées peuvent être accomplies, sans investissement financier lourd. Par exemple, les contrôles internes à l'administration sur la comptabilisation des recettes peuvent être améliorés avec les moyens humains ou informatiques actuellement en place. L'administration fiscale s'est engagée à étudier ce qu'il est possible de faire, mais le rythme adopté nous paraît, pour le moment, trop lent.

Enfin, la Cour a constaté des améliorations certaines concernant les participations financières de l'État. Conformément à notre recommandation, l'administration a revu la méthode d'évaluation de la participation que détient l'État dans la section générale de la Caisse des dépôts et consignations, ce qui est positif. La dynamique de la certification des comptes des entités publiques contrôlées par l'État s'est poursuivie cette année : 221 d'entre elles, contre 132 à la fin de l'année 2009, ont vu leurs comptes de 2012 soumis à une certification externe. La Cour aura l'occasion d'y revenir au second semestre, lors de la présentation du premier rapport de synthèse sur la qualité des comptes des entités publiques dont elle n'assure pas elle-même la certification, conformément à l'article 63 de la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011.

L'an dernier, la Cour avait alerté le Parlement et l'administration : elle avait constaté, pour l'exercice 2011, un net essoufflement de la trajectoire d'amélioration de la qualité des comptes entamée en 2007. Un véritable redémarrage des chantiers a été observé en 2012. La Cour a reconnu cet effort dans l'expression de sa position en ne qualifiant plus de substantielles deux des sept réserves qu'elle continue de formuler. Elle met ainsi en valeur, en tant que certificateur, les effets positifs d'une implication accrue de l'administration en la matière.

Ce résultat a été obtenu dans un contexte marqué par d'importants changements sur le plan informatique avec la mise en place du progiciel de gestion budgétaire et comptable Chorus, étape majeure qui a été franchie avec succès. Reste aujourd'hui l'essentiel : utiliser le potentiel de Chorus, afin d'améliorer tant la fiabilité des comptes que la qualité de la gestion publique. Les ordonnateurs comme les comptables devront encore fournir des efforts pour adapter la gestion financière à ce nouvel outil et gagner ainsi en productivité.

La dynamique d'amélioration des comptes doit être préservée et amplifiée en 2013, sur toutes les réserves que formule la Cour. L'administration a tout à y gagner, car l'amélioration de la qualité des comptes est un facteur de modernisation de l'action publique : elle conduit l'État et les entités qu'il contrôle à mieux évaluer et suivre tant leur patrimoine que leurs risques. Dans le contexte actuel, le jugement des observateurs sur la soutenabilité des finances publiques françaises est influencé par la qualité des comptes qui leur sont présentés.

Je complète ce propos sur la certification par quelques mots sur un sujet important, mais souvent délaissé par les autorités politiques : les normes comptables applicables aux administrations publiques.

Le législateur européen a engagé une démarche d'adoption de normes comptables au niveau européen. La Commission européenne doit évaluer l'adéquation des normes comptables internationales du secteur public, dites IPSAS, aux comptes des États membres. La Cour, avec d'autres institutions supérieures de contrôle européennes, a mis en évidence les difficultés que poserait une reprise trop large et systématique de ces normes, compte tenu de leur complexité, de leur instabilité et de leur caractère en grande partie inadapté aux spécificités du secteur public. Elles sont par ailleurs établies par un organisme dont la légitimité démocratique est contestable, dès lors qu'y siègent essentiellement des experts privés et que les pouvoirs publics n'y sont pas représentés de façon institutionnelle et, encore moins, écoutés.

C'est un sujet important : ces normes doivent permettre d'apprécier de façon homogène et sincère la situation financière des administrations publiques dans les différents États, d'éclairer la prise de décision politique et de faciliter la surveillance des finances publiques. Il convient d'adopter un référentiel comptable européen adapté aux objectifs des comptes publics, dans le cadre d'une gouvernance légitime et crédible. La représentation nationale doit se saisir de ce sujet avant qu'il ne soit trop tard et que certaines règles nous soient imposées de l'extérieur.

J'en viens au rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'exercice 2012, qui analyse l'exécution budgétaire par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale, à celles des trois lois de finances rectificatives de l'année et aux dispositions de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014. Son ambition est d'éclairer le débat sur le projet de loi de règlement et d'aider à préparer le débat sur la prochaine loi de finances. Un effort nouveau a été fait cette année pour améliorer ce produit. Une synthèse et des fiches nouvelles vous sont livrées.

Le contenu du rapport de synthèse peut vous être résumé en cinq messages.

Premièrement, le déficit budgétaire s'est réduit, mais à un rythme sensiblement ralenti par rapport à 2011, dans un contexte de dégradation de la situation économique. Cette baisse du déficit est insuffisante pour enrayer la progression de la dette et sortir l'État de la zone dangereuse dans laquelle il se trouve.

Deuxièmement, malgré les nombreuses mesures fiscales nouvelles adoptées en 2011 et en 2012, le ralentissement de la croissance économique a réduit le rendement des principales recettes, notamment de la TVA et de l'impôt sur les sociétés, et a ainsi fragilisé l'exécution budgétaire.

Le troisième message concerne l'effort de maîtrise des dépenses en 2012 : les normes de dépenses, plus strictes que l'année précédente, ont été respectées. Mais d'importantes dépenses non prévues ont été prises en charge en dehors de ces normes. Les dépenses ont donc, dans leur ensemble, augmenté.

Quatrièmement, le fait que les dépenses figurant dans le périmètre des normes ont été contenues résulte bien davantage des effets de la régulation budgétaire – c'est-à-dire des annulations de crédits ayant fait l'objet d'une mesure de gel, voire de « surgel » – que de la mise en oeuvre de réformes structurelles ciblant les politiques publiques les moins efficaces. Dès lors, l'amplification prévue et nécessaire de l'effort sur la dépense – que vous avez vous-même intégrée dans la loi de programmation et le programme de stabilité que vous avez adoptés – doit reposer sur la mise en oeuvre de telles réformes, dans une perspective pluriannuelle. À défaut, la qualité de l'ensemble des politiques publiques se trouvera dégradée par l'application de gels indifférenciés.

Enfin, cinquièmement, certaines irrégularités, parfois récurrentes, demeurent dans la gestion budgétaire.

Je reviens sur mon premier message : le déficit budgétaire a été réduit de 3,57 milliards d'euros par rapport à 2011. Il convient cependant de tempérer ce résultat positif par deux observations. Premièrement, le niveau du déficit demeure très élevé : avec 87,15 milliards d'euros, il représente plus de trois mois de dépenses de l'État et autant que les dépenses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur cumulées. Il nourrit l'accroissement de la dette de l'État : son encours est passé de 1 313 à 1 386 milliards d'euros en un an. La baisse des taux d'intérêt a néanmoins permis de stabiliser la charge d'intérêts payée. Mais, avec 46,3 milliards d'euros, celle-ci représente le deuxième poste de dépenses de l'État et le prive de marges de manoeuvre.

Surtout, compte tenu du montant atteint par la dette et de l'inévitable remontée, à terme, des taux d'intérêt, l'État est toujours exposé au risque d'une augmentation importante de sa charge d'intérêts. Vous le constatez : en dépit d'une légère amélioration du solde, celui-ci reste tel que la dette poursuit son augmentation rapide. Notre pays ne s'éloigne donc pas de la zone dangereuse dans laquelle il est entré en raison de son endettement. Il voit ses marges de manoeuvre restreintes, dans la mesure où il consacre une part substantielle de l'impôt qu'il collecte à prendre en charge le passé plutôt qu'à préparer l'avenir. Seule une action amplifiée et continue sur la dépense – non seulement de l'État, mais aussi des administrations de sécurité sociale et des collectivités territoriales – est de nature à nous permettre de retrouver les marges de manoeuvre nécessaires. J'aurai l'occasion d'y revenir dans le prochain rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui traitera de l'ensemble des administrations publiques.

Deuxièmement, l'amélioration du solde – de 3,57 milliards d'euros – est sensiblement plus faible qu'en 2011, où la réduction du déficit avait été d'environ 14 milliards d'euros. Ce ralentissement résulte pour l'essentiel d'une conjoncture économique dégradée en 2012, avec, selon les dernières données de l'INSEE, une croissance nulle, contre 2 % en 2011 – l'INSEE l'avait estimée dans un premier temps à 1,7 %. La loi de finances initiale pour 2012 avait été construite sur une hypothèse de croissance de 1 %, qui a été revue à la baisse dans les lois de finances rectificatives de mars et d'août. Les prévisions de recettes fiscales ont été révisées en conséquence.

Je reviens ainsi sur mon deuxième message : les nouvelles recettes fiscales ont joué un rôle prépondérant dans l'amélioration du solde budgétaire. Les nombreuses mesures fiscales nouvelles adoptées en 2011 et 2012 ont permis aux recettes fiscales de progresser de 10,2 milliards d'euros au lieu de stagner. Mais elles ne leur ont pas permis d'atteindre le niveau prévu par la loi de finances initiale, l'écart entre prévision et réalisation s'établissant à 6,5 milliards d'euros, compte tenu de la dégradation de la conjoncture. Cet écart porte essentiellement sur l'impôt sur les sociétés – pour 3,6 milliards d'euros – et sur la TVA – pour 5,7 milliards. Le produit des recettes de TVA a été surestimé, surtout dans la loi de finances rectificative du 29 décembre 2012 : celle-ci prévoyait encore une hausse du produit de la TVA de 2,8 % par rapport à 2011, alors que la hausse n'a été, en réalité, que de 0,2 %. Or, à cette époque, les informations sur les encaissements révélaient une stagnation du produit de la TVA sur les dix premiers mois de l'année, ce qui aurait dû conduire à retenir des prévisions plus prudentes.

Au-delà, il est préoccupant que les services de l'État ne soient pas aujourd'hui en mesure d'expliquer complètement, a posteriori, cet écart massif. Certains facteurs explicatifs ont été avancés : une déformation de la structure de la consommation au profit des produits soumis à un taux réduit de TVA ou encore l'accélération des demandes par les entreprises du remboursement de leurs crédits de TVA. Mais une partie non négligeable de cet écart – de l'ordre de 1,3 milliard d'euros – demeure inexpliquée et appelle des analyses complémentaires. Cette situation peut faire redouter que, au-delà même de l'effet « base » sur les recettes, ce phénomène d'attrition ne se reproduise en 2013.

Le produit des recettes non fiscales a été inférieur aux prévisions à la fois en raison de la conjoncture économique, ce qui a entraîné un moindre versement par la Caisse des dépôts et consignations, et de la décision de l'État de percevoir une partie de ses dividendes – 1,4 milliard d'euros – non pas en numéraire mais en titres, ce qui a réduit d'autant les recettes de l'État déjà affectées par le moindre rendement des recettes fiscales. Le choix d'un versement du dividende en nature plutôt qu'en espèces est neutre pour le solde en comptabilité nationale, mais il a alourdi la dette de l'État.

Ces exemples montrent que, en période de conjoncture économique dégradée, l'ajustement du solde par des mesures nouvelles en recettes n'offre pas toujours le rendement attendu et fait peser un aléa sur l'évolution du solde budgétaire. Dès lors, dans un tel contexte, l'effort fiscal ne peut suffire pour réduire le déficit budgétaire : l'effort sur la dépense doit jouer un rôle plus marqué. Si l'on souhaite sécuriser au mieux un objectif de solde effectif, mieux vaut se montrer plus prudent dans l'estimation des recettes et plus déterminé dans l'action sur la dépense.

Sur ce sujet, la Cour estime – c'est mon troisième message – qu'un effort accru de maîtrise des dépenses a été réalisé en 2012. Cependant, le prolongement de cet effort ne sera pas garanti tant que des réformes structurelles ne seront pas mises en place.

Deux normes de dépenses s'appliquent principalement au budget de l'État : la première impose que les dépenses du budget dans son ensemble, d'une part, et les prélèvements sur recettes, d'autre part, ne progressent pas plus vite que l'inflation – il s'agit de la norme dite « zéro volume » ; la seconde, plus stricte, impose que ces mêmes montants hors charge de la dette et pensions n'augmentent pas en euros – il s'agit de la norme dite « zéro valeur ».

Cette seconde norme a été plus que respectée : les dépenses ont été réduites de 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale et de 3 milliards par rapport à l'exécution de l'année précédente. La première a également été respectée, en particulier grâce à des économies de constatation sur la charge d'intérêts, inférieure de 2,5 milliards d'euros aux prévisions.

Cependant, des dépenses non prévues ont dû être prises en charge et l'ont été en dehors du périmètre de ces normes : les dépenses de soutien à la zone euro, qui se sont maintenues à leur niveau de 2011, ont été supérieures de 2,5 milliards d'euros aux prévisions ; la dotation au capital de la banque Dexia s'est élevée à 2,6 milliards d'euros. Dès lors, les dépenses du budget général – auxquelles il faut ajouter, pour pouvoir mieux comparer l'exercice 2012 avec les précédents, les aides à la Grèce – ont augmenté de l,5 milliard d'euros par rapport à l'exécution de l'année 2011. Cette hausse est du même ordre que celle constatée entre 2010 et 2011.

Néanmoins, certains résultats significatifs ont été atteints. Ainsi, les dépenses d'intervention ont été réduites de 2,5 %. De même, les dépenses de masse salariale ont été quasiment stabilisées en valeur : elles ont augmenté de 0,1 %. Sur la période récente, leur décélération est manifeste, mais elle ne se poursuivra pas nécessairement, compte tenu du choix qui a été fait d'interrompre la réduction des effectifs.

La baisse des dépenses dans le périmètre de la norme « zéro valeur » a été, pour une large part, réalisée par des annulations de crédits en cours de gestion, d'un montant sans précédent de 2,7 milliards d'euros, contre 1,2 milliard en 2011. La régulation budgétaire a été efficace. Mais il est à craindre qu'un recours aussi massif et constant à celle-ci ne puisse produire, au cours des prochaines années, des effets à la hauteur de la maîtrise attendue des dépenses – tel est mon quatrième message. Surtout, l'effort risque de porter sur toutes les dépenses, indépendamment de leur efficacité et de leur efficience. Nous appelons au contraire à se saisir non seulement des outils de mesure de la performance, notamment des rapports annuels de performance qui accompagnent le projet de loi de règlement, mais aussi des travaux d'audit et d'évaluation régulièrement livrés par la Cour et par d'autres acteurs. Il convient de faire reposer la réduction de la dépense sur des choix explicites de priorisation et de ciblage plutôt que sur l'application indifférenciée de normes.

Bien évidemment, des progrès peuvent et doivent encore être réalisés pour améliorer le volet « performance » des lois de finances. Même si des améliorations sont apportées chaque année aux outils de gestion par la performance, la Cour constate que l'articulation entre la démarche de performance et la gestion budgétaire n'est pas pleinement établie. Pour mieux responsabiliser les gestionnaires sur leurs résultats, le recours à la contractualisation et à la comptabilité analytique doit être accru.

L'exploitation de toute la richesse des données livrées par les rapports annuels de performance, qui comparent les objectifs fixés et les résultats atteints par les différentes politiques publiques, pourrait contribuer à faire porter l'effort avant tout sur les dépenses budgétaires ou fiscales qui n'atteignent pas leur objectif ou qui le font à un coût excessif. Le débat sur la loi de règlement est une occasion privilégiée de tirer les conséquences de cette mesure de la performance.

Enfin, la Cour a constaté – c'est mon cinquième message – que des irrégularités entachent la gestion des comptes spéciaux : certains comptes de concours financiers ne retracent pas de véritables avances ; des dépenses relevant du budget général sont imputées sur certains comptes d'affectation spéciale ; certains comptes de commerce ne correspondent pas à la définition de la LOLF. Nous formulons chaque année des observations de cette nature.

En outre, des rétablissements de crédits à hauteur de 1 milliard d'euros, en provenance du programme des investissements d'avenir, ont été effectués pour doter la Banque publique d'investissement. Mais une partie de ces crédits a finalement contribué au financement du plan automobile, et une autre, d'un montant de 465 millions d'euros, n'a pas été consommée en 2012, ce qui a permis d'améliorer d'autant le solde budgétaire. Pour mettre en oeuvre cette procédure, l'administration s'est appuyée sur une interprétation extensive du IV de l'article 17 de la LOLF. De plus, elle l'a fait dans un vide juridique, l'arrêté de 1986 encadrant la procédure n'étant plus applicable. Les redéploiements de crédits devront désormais être réalisés dans un cadre plus rigoureux, afin de s'assurer qu'ils correspondent bien à l'objet du programme des investissements d'avenir.

Pour finir, les constats que dresse la Cour dans le rapport, plus particulièrement sur les grandes composantes de la dépense de l'État, s'appuient sur soixante-trois analyses détaillées de l'exécution budgétaire par mission et par programme. Ces analyses ont été instruites, contredites et délibérées par les sept chambres de la Cour. Elles sont jointes au rapport de synthèse remis à votre Commission et mises en ligne sur le site Internet de la Cour. Elles ont vocation, tout autant que le rapport lui-même, à vous aider dans votre mission de contrôle. Je souhaiterais brièvement illustrer mon propos par trois exemples concrets.

Premièrement, l'analyse de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » souligne que les indicateurs de performance ne permettent pas, à eux seuls, d'apprécier le correct calibrage des crédits destinés à l'allocation aux adultes handicapés, ni de porter une appréciation sur sa répartition et sa distribution sur le territoire national. En outre, le contrôle du Parlement pourrait trouver à s'appliquer sur les trente-deux mesures de dépenses fiscales rattachées à cette mission. En particulier, neuf d'entre elles, représentant un coût de 6,3 milliards d'euros, ont été jugées inefficaces par le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales dans son rapport de juin 2011.

Deuxièmement, l'analyse de la mission « Défense » met en évidence la sous-budgétisation récurrente de la provision pour surcoût des opérations extérieures, ainsi que les failles du pilotage de la masse salariale. Le quatrième Livre blanc de la défense a été publié le mois dernier et fera l'objet d'un débat demain dans votre hémicycle. Le projet de nouvelle loi de programmation militaire sera déposé au Parlement à l'automne prochain. Dans ce contexte, l'analyse montre que les objectifs budgétaires et capacitaires de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 n'étaient pas soutenables – 5,5 milliards d'euros de commandes de matériels prévues en 2012 et en 2013 ont été reportés – et que certains crédits ont dû être utilisés pour pallier les dérapages de la masse salariale – ceux-ci font l'objet d'une enquête de la Cour à la demande de la commission des Finances du Sénat.

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