Intervention de Didier Migaud

Réunion du 28 mai 2013 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Bien sûr, par exemple quand un fonctionnaire remplace un collègue plus jeune. Pour l'instant, les résultats obtenus s'expliquent par la réduction des effectifs.

Nous appelons depuis longtemps votre attention sur les dépenses effectuées en faveur des opérateurs. Sans compter les ressources fiscales affectées, les crédits qui leur sont destinés sont passés de 20,2 milliards d'euros en 2007 à près de 39 milliards en 2012. Cette évolution s'explique par des effets de périmètre, liés à des transferts de personnels de l'État vers les universités et les agences régionales de santé. Des efforts ont été réalisés pour associer les opérateurs à la maîtrise budgétaire, mais si, dans les rapports annexés aux lois de programmation des finances publiques, l'État leur fixe des objectifs chiffrés de réduction des dépenses, il n'a pas suffisamment vérifié que ces objectifs avaient été atteints. Pour y parvenir, il faut mettre en place de nouveaux outils, ce qui suppose qu'on travaille sur les systèmes d'information. À l'égard des opérateurs qui bénéficient de recettes fiscales affectées, comme le Centre national du cinéma – CNC –, il faut subordonner le niveau de la recette au bon niveau de dépense, et non l'inverse. L'écrêtement des taxes permet d'y parvenir. En 2012, ce mouvement concerne un tiers du produit fiscal affecté aux opérateurs. Il devrait s'étendre en 2013. Vous recevrez début juillet un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur les taxes affectées.

Le ministère de la Défense attribue à Louvois un dérapage important de la masse salariale. On a constaté en 2012 un écart de 465 millions d'euros entre les crédits votés en loi de finances initiale et les montants réalisés. Au-delà de l'enquête demandée par la commission des Finances du Sénat sur les primes de ce ministère, la Cour a décidé de diligenter un contrôle, qui a été notifié la semaine dernière. Celui-ci est en cours d'instruction. Nous vous en révélerons les conclusions dès que possible. Il faut distinguer les dysfonctionnements d'un outil informatique et les effets d'une politique des ressources humaines. Le dérapage peut également résulter du GVT, très dynamique au ministère de la Défense, des effets de mesures catégorielles adoptées au cours des années précédentes ou du jeu des promotions.

S'agissant de l'écart entre les prévisions et les recettes effectives de TVA, il peut s'expliquer par la révision à la baisse de la croissance économique – pour quelque 900 millions d'euros –, par l'augmentation, dans la structure de consommation des ménages, de la part des biens soumis à un taux de TVA réduit – pour 400 millions –, et par un changement de comportement des entreprises, qui auraient fait en 2012 plus de demandes de restitution de crédits – pour encore 400 millions. Un décalage de 1,3 milliard d'euros environ reste inexpliqué. Comme nous l'avons souligné dans le rapport public annuel de février 2013, une lourde erreur a manifestement été commise dans les prévisions de la troisième loi de finances rectificative. L'administration a dû fonder ses prévisions non sur les encaissements des dix premiers mois de l'année, mais sur un autre raisonnement macroéconomique. Nous continuerons à travailler sur ce problème, dans l'espoir que des informations complémentaires viennent y apporter une explication. Plus généralement, il faudrait comprendre comment les recettes de la TVA ont pu – à législation constante – diminuer de 1,2 %, alors que les emplois taxables ont crû de 1,4 % pour la consommation et de 1 % pour l'investissement logement.

Les comptes nationaux sont constamment modifiés, l'INSEE rectifiant ses prévisions au fur et à mesure qu'il exploite les informations de diverses sources. La réévaluation de la croissance pour 2011 de 1,7 à 2 % a ainsi affecté bien d'autres résultats.

À l'exception de la réserve n° 5, relative aux participations et aux autres immobilisations financières, qui fait état de désaccords significatifs et chiffrés avec le producteur des comptes – par exemple le classement et l'évaluation incorrecte des établissements publics de santé qui conduisent à une sous-évaluation de l'actif d'environ 20 milliards d'euros –, les sept réserves ne peuvent être chiffrées : s'il reste par définition inconnu, leur impact financier pourrait donc être supérieur aux désaccords chiffrés identifiés au 31 décembre 2012. Ainsi, la réserve n° 4, relative aux actifs et passifs du ministère de la Défense, relève l'absence du provisionnement des coûts de démantèlement de certains bâtiments de la marine nationale à propulsion nucléaire, certainement significatifs mais encore indéterminés. Un tableau en page 89 du rapport résume l'incidence des corrections comptabilisées.

Monsieur le président, le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, que nous vous remettrons en juin prochain, répondra à plusieurs de vos questions. Nous y aborderons le début de l'exécution budgétaire 2013 ainsi que les conséquences à en tirer pour la fin de l'année et les deux années suivantes. Nous verrons alors si les inquiétudes soulevées à l'occasion de l'examen 2012 se confirment, même s'il est d'ores et déjà évident que les recettes – notamment celles de la TVA – constituent un point d'interrogation.

Tout comme Éric Woerth et Marie-Christine Dalloz, vous m'avez interrogé, monsieur le président, sur la nature des économies réalisées : jusqu'à maintenant, elles reposent essentiellement sur la régulation infra-annuelle. Efficaces pendant un certain temps, ces mesures atteignent rapidement leurs limites ; leur caractère indifférencié constitue également un défaut. Si l'on veut maîtriser la dépense publique, des mesures structurelles s'imposent : il faudrait mener un travail d'évaluation pour apprécier l'intérêt de certaines dépenses mal ajustées aux objectifs ou présentant un rapport coût-efficacité médiocre.

Quelle que soit l'utilité des normes de gouvernance, nous avons constaté par le passé que celles-ci restent fréquemment contournées.

La notion de mesures exceptionnelles, temporaires et ponctuelles devrait être précisément définie. Il conviendrait d'abord de ne retenir qu'un seul de ces trois termes, actuellement utilisés de façon indifférenciée, et ensuite de préciser quels dispositifs peuvent être classés dans cette catégorie. L'on peut ainsi douter que les dotations au titre du MES – sans doute appelées à durer pendant quelques années – constituent des mesures ponctuelles et temporaires.

Les dépenses d'intervention n'ont été que rabotées sur l'année 2012 ; pour aller plus loin, il faut vraisemblablement amplifier les mesures d'évaluation et la MAP.

Les indicateurs de performance – qui ne cessent de se perfectionner – sont insuffisamment utilisés tant par le pouvoir exécutif que par le Parlement. Comme le notait Régis Juanico, il faudrait reconsidérer le temps que vous consacrez à l'examen de l'exécution du budget, qui reflète bien mieux la réalité budgétaire que les lois de finances initiales. Pour aider les rapporteurs spéciaux et les administrateurs de l'Assemblée nationale dans leur travail sur la loi de règlement, la Cour des comptes a mis au point soixante-trois fiches d'analyse et reste prête à perfectionner cet outil.

Monsieur Lefebvre, l'acte de certification résulte, en effet, du travail de l'administration et la vigilance de la Cour des comptes demeure entière ; mais lorsque nous constatons de vrais progrès, nous devons savoir encourager le producteur des comptes. Celui-ci aurait sans doute souhaité nous voir diminuer le nombre des réserves, mais nous ne sommes pas encore en mesure de le faire, même si deux d'entre elles ont perdu leur caractère substantiel. La comptabilité générale reste insuffisamment utilisée pour un meilleur pilotage de la gestion publique ; elle laisse pourtant espérer des progrès considérables.

L'effort structurel réalisé en 2012 s'élève bien à 1,2 point de PIB – chiffre plusieurs fois confirmé tant par la Cour des comptes que par le Haut Conseil des finances publiques, la dégradation de la conjoncture expliquant les manques de recettes. Quant à l'hypothèse d'un ajustement, nous notions dans notre rapport public annuel que l'objectif d'un déficit à 3 % nous paraissant inatteignable, il ne semblait pas pertinent de multiplier les mesures pour essayer de l'atteindre. Nous invitions également les responsables politiques européens à expliquer l'intérêt de raisonner, dans le cadre du dernier traité, en termes de solde et d'effort structurels. La Cour estime toutefois qu'il ne faut pas perdre de vue l'objectif de réduction du déficit effectif qui nourrit la dette publique.

Monsieur Mariton, il est difficile de faire des comparaisons internationales en matière de certification, car très peu de pays utilisent ce procédé ; en outre, comparaison n'est pas toujours raison ! En revanche, j'invite la représentation nationale à s'intéresser au sujet des normes comptables européennes et à leurs conséquences sur les comptes publics. L'attitude à adopter par rapport à un référentiel défini par des groupes à légitimité incertaine constitue un sujet éminemment politique et pourtant négligé. Le processus engagé promet d'être long et il n'est pas trop tard encore pour y intervenir. La commission des Finances, qui avait travaillé sur cette question, devrait accompagner le Gouvernement dans cette réflexion, avec le concours de la Cour des comptes, qui a déjà lancé des initiatives en ce sens avec d'autres institutions supérieures de contrôle.

Monsieur Woerth, nos propositions d'économies structurelles – qui reprennent des recommandations déjà formulées par le passé – seront développées dans notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Notons toutefois que la nécessité de maîtriser la dépense publique concerne non pas uniquement l'État, mais également les organismes de sécurité sociale, les opérateurs et les collectivités territoriales – notre rapport visera l'ensemble des administrations publiques.

Monsieur Censi, si l'on ne peut éviter d'augmenter les recettes, compte tenu de la situation financière de notre pays, il faut aujourd'hui porter l'effort sur la réduction de la dépense publique. Nous invitons donc les parlementaires à poursuivre le travail entrepris sur les niches fiscales, mais également à prolonger celui sur le taux de prélèvements obligatoires. En effet, la dépense budgétaire est pour partie transformée en dépense fiscale, le contournement des règles fixées en matière d'évolution de celle-là expliquant l'explosion de celle-ci. À vous de juger la pertinence de nos recommandations et de prendre les décisions qui s'imposent.

Dès lors que la RGPP a pris fin, la MAP – qui ne fait que se mettre en route – doit rapidement prendre le relais si l'on veut obtenir des résultats en matière de maîtrise de la dépense. Quel que soit le dispositif, l'évaluation des politiques publiques doit régulièrement vous permettre d'apprécier l'efficacité de celles-ci. Certes, monsieur Alauzet, l'évaluation doit apprécier l'ensemble des conséquences d'une réduction de la dépense publique, mais considérer le rapport entre le coût et l'efficacité de certains dispositifs reste une nécessité. La représentation nationale devrait prendre connaissance des rapports que la Cour des comptes et l'Inspection générale des finances ont rédigés sur ce thème, en particulier sur la question des dépenses fiscales.

La question de l'impact de la crise sur les recettes et les dépenses est traitée en détail dans les annexes du rapport ; une analyse des évolutions impôt par impôt – y compris la TVA et l'impôt sur les sociétés – figure notamment en page 261.

Monsieur Thévenoud, la Cour des comptes s'intéresse naturellement à la fraude fiscale et continue ses travaux sur ce thème. Nous avons notamment étudié les problèmes de la fraude sur les quotas carbone et du « carrousel » de TVA. Les mesures que vous avez adoptées dans les textes récents suivent pour partie nos propositions et vont dans le bon sens ; reste à en mesurer les effets.

Je crois avoir répondu aux questions de Mme Dalloz et de M. Goua.

Monsieur Dumont, la réserve concernant le patrimoine immobilier de l'État n'est plus qualifiée de substantielle ; le fait de la maintenir montre cependant qu'il reste encore des marges de progression. Si l'on veut bien gérer le patrimoine, encore faut-il bien le recenser et bien l'évaluer. Le comité que vous présidez a formulé plusieurs propositions en cette matière ; pour notre part, nous devrions bientôt remettre au Gouvernement un référé sur la politique immobilière de l'État.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion