Intervention de Yamina Benguigui

Réunion du 21 mai 2013 à 16h45
Commission des affaires étrangères

Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée de la francophonie :

Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir parmi vous pour présenter ma mission au moment où le projet de loi d'orientation pour l'enseignement supérieur et la recherche est au centre du débat public. L'article 2 de ce projet porté par Geneviève Fioraso suscite le débat dans le monde universitaire, au Parlement, dans la presse et dans la société française, mais ce sujet relève aussi de la francophonie. Le texte, aujourd'hui amendé, instaure trois principes qui me paraissent indispensables : l'obligation pour les étudiants étrangers d'apprendre le français ; l'évaluation, en fin de cursus, des étudiants étrangers sur la connaissance du français ; l'inscription, dans le code de l'éducation, de la mission de service public francophone des universités francophones – la francophonie devient un service public, la mission de service public francophone est intégrée à l'enseignement supérieur. Tout cela va dans le sens de la francophonie. Les étudiants qui ne pouvaient pas venir étudier dans notre pays jusqu'à présent auront demain cette chance. On accueillera des étudiants qui seront, au bout de leur cursus, des francophones.

J'ouvre une parenthèse sur l'importance que j'accorde à ces éléments. Depuis quelques semaines, on parle de mon silence vis-à-vis de ce texte. Or il résonne très fortement à la fois dans mon histoire personnelle et dans celle de la francophonie, qui est née au lendemain des indépendances. La langue française avait alors la valeur d'un « merveilleux outil trouvé dans les décombres du régime colonial », selon Léopold Sédar Senghor ou d'un « butin de guerre », comme l'a dit Kateb Yacine au lendemain de l'indépendance de l'Algérie. Plus récemment, Moncef Marzouki, le Président tunisien, l'a désignée, à Kinshasa, comme un « butin de paix ».

Longtemps, des années 60 à la circulaire de Claude Guéant, on a considéré les étudiants étrangers comme des immigrés. François Hollande a changé ce regard en déclarant qu'ils étaient une chance pour la France. Au Brésil, dont je reviens, la Présidente Dilma Rousseff a souhaité que, dans le cadre du programme Sciences sans frontières, 10 000 étudiants brésiliens viennent poursuivre leurs études en France. C'est un exemple parmi beaucoup d'autres de l'attrait de notre pays ; à nous d'être ambitieux pour accompagner cette dynamique.

Le 17 octobre dernier, j'ai présenté un plan de relance pour la francophonie articulé autour de quatre axes : engager un nouvel élan en faveur de l'enseignement du français ; accentuer le rayonnement de la francophonie dans le monde, notamment par la culture ; promouvoir la francophonie en France ; défendre la francophonie des droits des femmes.

L'espace francophone rassemble aujourd'hui 220 millions de locuteurs dans soixante-dix-sept pays. En 2050, ils seront près de 800 millions, dont 80 % en Afrique, cette Afrique francophone où l'enseignement s'est fortement dégradé. D'où ma décision d'impulser un nouvel élan en faveur de l'enseignement du français. En septembre 2013, je lancerai un programme intitulé « 100 000 professeurs pour l'Afrique » destiné à soutenir l'enseignement du français dans les pays aussi bien francophones qu'anglophones d'Afrique – au Ghana, par exemple, qui compte 25 millions d'anglophones pour 2 millions de francophones. Aucun ministre ni aucun Président ne s'était rendu dans ce pays depuis 1957. Mon équipe ici présente se fera un plaisir de développer le sujet si vous le souhaitez.

En vue d'accentuer le rayonnement de la francophonie dans le monde, j'ai décidé un grand plan en faveur du livre, dont la diffusion est l'une des missions de notre diplomatie culturelle. Nous gérons plus de 300 médiathèques et trente bureaux du livre à l'étranger. Malgré ces efforts, l'Afrique, le Maghreb et le Moyen-Orient manquent cruellement de livres. Au cours de mon premier voyage de préparation du déplacement présidentiel en Algérie, le Premier ministre algérien m'a confié qu'ils avaient besoin de huit millions de manuels scolaires. Je n'ai pas voulu demander avec insistance si la langue française revenait au premier plan, mais c'est le cas. Dès les années 70, l'arabisation engagée dans ce pays s'est révélée compliquée. Manquant de professeurs, les autorités ont fait appel à des enseignants provenant d'Égypte, issus à 80 % de l'organisation des Frères musulmans. En fait d'arabisation, les années 80 à 90 ont plutôt été une période d'islamisation qui a débouché sur les années noires d'Algérie de 1990 à 2000. Après que l'enseignement a été bradé aux islamistes, il y a aujourd'hui une volonté de revenir vers un système en langue française, même si elle n'est pas exprimée dans ces termes. Vincent Peillon devrait se rendre en Algérie d'ici peu, ce qui est une bonne nouvelle. J'ai également beaucoup à dire sur le livre à Beyrouth, mais le temps nous est compté.

J'en viens au chapitre de la francophonie en France. Après avoir travaillé pendant plus de vingt ans sur les questions d'immigration, d'enracinement, d'égalité des chances, de territoires en souffrance, ainsi que sur les première, deuxième et troisième générations d'immigrés, après avoir aussi travaillé pendant quatre ans sur le plafond de verre auquel se heurtent des étudiants à bac + 5 qui ont envoyé non pas 100, mais plus de 1 500 curriculum vitae sans réussir à décrocher un entretien en raison d'un nom à consonance étrangère ou d'un lieu de résidence « outre-ville », j'ai réalisé un film intitulé Les défricheurs, consacré aux premières personnes qui sont rentrées dans l'entreprise. Pour beaucoup, le gros problème était de ne pas maîtriser complètement la langue française. J'ai tenu à ce qu'une partie de mon plan de relance de la francophonie soit consacrée à rétablir, en France, dans des quartiers défavorisés, ce lien indispensable qu'est la langue française dont l'absence de maîtrise empêche tout accès au monde du travail. Alors que notre Président a fait de la jeunesse et du travail ses priorités, toute une jeunesse ne peut pas accéder à un simple entretien parce qu'elle n'en maîtrise ni les codes ni la langue. J'ai beaucoup travaillé sur la question de l'égalité des chances avec des entreprises telles que la SNCF, BNP ou Veolia, qui se sont installées dans les banlieues. Je leur ai proposé un programme de formation accélérée au français et au français de l'entreprise à destination de la jeunesse des quartiers. Je vais également lancer un label francophone identifiable par les entreprises.

Une autre idée dans ce thème de la francophonie en France est la généralisation de l'école des mamans, pour toutes les femmes de l'immigration oubliées de la République. Depuis des décennies, ces femmes ont été laissées pour compte, tenues dans le rôle d'épouse et de mère. Je souhaite que nous puissions venir en aide à ces femmes qui sont en grande demande de cours de français adaptés à leurs horaires. Nous avons lancé une mission sur cette question dont nous aurons les résultats dès le mois de septembre.

Dernier axe du plan, le renforcement de la francophonie des droits de l'homme, mais surtout des droits des femmes, je me fais une obligation d'y insister. En juillet 2012, lors d'un déplacement en République démocratique du Congo pour la préparation du sommet de la francophonie à Kinshasa qui était très mal parti, une délégation de femmes du Nord Kivu m'a alertée sur le drame humanitaire qui se jouait là-bas, un drame sans image qui ravage cette région où des milliers de femmes, de jeunes filles, de fillettes, voire des bébés de vingt mois, sont violées par des escadrons entiers d'hommes de forces armées, dont le M23 est la plus connue. De Kinshasa, j'ai alerté le Président et Laurent Fabius ainsi que la presse. Jusqu'au mois de septembre, aucun journaliste ne s'est intéressé à ce conflit, pas assez médiatique à leurs yeux. Dès lors, considérant que cela se passait dans l'espace francophone, il m'a semblé impossible de ne pas s'occuper du droit des femmes. La francophonie, n'est-ce pas aussi les valeurs que nous défendons, les droits de l'homme ? Nous avons alerté le Conseil de sécurité des Nations unies, le 30 juillet. Depuis, je n'ai eu de cesse de monter le premier forum mondial des femmes francophones.

Nous avons obtenu l'assurance que, lors de la réunion de préparation du sommet de Dakar de 2014 qui se tiendra au mois de décembre, les ministres des affaires étrangères mettront à l'ordre du jour l'inscription des droits des femmes dans les statuts de l'OIF. Toute nation qui souhaitera siéger à la table de ce sommet des chefs d'État francophones, que ce soit en tant que membre, observateur ou membre ami, devra répondre de cette question du droit des femmes sur son territoire. Le Président Macky Sall a accepté pour thématiques centrales du sommet de Dakar le droit des femmes et la jeunesse. En fonction de vos questions, je pourrais vous parler des suites du forum mondial des femmes francophones qui s'est ouvert le 20 mars et qui se poursuivra jusqu'en 2014.

Si je souhaite porter la francophonie politique au service des droits de l'homme et des droits des femmes, je m'attache aussi beaucoup à défendre la francophonie économique, qui passe par une plus grande mobilité, aussi bien des artistes que des chefs d'entreprises ou des intellectuels, fortement entravée aujourd'hui. Depuis un an, j'ai débloqué de très gros dossiers, en souffrance depuis deux ans, chez Eiffage ou chez Total. Ce n'est pas tout à fait de la diplomatie économique, plutôt de la médiation économique.

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