Intervention de Yamina Benguigui

Réunion du 21 mai 2013 à 16h45
Commission des affaires étrangères

Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée de la francophonie :

J'en viens à la mobilité, pour rejoindre ce que disait M. Pouria Amirshahi à propos d'un visa de la francophonie. La mobilité exige que nous abandonnions nos préjugés. Combien d'histoires avons-nous, tous ici présents, d'un artiste dont les oeuvres arrivent à Paris ou d'un réalisateur, algérien, congolais, tunisien ou autre, dont le film a été sélectionné dans quelque festival français sans que lui-même ait obtenu de visa ? On reçoit l'oeuvre mais pas la personne. C'est dire combien la mobilité est une grande question et, à ce titre, l'une de mes priorités. Sur ce sujet, j'ai rencontré Manuel Valls à plusieurs reprises ainsi que Laurent Fabius. Nous devons reconquérir notre espace francophone, mais ne croyons pas avoir partie gagnée. Si la loi Fioraso met le focus sur l'anglais, laissez-moi vous dire que nos préjugés ont également contribué à rétrécir cet espace. Nous avons tout l'extérieur à reconquérir en reparlant à hauteur d'homme.

J'en viens à la question des droits des femmes qui n'ont jamais été abordés au titre des valeurs défendues dans l'espace francophone. Depuis une dizaine d'années, les droits des femmes régressent dans les soixante-dix-sept pays de la francophonie. Ce sont autant d'années de batailles et de militantisme de perdues. Alors que les femmes étaient sur le devant de la scène dans toutes les révolutions arabes, les Tunisiennes en tête, pouvions-nous imaginer que la nouvelle Constitution commencerait par leur retirer du droit ? Ce jour-là, ma mère, qui a soixante-dix-sept ans, a pleuré le modèle tunisien, qui avait été son modèle, mais aussi le mien et celui des filles de vingt ans d'aujourd'hui. Et pour beaucoup de Françaises issues de l'immigration, cela a été une grande blessure. Moi-même, j'ai été révoltée.

Depuis des années, je me bats pour l'abrogation, en Algérie, du code de la famille, qui ne régit que les femmes. Une femme peut être ministre ou députée, mais si elle veut se marier, elle doit, quel que soit son âge, en demander l'autorisation à son père, à son frère ou à son oncle ; si elle n'a personne, un tuteur est nommé. C'est encore comme cela aujourd'hui, et le statut d'obéissance n'est jamais tombé non plus en Égypte. J'ai pensé que cela n'était pas possible. Dès lors, comment faire autrement, pour moi, au coeur de la francophonie, que de donner à cette question valeur de droit de l'homme ? Dans le Commonwealth, ils ne l'ont jamais fait. Cela dépasse le simple traitement du droit des femmes ici ou là, il en va de nos valeurs, des valeurs de la démocratie. On ne peut pas laisser commettre des viols en langue française, que ce soit en Centrafrique ou en RDC. Je vous parle de viols de masse, pas d'un ou deux. Dans le camp de Goma, ce sont 75 000 femmes qui sont traitées, certaines, atrocement mutilées, sont détruites. Au Mali, celles qui ont été violées par les islamistes ont été rejetées de leur village, les jeunes filles retirées de l'école où l'enseignement est dispensé en français.

Là est le grand tournant : on ne peut pas laisser faire ça car, demain, la paix au Mali passera aussi par les femmes. On ne peut pas parler de développement si les femmes n'ont pas la sécurité. D'ailleurs, j'ai peut-être omis de dire tout à l'heure que le sommet de 2014 portera sur les femmes, la sécurité et la jeunesse. Normalement, ce sont les pays qui proposent les thématiques. Étant moi-même très peu protocolaire, j'ai foncé ; n'ayant rien à perdre, j'ai osé dire et j'ai obtenu un « oui » ! Jamais, en trente ans, on n'avait posé sur la table des sommets des chefs d'État la question de la femme. Or, alors que femme rime avec développement et éducation, on assiste à une régression terrible de ses droits.

Quant à la question de la francophonie en France, vous avez raison de considérer qu'elle concerne le ministre de l'éducation nationale ou la politique de la ville, mais cela va plus loin. En 1962, une partie des accords d'Évian traitait de main-d'oeuvre, le Maroc et la Tunisie ayant également de tels accords. Au cours des années 60-70, on a donc fait venir des anciennes colonies de la main-d'oeuvre masculine, sans les femmes. Avec le premier choc pétrolier, l'immigration s'est arrêtée. La décision a alors été prise de faire venir femmes et enfants, non pas pour des raisons humaines mais pour des raisons économiques : il s'agissait de stabiliser cette main-d'oeuvre dont on avait toujours besoin mais qui coûtait trop cher. On ne pensait pas, alors, à tout ce monde qui allait arriver mais plutôt au fait qu'en faisant venir Fatima et ses enfants, elle fabriquerait avec Mohamed de la main-d'oeuvre à domicile – ce sont des propos de conseillers que j'ai retrouvés lorsque j'ai travaillé sur cette question, pas les miens. Hélas ! L'école va faire la différence. Les cinq enfants de Mohamed et de Fatima vont devenir qui universitaire, qui bachelier, l'un d'entre eux restant dans la rue à tenir les murs, comme dans n'importe quelle famille française.

Commence alors à se poser la question du logement. À partir de 1962, l'histoire de France va connaître des croisements avec le retour des pieds noirs et la mise en place du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer, dit Bumidom. En vertu de cette loi initiée par Michel Debré pour éviter les émeutes outre-mer, on fait venir en France des mères qui n'auront pas droit de retour pendant trois ans. À leur arrivée, elles sont dirigées vers la Seine-Saint-Denis, par exemple, tout comme les pieds noirs les plus pauvres et les familles des travailleurs immigrés. Considérant que toutes ces personnes avaient subi un déracinement violent, les autorités ont alors adopté une politique de logement social à visage humain en logeant les familles en fonction de leur langue maternelle : les locuteurs wolofs dans la tour du wolof, les locuteurs créoles dans la tour du créole. Trente ans plus tard, la tour du wolof répond toujours à la tour du créole, la tour du tunisien répond toujours à la tour de l'algérien. Si cela a donné des productions magnifiques, telles que le rap ou le slam, dans les années 80, le français s'est retiré à la périphérie de ces grandes banlieues. J'ai décidé de l'y ramener.

Pourquoi ne pas laisser faire Vincent Peillon ? Il sera partie prenante dans l'opération, tout comme George Pau-Langevin et François Lamy. Nous avons eu des réunions interministérielles sur la question du label francophone, qui va être financé par les entreprises. Nous avons à faire à une population qui est sortie de l'école ou de l'université mais qui ne rentre pas dans le monde du travail parce que ne parlant pas le français que l'on attend dans les entreprises. J'aime à croire que le terme de label francophone évitera de recourir à des appréciations du niveau de français. Ce label, qui requiert force outils informatiques, sera financé par les entreprises qui s'installent aujourd'hui dans ces territoires et qui se plaignent de ne pouvoir en embaucher les habitants dont le profil n'est pas conforme aux exigences des DRH.

Je confie à mon directeur de cabinet le soin de vous parler des moyens.

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