Intervention de Pierre Bocquet

Réunion du 28 mai 2013 à 17h15
Commission des affaires économiques

Pierre Bocquet, directeur du département banque de détail à la Fédération bancaire française, FBF :

Les établissements de crédit participent à toutes les commissions de surendettement pour trouver des solutions mais c'est au quotidien, c'est vrai, que les clients s'efforcent eux aussi d'en trouver. Je crains toutefois que l'existence d'un tel fichier ne puisse en rien résoudre les problèmes liés au déséquilibre structurel d'un budget.

Nous avons participé activement à la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, notamment dans le groupe de M. François Soulage, ce qui nous a permis de rendre publiques différentes propositions.

On ne peut opposer l'intérêt des banques à celui de leurs clients avec lesquels les banques sont souvent en relation de très long terme. Les uns comme les autres ont intérêt à ce que le crédit soit remboursé dans les meilleures conditions. L'objet d'un crédit n'est évidemment pas de pallier un manque structurel de ressources.

S'agissant de l'organisme de contrôle allemand, il faut savoir qu'entre 30 % et 40 % des données de la Schufa ne sont pas fiables. De plus, la plupart des fichiers positifs n'ont pas été créés en vue de lutter contre le surendettement. La France peut être fière d'être un des rares pays au monde à avoir adopté des dispositifs législatifs visant à lutter contre le surendettement. Quant à la Belgique, si elle s'est inspirée de la loi Neiertz pour encadrer sa lutte contre le surendettement, son fichier, comme Mme Palle-Guillabert l'a rappelé, ne comporte pas la totalité des dettes de l'emprunteur : une fois corrigé, l'encours serait sensiblement le même. De plus, ce fichier ne s'est pas révélé très efficace. Si on a assisté en Belgique à une augmentation de l'endettement moyen de 46 %, le nombre d'emprunteurs n'a pas augmenté dans les mêmes proportions – de 3,8 % seulement. Le fichier positif belge n'a donc conduit qu'à alourdir l'endettement des personnes qui avaient déjà souscrit un crédit. Je ne vois pas du reste comment un fichier positif peut inciter des personnes qui ne sont pas emprunteurs à accéder au crédit. Il convient plutôt d'améliorer l'analyse de la solvabilité notamment des consommateurs dont le parcours professionnel est haché. Une étude de la Banque de Belgique a révélé un lien structurel entre les impayés récurrents de téléphonie mobile et les impayés de crédit. Sommes-nous également capables en France de mener à bien une réflexion visant à dégager de nouveaux indicateurs prédictifs ? Il convient en effet de ne pas attendre les premiers incidents de crédit pour réagir, du fait que, l'expérience nous le montre, l'incident de crédit arrive très tardivement. Les consommateurs préfèrent auparavant jongler avec leurs dettes, par exemple en commençant à ne plus payer leur loyer ou à le payer en liquide, car ils savent qu'un défaut de remboursement provoque une réaction immédiate de l'établissement créditeur.

La Cour des comptes et le Comité de préfiguration du fichier positif ont rendu les mêmes conclusions : avant de créer un fichier positif, il convient de conduire une étude documentée sur son impact, ce qui permettra de répondre à la question de sa proportionnalité. Le rapport du Sénat a refusé lui aussi de conclure sur la question de l'efficacité d'un tel fichier, en l'absence d'exemple probant venu de l'étranger. Ce n'est pas le moment de faire des dépenses inutiles.

L'accompagnement doit être à la fois préventif et curatif, d'autant que, dans de nombreux cas, nous avons affaire à des personnes désocialisées, que ce soit sur le plan familial ou sur celui de l'emploi, qui ont de grandes difficultés à gérer leur quotidien. Je tiens à saluer le travail d'accompagnement exemplaire mené par des associations comme Crésus – elle n'est pas la seule. Se contenter d'effacer les dettes ne résout en rien les problèmes structurels des ménages qui doivent tout simplement apprendre à gérer un budget.

Convient-il de faire signer les deux conjoints lors de la souscription d'un crédit à la consommation ? La question, qui avait déjà été soulevée à l'occasion de l'examen de la loi Lagarde, n'avait pas trouvé de réponse. Une telle disposition poserait de gros problèmes pratiques tout en étant en contradiction avec le code civil, puisqu'elle ne serait pas étendue à la souscription de toutes les dettes. Peut-être conviendrait-il d'améliorer la procédure de la fiche de dialogue, dont la signature par l'emprunteur ne prête pas à conséquence en cas de déclaration erronée. Ne faudrait-il pas prévoir d'éventuelles incidences pour le signataire dont la déclaration serait manifestation erronée ?

L'établissement d'un tel fichier ne conduirait-il pas également à accréditer l'idée que les Français qui souscrivent un crédit à la consommation sont obligatoirement des menteurs ou que les établissements de crédits et les banques ne font pas leur travail en matière d'analyse de solvabilité ? Ce serait d'autant plus regrettable que, je le répète, l'origine du surendettement ne réside pas dans l'octroi des crédits.

Dans le cadre de la Conférence nationale contre la pauvreté, nous avons proposé la création, au plan départemental, avec les acteurs qui le souhaiteraient, de « points conseil budget » sous forme de guichets uniques. Il convient également de former les acteurs sociaux qui ignorent trop souvent les solutions financières ou bancaires existantes. Il n'existe en effet à l'heure actuelle dans le cursus des acteurs sociaux aucune formation aux questions financières, budgétaires et bancaires. Une mobilisation générale sur le sujet est nécessaire. Il convient également d'enrichir les indicateurs du FICP : j'ai évoqué les dettes de téléphonie mobile. D'autres indicateurs avancés de dégradation pourraient servir à l'allumage de feux verts, orange ou rouges. Toujours dans le cadre du FICP, la Banque de France pourrait aussi procéder à des études qualitatives ouvrant sur une connaissance plus approfondie de la situation réelle des débiteurs en défaut de paiement.

Je tiens à le répéter, lutter contre le surendettement est l'intérêt partagé des établissements bancaires et de leurs clients. La Conférence nationale contre la pauvreté a permis de dégager des propositions dont l'efficacité serait plus pérenne que celle d'un fichier positif, un outil disproportionné aux yeux du Conseil d'État dont l'impact risque de se révéler bien décevant. Nous souhaitons pouvoir travailler avec vous dès que le Gouvernement aura rendu public son amendement sur le sujet.

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