Intervention de Marie-George Buffet

Séance en hémicycle du 22 mai 2013 à 15h00
Projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, chers collègues, « remettre l'éducation et la jeunesse au coeur de l'action publique » était l'une des propositions phares du candidat François Hollande lors de la campagne présidentielle.

Cet objectif nous a amenés à débattre d'un projet de loi de refondation de l'école, dont le volet de programmation portait la création de 60 000 postes sur cinq ans. Nous pensions que la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche afficherait une ambition équivalente. Ce n'est pas le cas.

Vous nous avez, madame la ministre, expliqué en commission que vos objectifs seraient soumis aux arbitrages budgétaires. Les moyens d'une vraie ambition nationale pour le développement des connaissances, pour l'acquisition et la production des savoirs ne sont donc pas pour l'instant au rendez-vous, alors que les besoins sont immenses. Il nous fallait une loi de programmation ; elle n'est pas là, même si la commission a adopté l'idée d'une future programmation pluriannuelle des moyens.

Vous avez procédé à une concertation du monde universitaire et de la recherche lors d'assises, dans lesquelles la communauté scientifique s'est fortement impliquée. Or aujourd'hui, à l'appel de leurs syndicats – FSU, CGT, FO et Solidaires – et de nombreux collectifs – « Sauvons la recherche », « Sauvons l'université » …–, les universitaires et les chercheurs sont dans la rue pour demander le retrait de votre projet de loi.

Vous n'avez pas su ou pas pu, semble-t-il, tenir compte de la richesse de leurs propositions et recommandations. Alors qu'ils s'attendaient à une remise en cause claire de la loi LRU et du Pacte pour la recherche mis en oeuvre par la majorité précédente, les universitaires et les chercheurs constatent que le décollage n'a pas eu lieu.

Ils contestent le rôle assigné par l'article 4 à l'université et à la recherche, et sa logique de compétitivité qui fait écho à celle du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi. En fait, vous substituez à l'essor économique, social, culturel et industriel ce concept de compétitivité, ultime avatar du néolibéralisme. Vous soumettez ainsi la recherche à une logique concurrentielle, au lieu d'en faire l'instrument d'une production durable permettant de répondre aux besoins des êtres humains.

Notre pays a besoin au contraire, pour son essor scientifique et culturel, d'un développement exponentiel des coopérations, d'une mise en commun des ressources et des compétences intellectuelles, à l'intérieur de l'Hexagone mais aussi à l'échelle européenne et mondiale.

La compétitivité, alliée à la régionalisation, accentuée par amendement à l'article 12, ne correspond ni aux aspirations ni à la pratique scientifique du monde universitaire et de la recherche.

Cette fuite en avant dans la mise en place de grands complexes universitaires, mettant en concurrence régions ou métropoles, est dangereuse. Une vision régionale ne peut remplacer la cohérence du service public et n'assure en rien l'égalité d'accès aux droits portée par la République et pourtant affirmée à l'article 1er.

Vous nous dites, madame la ministre, que ce projet de loi a avant tout pour but la réussite des étudiants. L'objectif est juste, et je me félicite à cet égard que la formation initiale n'ait pas été boutée hors du code de l'éducation ! Mais, pour parler réussite, il faut traiter de la question des inégalités sociales. Je partage d'ailleurs ce qu'en dit l'exposé des motifs du projet de loi, qui indique que notre système « révèle son incapacité à assurer des parcours d'orientation et de formation réussis aux jeunes issus des familles les plus modestes ».

Or, pour répondre à ce défi, vous n'avancez ni sur l'allocation d'autonomie pour les étudiants ni sur l'idée d'un véritable prérecrutement des futurs enseignants. Aussi, face à ces manques, veux-je insister sur le besoin de développer l'aide sociale aux étudiants, par l'intermédiaire du CNOUS et des CROUS, et ce d'autant plus que nous avons appris le gel d'une partie des dotations à ces organismes.

Je me réjouis que nos amendements sur les nouvelles missions de l'observatoire de la vie étudiante et sur le développement des oeuvres universitaires aient été acceptés en commission.

Vous avez également, madame la ministre, argumenté sur la réussite des étudiants, favorisée selon vous par une réforme du premier cycle visant une spécialisation moins précoce. Dans son rapport, M. le rapporteur nous précise qu'une réforme de l'orientation aura bien lieu. À la suite du séminaire gouvernemental sur la compétitivité, le Premier ministre a en effet annoncé que serait « amorcée, dès 2013, la mise en place d'un nouveau service public de l'orientation, du secondaire au supérieur ». Un peu plus loin, le rapporteur précise : « Une réforme globale du cycle licence fera l'objet de mesures d'ordre réglementaire ». Notre rapporteur nous indique donc que des mesures seront prises, mais elles ne figurent pas dans ce projet de loi ! Vous comprendrez, madame la ministre, que l'importance du sujet puisse nous porter à demander des précisions quant à vos intentions sur ces deux questions.

Je voudrais, à ce point de mon propos, m'arrêter plus particulièrement sur le lien entre l'université et les bacheliers professionnels et technologiques. Le projet initial leur permettait de bénéficier d'un système de quotas pour intégrer prioritairement les STS et les IUT, ce qui nous semblait une mesure qui, à défaut de couvrir l'ensemble du cursus, nous semblait très intéressante pour les jeunes concernés.

Je m'inquiète de voir des amendements gouvernementaux à l'article 18 soumettre ces quotas à une négociation avec les chefs d'établissement concernés, les lycées privés étant, eux, exonérés de l'obligation de signer des conventions avec l'université. Le problème reste donc posé pour ces jeunes, qui risquent d'être soumis au bon vouloir de ce que l'on appelle le milieu socio-économique de leur région et de se voir empêcher d'intégrer des cursus de second cycle et de recherche.

La réussite, c'est aussi l'égalité républicaine devant le diplôme. Or, malgré l'article 1 bis nouveau, affirmant que l'État est le garant de l'égalité, nous craignons un glissement inéluctable vers des diplômes de groupements d'universités, accroissant d'autant les inégalités territoriales et sociales.

Si on fait le lien avec l'acte III de la décentralisation, ce qui nous est proposé peut conduire à l'éclatement du service public national, au profit d'une organisation régionale d'inspiration européenne. C'est ainsi que nous comprenons le glissement entre habilitation et accréditation, en lien avec la création des communautés d'établissements.

Si je me félicite que la commission ait adopté un amendement n'autorisant pas les établissements privés à délivrer des diplômes nationaux, le fait que le périmètre d'action du CNESER n'ait pas été accru renforce nos inquiétudes.

Enfin, si je me félicite également que l'article 2 sur l'enseignement en langue étrangère ait été modifié, à défaut d'avoir été abrogé, je voudrais souligner néanmoins que notre langue peut être la langue de l'excellence universitaire et de la recherche. Je recevais ce matin des représentants du Mozambique, selon qui l'obstacle à la venue d'étudiants n'était pas la langue mais bien les conditions sociales d'accueil de ces étudiants.

En ce qui concerne la recherche, autant je me réjouis que soit affirmée à l'article 11 « une stratégie nationale de recherche […] sous la coordination du ministre chargé de la recherche », autant je m'inquiète de l'alinéa suivant, qui coince cette stratégie entre les choix de l'Union européenne et des régions.

Quant au transfert, nous ne pouvons que nous interroger en voyant qu'il devient, même si la notion est encadrée par les amendements adoptés en commission, la mission prioritaire de la recherche. Comme le disent Claudine Kahane et Marc Neveu, co-secrétaires généraux du SNESUP : « Combien de chercheurs passionnés […] expriment leur écoeurement de ne plus disposer du temps long et des moyens pérennes, indispensables à la maturation de sujets de recherche ambitieux, à l'opposé du pilotage utilitariste et à courte vue… » Certes des relations entre le monde scientifique et l'entreprise sont nécessaires, mais elles ne peuvent pas résumer l'objectif des missions de l'enseignement supérieur et de la recherche, comme l'article 55 le laisse supposer. Et surtout, c'est la coopération entre partenaires de choix, sur la base du service public et sans domination de part ou d'autre, qu'il faut viser, sans quoi on peut s'interroger sur le devenir de la recherche fondamentale ou sur celui de la recherche en sciences humaines et sociales. Les scientifiques sont acquis de longue date aux coopérations de toute nature mais ce qu'ils ne veulent en aucun cas, c'est se soumettre à des exigences et à des injonctions extérieures à la logique scientifique.

Encore faut-il, pour qu'existe une coopération, que demeure une industrie et que celle ci s'imprègne des exigences de qualification, de formation, de rémunération et de recherche, en y consacrant les moyens adéquats, orientés vers une production de qualité plutôt que vers la rémunération des dividendes.

En ce sens, je déplore que les rapports qui se succèdent et prétendent évaluer le crédit impôt recherche concluent, tout en s'interrogeant sur son efficacité, à la nécessité de le reconduire ! Ce sont en effet cinq milliards d'euros qui sont soustraits à nos laboratoires publics au bénéfice d'entreprises comme Sanofi, Aventis, IBM ou Texas Instruments : on peut douter, à la lumière de cette liste, que ce dispositif ait fait ses preuves, notamment pour l'emploi.

Ne faut-il pas dès lors – et le rapporteur posait la question à sa manière – réintégrer dès cette année la moitié de ces sommes dans le budget de nos laboratoires publics ? Ce serait un signe fort, montrant que pour vous et votre gouvernement le rôle de la production et de l'appropriation collective des connaissances est devenu l'une des grandes questions de notre temps.

En ce qui concerne l'évaluation, si on peut se satisfaire de la disparition de l'Agence pour l'évaluation de la recherche scientifique, on doit hélas constater son remplacement par une structure quasiment identique. L'évaluation individuelle et collective est un exercice indispensable, mais elle doit avoir pour objectif constant l'amélioration du travail collectif de nos laboratoires et de nos chercheurs, et doit être effectuée par des pairs élus. En effet, va-t-on inventer une évaluation extérieure, par exemple pour le CERN, ce laboratoire gigantesque, témoin s'il en est de la coopération scientifique, technologique et industrielle entre différents pays ?

Quelques mots enfin sur la gouvernance, pour me féliciter surtout de l'instauration de la parité dans les instances de gouvernance, regretter le maintien de l'ANR et m'inquiéter du fait que la création du Conseil académique puisse diminuer les prérogatives du CVU.

Le CNESER ne doit pas voir ses prérogatives diminuées en faveur de la tutelle, là où des compétences scientifiques sont requises. Nous avons vu, en d'autres temps et d'autres lieux, ce à quoi ont pu conduire les velléités du politique prétendant dire à la science ce qui était bon pour elle et ce qui ne l'était pas ! C'est pourquoi, madame la ministre, je crois que nous avons le devoir d'entendre la communauté scientifique et universitaire lorsqu'elle nous demande, pour être efficaces, de développer la démocratie plutôt que de multiplier les contrôles et l'encadrement.

Dernier point, la question de la précarité, qui concerne cinquante mille personnes. La recherche et l'enseignement supérieur ont besoin de temps long, d'acquisition permanente de connaissances et donc de stabilité, en particulier dans les équipes. Est-ce compatible avec une politique de réduction des dépenses publiques ? Est-ce compatible avec la gestion de la masse salariale par les établissements d'enseignement supérieur ? Vous avez déjà commencé à répondre, avec la modification de l'article 3.

L'article 43 bis nouveau suscite également de nombreuses inquiétudes sur le statut de chercheur à plein temps.

Madame la ministre, aujourd'hui le SNESUP estime que « le sens profond des missions d'enseignement supérieur et de recherche et la notion même de service public national sont dévoyés par le nouveau projet de loi ». Je veux croire que le débat au sein de notre hémicycle va permettre de répondre aux attentes de celles et ceux qui manifestent aujourd'hui. Je reste dans l'état d'esprit d'y travailler tout au long de nos débats. Si ce projet restait néanmoins en l'état, les députés du front de gauche se verraient contraints de voter contre.

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