Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Réunion du 10 juillet 2012 à 12h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les parlementaires, c'est un grand honneur pour moi de présenter devant vous ma candidature au poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Pour cela, je rappellerai d'abord brièvement mon parcours avant de présenter ma vision de l'institution.

Ce parcours, à dominante économique, est composé de deux traits caractéristiques : le service de l'État et celui d'une Europe économiquement organisée. Je précise qu'il ne m'est jamais paru nécessaire de faire un choix entre les deux, ces deux domaines m'ayant toujours semblé indissociables.

Quelques expériences emblématiques illustrent bien ce goût de l'État et de l'Europe. De 1988 à 1991, j'ai dirigé le cabinet du ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire – ce qui m'a conduit, dans mes fonctions ultérieures, à toujours veiller à respecter l'ambition industrielle de notre pays. J'ai ensuite travaillé auprès de Jacques Delors à la Commission européenne, avant de rejoindre le cabinet du Premier ministre Lionel Jospin pour suivre les questions économiques et sociales. J'ai été directeur du Trésor de 2000 à 2004, au moment du passage de notre pays à la monnaie unique. Puis, après avoir été chef du service de l'Inspection générale des finances, j'ai été nommé secrétaire d'État chargé des affaires européennes, avec pour mission de mener à bien la présidence française de l'Union européenne.

J'ai appris à connaître la Caisse des dépôts lorsque j'étais au cabinet de Lionel Jospin : des réunions de travail étaient régulièrement organisées avec le directeur général de l'époque. En tant que directeur du Trésor, j'ai ensuite fait partie de la Commission de surveillance, dont le rôle, qui s'est développé au cours des dernières années, est à la fois de surveiller les équilibres financiers et d'entretenir le lien avec le Parlement, consubstantiel au modèle de la Caisse des dépôts.

En décembre 2008, j'ai été nommé par le Président de la République président de l'Autorité des marchés financiers, dont la tâche principale est de faire en sorte que la régulation financière accroisse la transparence et la rationalité des marchés. Il y a encore du chemin à faire, mais je remercie le Parlement d'avoir pris conscience, dans ce domaine, des enjeux consécutifs à la crise.

Pour résumer, depuis trente ans, mon unique boussole a été le service de l'intérêt général, toujours exercé dans un esprit d'indépendance. Si vous me donnez votre aval pour assumer la fonction de directeur général de la Caisse des dépôts, je compte persévérer dans cette voie.

Une exigence d'exemplarité s'impose à tous les directeurs généraux de la Caisse des dépôts. J'ai conscience que cette maison est la vôtre, que vous la connaissez parfaitement et que le législateur l'a créée en 1816 afin de protéger l'épargne des Français et rétablir la confiance dans le crédit public. Pour être clair, le meilleur garant de l'indépendance du directeur général, c'est vous : le directeur général se doit de rendre des comptes au Parlement et, si cette fonction m'échoit, je m'engage à venir devant vous régulièrement.

Ce dialogue est d'autant plus important que la Commission de surveillance et ses comités spécialisés sont au coeur de l'exigence d'exemplarité : les décisions prises par l'institution ne doivent être entachées d'aucun soupçon, aussi bien en cas de nouvel investissement qu'en cas de cession d'actif.

Je veillerai également à l'application rigoureuse des procédures relatives aux conflits d'intérêts et, plus généralement, aux règles de déontologie.

En ce qui me concerne, j'ai été auditionné par la Commission de déontologie de la fonction publique, après sa saisine par l'Inspection générale des finances. Elle s'est déclarée incompétente pour statuer sur mon dossier, dans la mesure où il s'agit de passer d'un organisme public à un établissement public – cet avis est d'ailleurs conforme à sa jurisprudence.

Toutefois, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté entre nous, je tiens à préciser que j'ai fait valoir devant la Commission de déontologie que le Collège de l'AMF n'avait jamais eu à statuer seul sur des dossiers relatifs à la Caisse des dépôts. Les visas qu'il attribue aux émissions obligataires sont toujours accompagnés d'un avis des services de l'AMF, sur lesquels je n'ai pas autorité puisqu'ils dépendent du secrétaire général. Je rappelle que l'AMF accorde quelque 600 visas par an, lesquels ne valident pas les opérations financières, mais indiquent simplement qu'elles sont structurées selon les normes. Je n'ai jamais utilisé la voix prépondérante qui m'est reconnue en tant que président s'agissant des dossiers relatifs à la Caisse des dépôts ou à ses filiales – ni dans aucun autre cas, d'ailleurs. Les décisions ont toujours été prises collectivement, que ce soit au sein du Collège ou des commissions spécialisées.

Les décisions pouvant être prises par délégation sont énumérées dans une décision du Collège du 5 janvier dernier ; il s'agit en général de points qui ne nécessitent pas de débat. Je n'ai jamais utilisé, à l'égard de la Caisse des dépôts ou d'une de ses filiales, mes pouvoirs propres de président de l'AMF : celui de suspendre la cotation d'un titre en Bourse, celui de restreindre les conditions de négociation des instruments financiers – par exemple, les ventes à découvert –, celui de représenter l'AMF devant les juridictions ou celui de former un recours à l'encontre d'une décision de la Commission des sanctions. D'autre part, le président peut déléguer la représentation de l'Autorité devant les juridictions. Je tiens donc à préciser, concernant les recours de l'Association de défense des actionnaires minoritaires – ADAM – contre la décision du Collège relative à l'offre publique d'Icade sur Silic, que je n'ai pas signé les observations de l'AMF.

Il n'en reste pas moins que la Caisse des dépôts est actionnaire d'entreprises intervenant dans des secteurs concurrentiels, suivant des règles de droit privé. L'activité de certaines de ces entreprises ayant pu, par le passé, être soumise au contrôle de l'AMF, j'ai décidé que, si je devenais directeur général de la Caisse des dépôts, je n'exercerais pas de responsabilités au sein d'entreprises cotées dans lesquelles la Caisse des dépôts détient des participations. Toutefois, la présence du directeur général de la Caisse des dépôts au Conseil d'administration du Fonds stratégique d'investissement – FSI – est prévue statutairement.

Quoi qu'il en soit, je sais pouvoir compter sur la Commission de surveillance et ses comités spécialisés pour exercer leur contrôle et continuer à optimiser les coûts et les ressources de la Caisse des dépôts, ainsi qu'à rationaliser les structures. Cela passera notamment par la contribution des principaux dirigeants à un effort de modération salariale. Je m'en tiendrai pour ma part à la rémunération fixe existante, à l'exclusion de toute part variable et de toute prime personnelle.

La Caisse des dépôts est unique, atypique. Il faut préserver cette spécificité, que l'on nous envie, car elle est la concrétisation, sur le terrain, du concept d'intérêt général.

La question prégnante, en particulier dans ce contexte de crise économique, est celle de son identité. Quel cap choisir ?

Les bouleversements économiques, financiers, sociétaux et géopolitiques que nous vivons sont le signe d'une ère nouvelle : on ne reviendra pas en arrière. Les grandes tendances qui se dessinent influeront sur le périmètre d'action du groupe.

Tout d'abord, les difficultés de financement de l'économie touchent plus particulièrement les PME et le secteur public local ; on note une demande accrue dans les territoires, provenant des acteurs publics locaux, des entreprises, des agents économiques, dans un contexte économique et social fragile où le crédit se fait rare et où les collectivités publiques et l'État sont déjà fortement endettés. L'action du groupe s'avère plus que jamais indispensable, via deux domaines d'intervention : l'investissement dans le développement local et territorial, et l'investissement dans les entreprises. La Caisse doit relever ce défi du financement de l'économie.

Le groupe Caisse des dépôts est, de loin, le premier investisseur français en fonds propres, grâce au FSI, à CDC Entreprises et à Qualium Investissement, qui se sont positionnés prioritairement sur le renforcement des PME et des entreprises de taille intermédiaire – ETI –. La Caisse des dépôts a participé à la moitié des opérations d'augmentation de capital dans les PME françaises en 2010 et est présente au capital de 230 fonds d'investissement répartis sur l'ensemble du territoire.

Le groupe joue en outre un rôle majeur dans le renforcement du potentiel de croissance en France. Son action s'ordonne autour de trois axes prioritaires : le développement durable, la recherche et développement, les infrastructures.

Enfin, le groupe s'efforce d'anticiper les tendances lourdes qui modifient notre modèle ; en particulier, le vieillissement de la population touche tous les métiers du groupe, à commencer par la gestion des flux d'épargne et d'investissement.

Ces tendances à long terme conduisent à s'interroger sur l'identité de la Caisse des dépôts et consignations. Pour lui permettre de mener à bien ses missions, vaudrait-il mieux mettre en place une structure de type holding, plus légère à manoeuvrer et plus adaptable, ou faut-il, au contraire, consolider sa nature de groupe ? Selon moi, il est essentiel de renforcer l'unité et l'identité du groupe, car c'est sa marque de fabrique ; toutefois, cela ne doit pas empêcher de faire des choix et de lutter contre l'immobilisme.

La Caisse des dépôts et consignations est un investisseur responsable, de long terme, mais elle doit aussi être un investisseur avisé, qui sache faire preuve d'audace – sans toutefois s'éparpiller. La Caisse des dépôts ne sait pas et ne peut pas tout faire ; il faut qu'elle ait un périmètre d'action, défini par une doctrine et contrôlé par la Commission de surveillance.

La Caisse doit également trouver un souffle nouveau, et c'est en partie à l'international qu'elle peut le faire. Pour citer Augustin de Romanet – à qui je rends hommage pour son action à la tête de l'institution –, la mondialisation remet en question nos valeurs et ébranle notre vision mais, à condition de s'organiser et de bien la comprendre, elle recèle d'immenses perspectives.

Même si certaines actions devraient être revisitées, la Caisse des dépôts a développé une politique internationale ambitieuse. J'entends lui donner les moyens de continuer à la mettre en oeuvre et développer des partenariats qui permettront aux entreprises françaises, notamment aux PME, de se déployer plus largement vers les nouveaux marchés. Surtout, je souhaite développer sa capacité à attirer dans notre économie des capitaux à long terme, en particulier ceux des fonds souverains et des investisseurs institutionnels étrangers, grâce au Club des investisseurs de long terme, pour l'Europe, et à l'Institutional Investor Roundtable, pour l'international. Cette action s'appuiera sur la création au sein du groupe d'un pôle d'expertise dédié à cette tâche.

Les efforts de la Caisse devront être intensifiés dans trois domaines, essentiels pour le développement de notre pays : les infrastructures, qui sont un axe d'intervention prioritaire car il s'agit d'un facteur de compétitivité pour les territoires ; le logement et la performance énergétique, qui demeurent des objectifs stratégiques, devant être conjugués avec d'autres activités comme l'intégration et l'aménagement urbain ; enfin, l'accompagnement des territoires ruraux, qui est pour moi un enjeu primordial : la dévitalisation de l'espace rural et de certaines régions industrielles est une des principales causes des déséquilibres économiques et sociaux actuels et de la perte de cohésion sociale dans notre pays.

D'une manière générale, tous les territoires connaissent une diminution drastique de leurs ressources parallèlement à une inflation de leurs missions. À chaque territoire sa spécificité : la Caisse doit tenir compte de ce principe. Il s'agit d'un véritable défi pour ses directions régionales, qui devront « territorialiser » davantage leurs actions pour mieux répondre aux besoins croissants des collectivités locales.

Le numérique, la recherche et l'innovation d'une part, tout ce qui touche à la dépendance d'autre part, sont d'autres secteurs dans lesquels la Caisse des dépôts sera plus particulièrement appelée à intervenir. Soyez certains que je me déplacerai sur le terrain afin d'apporter mon soutien aux élus et aux directeurs régionaux de la Caisse, qui sont les représentants personnels du directeur général et qui ont été beaucoup sollicités ces derniers temps, avec notamment la mise en oeuvre des programmes des investissements d'avenir et des investissements territoriaux directs : 400 millions d'euros de fonds propres ont été investis dans les territoires en 2011.

La Caisse des dépôts est ainsi le premier partenaire des acteurs du développement économique local, grâce à ses prises de participation dans des projets territoriaux, à son action traditionnelle en faveur du logement social – 110 000 logements HLM construits ou rénovés grâce au Fonds d'épargne en 2011 –, et à la fourniture de solutions locales par les différentes filiales de services du groupe.

La Caisse des dépôts amorce d'autre part son retour en tant qu'acteur direct du financement des collectivités locales : 10 milliards de financements sur fonds d'épargne ont été mis en place entre le second semestre 2011 et le premier semestre 2012. De plus, un nouvel acteur bancaire spécialisé dans le financement local est en cours de création, en partenariat avec la Banque Postale. Nous attendons le feu vert de la Commission européenne à ce sujet.

Dans ce contexte, le plan stratégique « Élan 2020 » sera inévitablement appelé à être actualisé. Il faudra également tenir compte des nouveaux projets, comme celui de la future Banque Publique d'Investissement, auquel la Caisse des dépôts travaillera en partenariat avec l'État, en tâchant de promouvoir une véritable vision industrielle.

Enfin, il est essentiel de protéger l'épargne. À la présidence de l'AMF, j'avais érigé cette mission en priorité ; je souhaite faire de même à la tête de la Caisse des dépôts.

La crise financière de 2007 a remis l'épargne des ménages au coeur des préoccupations des acteurs économiques et financiers ; la protection des épargnants ne doit pas être une variable d'ajustement des politiques. À la fin 2011, la Caisse des dépôts gérait pour le compte de l'État 222,5 milliards d'euros de fonds d'épargne ; je puis vous assurer que, si vous m'accordez votre confiance, je serai fidèle au serment d'investiture que je prêterai devant la Commission de surveillance et que je serai le protecteur de l'épargne.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les parlementaires, la Caisse des dépôts est un modèle d'indépendance, disposant d'un mode de gouvernance unique, fondé sur la Commission de surveillance et ses comités spécialisés. Il faut à tout prix préserver ce modèle.

Rendre des comptes au Parlement, c'est-à-dire à la nation, sera l'un de mes principaux engagements : la Caisse des dépôts doit plus que jamais faire preuve d'exemplarité. Mais je sais que cette maison a le culte de l'intérêt général et que les mots « responsabilité », « éthique », « foi publique » y ont un sens. Ses collaborateurs ont toujours agi dans cet esprit, y compris durant dans la délicate période de l'intérim qu'Antoine Gosset-Grainville a parfaitement assuré. Les missions de la Caisse des dépôts ont des répercussions sur la vie quotidienne de tous les Français et, dans la période économique difficile que nous traversons, la Caisse reste un symbole de cohésion et de solidarité.

La période qui s'ouvre sera particulièrement stimulante pour une institution appelée à relever de nouveaux défis tout en optimisant son périmètre d'action et ses marges de manoeuvre. En 2016 la Caisse des dépôts et des consignations célébrera son bicentenaire. Je souhaite que ce rendez-vous soit le vôtre et qu'à cette occasion, l'on constate, plus que jamais, l'utilité de la Caisse des dépôts pour la vie économique et sociale de notre pays.

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