Merci, madame la présidente, pour cette première invitation à échanger au sein de votre commission, même si j'ai déjà eu l'occasion de débattre avec vous par deux fois dans l'hémicycle. Je suis également ravi d'être devant vous au lendemain de mon déplacement à Strasbourg.
Le contexte de crise à l'échelle de l'Union va sans doute me faire apparaître plus souvent comme pompier, au moins dans l'immédiat, mais un pompier-architecte oeuvrant à une réorientation de la construction européenne, comme le faisait avant lui son prédécesseur, suivant en cela le cap fixé par le Président de la République. L'Union traverse une crise économique difficile qui a des conséquences majeures sur la vie de nos concitoyens, notamment à travers le chômage, mais qui se traduit aussi par la montée de mouvements populistes d'expressions différentes : élection de Bepe Grillo non loin de chez nous, émergence du parti des vrais Finlandais en Finlande, vote de lois constitutionnelles peu conformes à l'esprit des traités de l'Union en Hongrie, chefs de gouvernement menaçant d'en appeler au référendum populaire pour décider si leur pays doit rester ou non dans l'Union. Je ne les citerai pas, mais nombreux aussi sont les responsables politiques français qui ont récemment tenus sur l'Europe des propos tendant à en faire le bouc émissaire des difficultés nationales. À un an des élections, les partis démocrates doivent prendre garde à ne pas contribuer avec leurs propres arguments à cette stratégie de délitement du lien d'Europe : ils en seront les grands perdants.
Nous voulons réorienter la construction européenne pour retrouver du sens, pour dire clairement que nous refusons l'austérité comme seul horizon des peuples européens, pour remettre la croissance et l'emploi au coeur de l'action de l'Europe, pour poursuivre la régulation de la finance. C'est un triptyque croissance-responsabilité-régulation de la finance qui doit être le principe directeur de la construction de l'Europe de demain.
La responsabilité budgétaire est nécessaire d'abord à l'échelon national, pas forcément vis-à-vis de l'Europe. Je dis cela pour couper court à l'idée qui s'installe dans notre pays laissant à penser qu'une bonne gestion budgétaire serait imposée par une décision européenne. Or la bonne gestion budgétaire est une nécessité y compris à l'égard du marché monétaire car, si d'aventure notre déficit se creusait dans des proportions inacceptables, nous aurions à en payer le prix sur la scène nationale, indépendamment des objectifs que nous demande l'Union européenne. Aujourd'hui, un point d'augmentation du taux auquel nous empruntons, qui peut résulter de l'inquiétude des agences de notation et des marchés financiers face à l'aggravation du déficit budgétaire, c'est 2 milliards d'euros cash sur une année pour un emprunt à court terme et 7 milliards sur les emprunts sur six ans.
La nécessaire responsabilité budgétaire doit être associée à un message sur la croissance et l'emploi. Au cours des dix derniers mois, vous avez débattu de mesures qui ont été prises, comme les 120 milliards d'euros du pacte de croissance actés en juin 2012. D'autres vont suivre avec les nouvelles propositions de la Commission au Parlement européen liées au cadre financier pluriannuel 2014-2020, comme la création d'une ligne de 6 milliards d'euros consacrés à la formation des jeunes dans les régions où le taux de chômage des jeunes est important, ou encore la mise en place de la taxe sur les transactions financières pour donner demain de nouvelles ressources propres à toute l'Europe ou à la seule zone euro. On voit bien ainsi qu'une gestion rigoureuse de notre budget n'entraîne pas, à l'échelle de l'Union européenne, la privation d'outils nouveaux de nature à nous conduire vers la croissance et vers l'emploi.
Bien sûr, nos perspectives budgétaires nationales peuvent se révéler plus difficiles que prévu : la croissance qui n'est pas au rendez-vous, au dernier semestre 2012, dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, c'est moins de recettes pour notre pays ; une intervention militaire que nous n'avions pas anticipée, c'est aussi de la dépense publique dont on doit tenir compte ; la proposition de la Commission pour le cadre financier pluriannuel, qui pourrait se traduire par une dépense sur la période 2014-2020 en augmentation d'environ 50 milliards d'euros par rapport à la période 2007-2013, a aussi des répercussions sur la gestion du budget en France. Cette proposition aurait ceci de bon qu'elle permettrait de conforter les politiques structurelles, de créer de l'emploi à travers le lancement de grands chantiers. Or le Parlement européen pose des préalables à son adoption. Souhaitant s'assurer que ce qui est acté dans le budget est bien consommé, celui-ci réclame une clause de revoyure à mi-chemin en vue de réorienter les crédits non consommés. Une deuxième condition est l'introduction de flexibilité, d'une part, entre les rubriques, d'autre part, d'une année à l'autre, là aussi pour s'assurer que les budgets sont bien consommés. Sur ces deux premiers points, la France s'est déclarée ouverte au dialogue avec le Parlement.
Sur un troisième point concernant la possibilité pour l'Europe d'avoir un jour des ressources propres dans le budget, l'ouverture n'est pas totale. D'une part, cela ne pourrait pas se faire avant l'adoption du budget en juin ou juillet prochain. D'autre part, la discussion sur l'affectation par exemple d'une partie de la taxe sur les transactions financières ne pourrait se dérouler aujourd'hui qu'à traité de fonctionnement de l'Union européenne constant. Toutefois, la vraie difficulté n'est pas là, elle est sur le budget rectificatif dont on attend qu'il solde les factures du passé pour ne pas obérer l'enveloppe 2014-2020. La Commission estime à 11,2 milliards d'euros le versement supplémentaire que les pays de l'Union européenne devraient effectuer pour payer des dépenses du FSE ou du FEDER. Cet argent n'est pas inventé, il faut le sortir de nos caisses. Pour notre pays, c'est une dépense budgétaire supplémentaire de 1,8 milliard d'euros qui n'avait pas été intégrée dans le calcul de l'objectif des 3 % de déficit fixé par l'Union européenne. La France n'a pas opposé un refus catégorique mais a demandé, en contrepartie, que la Commission tienne compte de cet élément nouveau et accepte de repousser l'objectif de 3 % à 2014. Cette demande a reçu un accueil plutôt positif, en raison des réformes structurelles engagées par la France au cours des deux dernières années, qui la placent sur une bonne trajectoire. Cela dit, tous les membres de l'Union européenne n'ont pas la même position, notamment des petits pays dont la contribution serait pourtant bien moindre que celle de la France, de l'ordre de 200 à 300 millions d'euros.
L'union économique et monétaire doit constituer la suite des avancées qui ont été actées au cours des derniers mois dans l'établissement d'une véritable union bancaire de la zone euro. L'expérience chypriote a montré combien ces avancées étaient nécessaires et positives : elles ont quand même permis de répondre à une crise majeure d'un pays, ce que l'on a, me semble-t-il, un peu rapidement gommé. La vision négative qu'ont contribué à en donner les communications sur le sujet est tout à fait regrettable. Maintenant, il faut avancer sur la question de savoir si cette crise aurait pu être évitée grâce à certains mécanismes de prévention. Dès lors qu'on reconnaît à la Banque centrale européenne la capacité d'accompagner les États, on voit bien qu'il faut pousser au-delà pour accompagner désormais directement les banques afin d'éviter d'aggraver la qualité de la dette souveraine des États. La France défend l'accord de recapitalisation directe des banques vers lequel on s'achemine. Il se trouve que le COREPER se réunit aujourd'hui pour s'accorder sur les modalités de la supervision bancaire. Il faut toujours avoir dans le viseur qu'une avancée sur les outils économiques doit s'accompagner d'une avancée politique perceptible par les concitoyens européens. En même temps qu'on progresse dans la sécurisation des banques, il faut trouver des solutions pour sécuriser leurs clients que sont les épargnants, mettre en place des mécanismes qui protègent l'épargne et des mécanismes qui dissuadent la spéculation, et s'assurer finalement, à travers la supervision bancaire, que l'argent est effectivement utilisé pour l'économie réelle et non plus pour la spéculation financière. Ce sont des chantiers aujourd'hui en cours.
Plusieurs de mes déplacements, dont l'un de deux jours au Parlement européen, m'ont fourni l'occasion de m'entretenir de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. À toute chose malheur est bon, les efforts engagés depuis le mois de novembre au sein du Conseil, à l'initiative de la France, et visant à mettre en place des mécanismes de transparence, sans barrière, entre les membres de l'Union, vont sans doute connaître un aboutissement que seule peut déclencher la prise de conscience que cela suffisait, qu'on était arrivé au bout de l'acceptable : dans notre propre périmètre de l'Union européenne, nous n'arrivions pas à obtenir la transparence des comptes alors même que certains membres de l'Union, qui, aujourd'hui encore, sont des paradis fiscaux, acceptaient d'avoir cette transparence vis-à-vis d'États tiers, notamment les États-Unis. Sous la pression, le Luxembourg et l'Autriche, pays petits par la taille et la population mais importants par leur réseau bancaire, ont concédé des ouvertures. Les arguments se font très pressants pour qu'ils aillent jusqu'au bout. Au plus haut niveau des États et de la Commission, on a bon espoir, même si l'un des deux pays indique qu'il se décidera définitivement après l'été, à l'issue d'une échéance électorale.