Intervention de Rémy Pflimlin

Réunion du 25 septembre 2012 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Rémy Pflimlin, président de France Télévisions :

Messieurs les présidents, mesdames, messieurs les députés, je suis très heureux de pouvoir vous rendre compte de l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens pour l'année 2011.

L'année dernière, à cette même époque, j'évoquais avec vous les perspectives tracées par un plan stratégique et par un contrat d'objectifs et de moyens que nous nous apprêtions à signer avec l'État pour cinq années à la fin novembre. L'année 2011 aura donc été la première année de sa mise en oeuvre. Vous avez pu prendre connaissance du rapport relatant son exécution, dont une synthèse vous a également été remise.

La quasi-totalité de nos engagements a été tenue. Je ne les restitue pas tous ici, mais je veux insister sur quelques objectifs qui ont fait en 2011 l'objet d'un effort particulier et de résultats tangibles, parfois spectaculaires, résolument poursuivis en 2012 dans des conditions économiques, vous l'avez dit, déjà plus difficiles.

D'où sommes-nous partis et quelles sont ces avancées ?

Le COM porte un objet éditorial avant toute chose. Dans ce domaine, nous avons cherché à renforcer les identités respectives de chacune des antennes de France Télévisions, tout en nous projetant dans les territoires nouveaux et jusqu'alors sous-utilisés du numérique. Ce renforcement était crucial en 2011 pour que la télévision publique continue à fédérer, face aux modifications profondes des modes de consommation de la télévision induites par la TNT. Cette ambition s'est déclinée en termes de présence territoriale, d'investissements dans la création, dans l'information et dans le sport, ainsi que de développement de nos plus petites chaînes et, bien sûr, dans le domaine du numérique.

Notre présence territoriale, tout d'abord.

En métropole, le volume de diffusion régionale de France 3 a crû de plus de 30 %, et le coût horaire des programmes régionaux a baissé de 20 %. C'était une demande forte. Nous y avons répondu à coût maîtrisé en améliorant l'efficacité et la productivité. Vous savez l'importance de France 3 dans le lien social : nous devons certainement faire encore bien mieux et plus. Je tiens à affirmer devant vous que France 3 n'est pas un problème pour France Télévisions, mais un atout pour l'audiovisuel public et pour la France.

Outre-mer, un défi considérable a été relevé par nos équipes en à peine plus d'un an : transformer les ex-Télés Pays de RFO, dont les grilles reposaient à 80 % sur la reprise des programmes des chaînes publiques nationales. Cette reprise avait en effet perdu tout sens avec la diffusion directe de nos chaînes nationales dans tous les outre-mer depuis l'arrivée de la TNT fin 2010. Nous avons donc mis en place une programmation aux trois-quarts spécifique à ces antennes, renommées Outre-mer Première.

En matière de soutien à la création, les investissements de France Télévisions ont atteint en 2011 un niveau historique. Avec 416 millions d'euros consacrés à la production d'oeuvres audiovisuelles et près de 63 millions d'euros de soutien au cinéma, cette contribution concerne plus de 60 % de la production française ! C'est ainsi tout un secteur dont l'économie, l'emploi et la production reposent sur notre groupe. Chacun devra en avoir conscience à l'heure des choix. Pour notre part, nous considérerons toujours ce rôle comme l'une de nos raisons d'être, même si nous devons être contraints de proportionner nos efforts aux moyens qui nous seront alloués à l'avenir.

En matière d'information, en 2011 et 2012, France Télévisions est redevenue le lieu du débat démocratique audiovisuel. Nous avons recréé de grandes émissions politiques qui faisaient tant défaut à notre pays, avec « Des paroles et des actes », et accueilli la parole des responsables politiques pendant presque 1 000 heures sur l'ensemble de nos antennes nationales et régionales entre janvier et mai derniers, quand nos concurrents lui allouaient quelques dizaines d'heures. En outre, nous avons fait considérablement progresser l'audience des journaux de France 2 et de France 3.

Ce rang que nous avons désormais regagné en matière d'information et de débat, nous le conquérons également sur internet et sur la téléphonie mobile. Lancée fin 2011 sur le Web, la plateforme France TV Info est désormais disponible sur l'ensemble des supports. Et d'après les mesures d'audience internet de Médiamétrie, France Télévisions est devenue cet été, devant TF1, le premier groupe audiovisuel dans l'univers des « news ».

Avec Thierry Thuillier, le directeur de l'information, et tous les journalistes des rédactions, nous engageons maintenant une nouvelle étape avec le plan « Info 2015 », qui poursuit deux finalités maîtresses : d'une part, accentuer les identités respectives des offres de chacune de nos chaînes – ce qui ne sera pas uniformiser, comme certains le prétendent – ; d'autre part, diversifier les rythmes de nos offres pour répondre aux usages numériques, projetant ainsi une organisation adaptée à notre exigence d'indépendance, de diversité et de modernité.

Le sport est également un genre essentiel, auquel le service public doit plus que jamais garantir l'accès gratuit à nos concitoyens en même temps qu'il doit couvrir la diversité des disciplines. En 2011, année non olympique, nous avons retransmis les manifestations de 26 disciplines et traité de près de 110 d'entre elles dans nos journaux et magazines. Cet été, près de 40 millions de Français ont regardé au moins une heure de programme olympique sur les chaînes publiques. Cette performance, nous la devons au talent des équipes de France Télévisions, mais aussi aux équilibres financiers de notre contrat d'objectifs et de moyens, qui nous ont jusqu'à présent permis de sécuriser les droits des plus grands événements, sans surenchère sur un marché qui s'y prête pourtant. Ce n'est pas un luxe au profit de France Télévisions, c'est la condition d'un accès gratuit pour tous à de très grands moments de cohésion nationale.

Je souhaite également m'arrêter quelques instants sur la montée en puissance en 2011 de France Ô, de France 4 et de France 5.

France Ô rend compte, vous le savez, de la culture et de l'actualité des outre-mer. Mais elle développe désormais bien plus que cela et s'intéresse notamment aux cultures européennes, africaines, américaines et indiennes qui passionnent nombre de nos concitoyens, sans oublier les cultures urbaines de nos villes. Si l'audience de cette chaîne n'est pas encore mesurée par Médiamétrie pour des raisons de coût, la qualité de ses programmes et sa contribution à la diversité ont été reconnues par la presse en 2011, ce dont nous nous réjouissons.

France 4 est devenue en 2011 le principal levier de renouvellement de notre public, alors que la TNT accélère le vieillissement des antennes dites « historiques », qu'elles soient privées ou publiques. Non seulement l'audience de la chaîne progresse fortement – de 23 % entre 2010 et 2011 –, mais elle croît plus nettement encore auprès du public qu'elle vise, avec une augmentation de 35 % auprès des 15-34 ans. Ce succès exaspère nos concurrents privés car ces résultats comptent parmi les meilleurs des chaînes de la TNT, pour un coût de grille largement inférieur à celui de ses concurrentes directes. Disons-le : France 4 a montré en 2011 la capacité d'efficacité du service public.

L'année 2011 fut aussi marquée par le succès de France 5, avec une audience en croissance de 7 % sur la dernière saison. Il s'agit là d'une inversion de tendance remarquable pour une chaîne qui connaissait une érosion mécanique, due à la poussée des nouveaux entrants de la TNT. France 5 incarne à elle seule la mission d'éducation du service public de la télévision, et nous sommes fiers d'avoir pu élargir son audience en évitant l'écueil d'une chaîne réservée aux experts.

En travaillant en 2011 à la consolidation de France 3, dont les résultats commencent à être visibles, et en maintenant le rang de France 2, notamment grâce à l'information et aux sports, nous avons poursuivi une ambition essentielle : demeurer le premier groupe audiovisuel de France, signe de la confiance des Français pour une télévision qu'ils financent directement. Avec une part de marché de 29,9 % en 2011 dans un contexte concurrentiel inédit, avec moins de chaînes, deux fois moins de moyens que la BBC et trois fois moins que la télévision publique allemande, je crois que nous y sommes parvenus sans dégrader la qualité de nos offres, comme en attestent nos mesures qualitatives.

J'ai évoqué notre succès en matière d'information sur internet. Au-delà, c'est bien la stratégie numérique globale de France Télévisions, dont le retard était unanimement pointé il y a peu, qui a pris son essor. A côté de la plateforme France TV Info dont j'ai parlé tout à l'heure, les trois quarts de nos programmes sont désormais disponibles en rattrapage, gratuitement et pour sept jours sur notre site Pluzz, sur internet comme sur les mobiles et les tablettes. En deux ans, ce service est passé de 7 à plus de 50 millions de vidéos vues chaque mois. Avant l'été, nous avons lancé Pluzz VaD afin de permettre aux utilisateurs de compléter l'offre gratuite par une offre payante. En outre, depuis avril, France Télévisions est la seule à proposer, sur Pluzz, une partie de ses programmes sous-titrés.

Ces étapes sont décisives car elles permettent aux programmes de France Télévisions, à ses marques et à sa spécificité, d'être enfin présents, visibles et valorisés, y compris commercialement, d'être au coeur des nouveaux usages adoptés par nos concitoyens, notamment par les plus jeunes d'entre eux. Cela est indispensable pour permettre à France Télévisions de maintenir sa capacité à exercer des missions de service public au sein d'univers marqués par un « hyperchoix » et par l'entrée désormais effective, via la fameuse télévision connectée, des puissants acteurs américains Apple et Google. Des univers où le meilleur doit donc redoubler d'efforts pour surnager au milieu du pire.

Telles sont les grandes lignes de ce que nous avons réalisé en 2011 en matière de programmes et de stratégie numérique.

Permettez-moi d'aborder maintenant les autres aspects de ce bilan 2011 en les reliant intimement aux évolutions récentes et aux perspectives pour 2013 dont elles sont, en réalité, indissociables.

Je commencerai par les aspects sociaux et organisationnels.

L'année 2011 et le premier semestre 2012 ont vu la construction de l'entreprise commune franchir des étapes importantes. Construction sociale, avec la signature de deux accords concernant les journalistes et le temps de travail. Construction technologique, avec la poursuite des chantiers cruciaux de convergence des outils informatiques, de gestion, de planification et d'administration du stock de programmes. Construction organisationnelle, avec la mise en place opérationnelle d'un schéma lisible redonnant sa place à chacun des collaborateurs.

Je veux le rappeler une nouvelle fois : cette entreprise continue à payer, au sens propre comme au sens figuré, l'impréparation de la fusion juridique décidée par la loi de 2009 et effective en janvier 2010. Certes, l'entreprise unique était et reste une nécessité, une évidence même dans le paysage qui est le nôtre. Mais unifier huit sociétés, cinq chaînes, et même quatorze avec celles des outre-mer, rassemblant plus de 10 000 collaborateurs, des chaînes que l'histoire a conduites à se construire en opposition les unes aux autres, demande du temps. Du temps pour négocier les statuts collectifs, pour exposer la nouvelle organisation aux instances et aux personnels, pour rapprocher et fluidifier les procédures et les outils de travail, notamment informatiques, comme pour regrouper physiquement les collaborateurs des nouveaux services communs. Si une part importante du chemin a été couverte, les bénéfices et synergies que nous en attendons ne seront visibles que lorsque la transformation sera parachevée dans tous ses volets.

Le temps audiovisuel est long, ne serait-ce qu'en raison de la durée des cycles de production des programmes. Celui d'une grande entreprise comme France Télévisions l'est plus encore, et il fut marqué à partir de 2008 par une succession de chocs qui ont profondément bouleversé son modèle et lui ont fait perdre nombre de ses repères. Ayons tous à l'esprit que la stratégie définie par le contrat d'objectifs et de moyens avec l'État, après avis du Parlement, revêtait un caractère pluriannuel, et que la proposition budgétaire dont vous serez saisis prochainement devrait provoquer un choc au moins aussi important que ceux du passé.

Sur le plan de la gestion, la trajectoire budgétaire prévue par le plan d'affaires 2011-2015 adossé au COM a été respectée. La priorité a été donnée aux dépenses de programmes, avec un coût de grille en augmentation de 2,7 % et, je le rappelle, un effort inédit en faveur de la création, alors même que nos recettes totales diminuaient de près de 1 % en valeur au cours de cette même année 2011. La maîtrise des charges hors programmes a permis à France Télévisions de parvenir à un résultat à l'équilibre.

J'en viens à présent à la question préoccupante de nos ressources.

Depuis la signature de ce COM, des éléments nouveaux, pour certains totalement inattendus, sont venus assombrir à plusieurs égards notre environnement.

En premier lieu, nous savons désormais que six nouvelles chaînes seront lancées dès décembre prochain sur la TNT, dont certaines seront en concurrence frontale dans leurs intentions éditoriales avec nos chaînes publiques. Rappelons qu'un acteur historique de la télévision payante a racheté deux chaînes de la TNT gratuite, dont l'une – D8 – a un coût de grille trois fois supérieur à ceux généralement constatés dans l'économie de la TNT, et qu'il dispose de leviers considérables pour l'acquisition de programmes.

D'autre part, un retournement très net du marché publicitaire s'est amorcé fin 2011. Il se poursuit en 2012 : l'ensemble du secteur est frappé, quels que soient les médias. Nos recettes publicitaires, qui accusaient au 30 juin un retard de 35 millions d'euros par rapport au budget prévisionnel, pourraient se trouver à la fin de l'année en retrait de 50 millions d'euros par rapport aux hypothèses du COM. Celui-ci a été négocié, je vous le rappelle, au premier semestre 2011 dans une conjoncture qui permettait raisonnablement de tabler sur une hypothèse de stabilité des recettes publicitaires entre 2011 et 2012. Et c'est sans ironie que je rappellerai qu'il y a un an, ici même, il était question de ponctionner les excédents des recettes publicitaires de France Télévisions, preuve que les temps ont réellement changé.

Qu'avons-nous fait face à cette dégradation ? Dès la fin du premier trimestre, nous avons engagé un plan de réduction des dépenses qui devrait nous permettre d'absorber les pertes du premier semestre, mais il n'est pas certain que cela suffise à couvrir l'ensemble du recul en fin d'année.

S'agissant des ressources publiques, j'ai indiqué le 28 août dernier, lors de la conférence de rentrée de notre groupe, puis à tous les collaborateurs de l'entreprise via leurs représentants, qu'il était inimaginable de ne pas prendre part à l'effort national demandé à tous les services publics et, plus généralement, aux Français. Les salariés de France Télévisions sont conscients de la nécessité de cet effort. Nous l'avons consenti en 2012, avec une réduction de 15 millions d'euros de nos concours publics en loi de finances initiale, puis de 6 millions d'euros en première loi de finances rectificative pour 2012, et enfin de 6 millions d'euros par gel de la réserve de précaution. Pour cette année, nos ressources publiques sont donc déjà en recul de 27 millions d'euros par rapport aux hypothèses du COM. À cette réduction s'ajoute le recul de nos recettes publicitaires que j'ai mentionné tout à l'heure.

L'ampleur de l'effort, même s'il reste à confirmer, qui devrait être demandé à l'entreprise en 2013 va exiger des décisions plus difficiles encore.

La première étape est bien évidemment l'ouverture avec l'État d'une discussion sur la révision du contrat d'objectifs et de moyens, entendu comme un accord articulant objectifs et moyens de façon équilibrée. Quel qu'en soit le résultat, les conséquences seront majeures : recentrage sur nos missions essentielles et abandon d'activités connexes ou de dépenses évitables, attention redoublée à la suppression des dépenses de programmes inutiles et plus grande âpreté dans les négociations avec nos fournisseurs.

Tout en préservant, en métropole comme dans les outre-mer, l'implantation territoriale et le rôle de proximité de la télévision publique auquel nous sommes tous particulièrement attachés, nous aurons à simplifier nos organisations. Sans remettre en cause la philosophie des accords qui nous lient aux filières de création d'oeuvres audiovisuelles – fiction, documentaire, animation, spectacle vivant –, raison d'être de France Télévisions, nous devrons également adapter nos engagements en faveur de la création aux moyens nouveaux qui nous seront alloués.

Enfin, comme vous le savez, France Télévisions est engagée dans une trajectoire de baisse de ses effectifs, qu'il nous faudra examiner à l'aune des économies qui nous seront demandées.

Mesdames et messieurs les députés, France Télévisions doit faire face à un tournant majeur. Si nous voulons qu'elle se réforme, les économies qui lui seront demandées et les recettes qui lui sont accordées ne doivent pas la conduire à sacrifier ses missions essentielles. Au contraire, l'époque de mutation et de crise dans laquelle nous sommes réclame de conserver et de consolider une télévision publique forte, un repère pour les millions de Français qui la choisissent quotidiennement, mus par des logiques non marchandes.

Le cap que j'ai fixé est clair et partagé : accentuer la différenciation de nos offres, dominer les univers numériques et y devenir leader, être la référence de l'information pour nos concitoyens, et construire une organisation commune efficace.

Le rythme des économies qui nous seront demandées doit être planifié afin de ne pas fixer, notamment en 2013, des objectifs hors de portée et susceptibles de compromettre nos missions. L'équation budgétaire à venir risque de conduire à l'effet inverse de celui recherché et de mettre un coup d'arrêt à la marche de l'entreprise telle que je l'ai décrite. Ma responsabilité est de vous alerter sur cette question. Il appartient désormais au Gouvernement comme à la représentation nationale de se prononcer, dans le cadre du projet de loi de finances et du projet de loi sur l'audiovisuel à venir, sur les moyens permettant d'atteindre le juste équilibre que nous souhaitons tous pour notre télévision publique.

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