Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du 9 avril 2013 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo, co-rapporteur :

Le présent rapport s'inscrit dans le prolongement du rapport d'information, « L'Europe de la défense à la veille du Livre blanc », que nous avions présenté devant la commission des affaires européennes en décembre 2012.

Il aurait pu d'ailleurs porter le même titre, puisque la publication de ce Livre blanc, annoncée d'abord pour fin janvier 2013, a été retardée et est annoncée maintenant pour fin avril.

Ce nouveau rapport comporte de nombreux développements complémentaires et surtout une approche plus analytique, assortie d'un certain nombre d'observations et de suggestions. Plusieurs d'entre elles sont d'ailleurs reprises dans la proposition de résolution européenne que nous avons élaborée.

Le rapport comme la résolution européenne s'inscrivent dans une démarche très pragmatique. Ils n'ont pas pour but de proposer des idées complètement novatrices, mais plutôt de s'appuyer sur des dispositifs déjà en place, ou du moins déjà prévus par le Traité de Lisbonne.

Rien de révolutionnaire donc, mais du pragmatique pour progresser… Il est temps en effet de sortir de la longue litanie des déclarations incantatoires selon lesquelles « il faut relancer l'Europe de la défense ». Elles ont certes un mérite : celui de rappeler qu'un large accord existe sur le principe. Tout au cours de nos auditions et entretiens, y compris avec nos voisins européens, nous avons pu vérifier l'existence de ce large consensus. À l'heure où les États-Unis réorientent leurs priorités stratégiques vers la zone Asie-Pacifique, laissant clairement entendre aux Européens que de plus en plus ils devront assumer eux-mêmes leurs responsabilités, à l'heure surtout où les États membres sont confrontés à une crise budgétaire sans précédent, ils ont intérêt à coopérer pour maintenir l'efficacité de leur outil de défense, et exister encore sur la scène internationale. La coopération capacitaire, industrielle et technologique est perçue comme une solution permettant de maintenir, à l'échelle européenne, la performance de l'outil de défense et, par là-même, l'existence d'une politique européenne de sécurité et de défense (PSDC).

De nombreux exemples de cette coopération existent déjà. Je vous invite vivement à lire notre rapport car il contient beaucoup d'informations qu'il ne m'est pas possible de développer, dans le court laps de temps qui nous est imparti aujourd'hui. Nous avons eu à coeur, durant notre mission, de ne pas jouer les « eurodépressifs » et de mettre au contraire en valeur ces prémices d'une « Europe de la défense » : on trouvera donc tout au long du rapport des illustrations emblématiques de cette coopération , comme autant d'exemples à suivre et surtout à approfondir… Car qui dit capacité d'intervention autonome dit capacités militaires autonomes en Europe : mais plusieurs opérations récentes, telle l'opération en Libye ou plus récemment encore l'intervention au Mali, sonnent comme autant de cruels rappels des lacunes de l'Europe de la défense. Pourtant, l'objectif de « définition progressive d'une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune » a été clairement affirmé par le Traité de Lisbonne.

Il ne s'agit pas d'orienter la PSDC dans une perspective « va-t-en-guerre », loin de là. La majorité des missions PSDC – et nous avons souhaité le souligner particulièrement dans le rapport – s'inscrivent dans une approche globale de prévention des conflits. Beaucoup, malheureusement trop méconnues, sont des missions civiles dont les objectifs pourraient être regroupés sous le terme générique d' « aides au rétablissement de l'État de droit ». Même les missions de formation militaire, comme EUTM Somalie ou EUTM Mali – à ne pas confondre avec l'opération Serval – s'inscrivent en réalité dans cette perspective d'aide au rétablissement de l'État de droit, donc, à terme, de prévention des conflits. Or même une mission typiquement européenne comme EUTM Mali vient juste de démarrer, non sans difficultés, la solidarité des autres États européens s'étant laissée pour le moins désirer…

Cette dimension « prévention des conflits » doit être, selon nous, clairement reconnue et pose, de façon plus générale, le problème des difficultés de financement de la PSDC. Alors que les dépenses opérationnelles liées à la politique extérieure et de sécurité commune (la PESC, dont la PSDC est partie intégrante) sont en principe à la charge du budget de l'Union européenne, par exception, les « dépenses afférentes à des opérations militaires ou ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense » sont en principe à la charge des États membres.

Ce principe est bien entendu de nature, dans la conjoncture actuelle, à freiner les bonnes volontés des États membres, lorsqu'il s'agit de dépasser le stade des sympathiques déclarations d'intention pour mettre en oeuvre des coopérations concrètes. Or, ce frein à la relance de l'Europe de la défense pourrait être atténué, d'une part par le recours à des dispositions méconnues du Traité de Lisbonne, notamment la notion d'« activités préparatoires » qui autorise des financements par le budget de l'Union, d'autre part par la reconnaissance du « caractère dual », civilo-militaire, de beaucoup de missions et coopérations menées dans le cadre de la PSDC. Le rapport s'attache à le souligner.

La crédibilité de la PSDC passe également, et peut-être en premier lieu, par la clarification du rôle des multiples instances – rassemblant des experts dont la compétence n'est absolument pas en cause – qui sont à son service, et par la nécessité de mieux utiliser les outils – souvent remarquables – dont elle dispose déjà. L'un des objectifs du Traité de Lisbonne était d'améliorer la lisibilité de la PSDC : le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est pas atteint, pour des raisons diverses évoquées dans le rapport. Sans doute le Haut Représentant actuel, Mme Ashton, est-il resté trop en retrait. Mais il semble urgent également de pouvoir répondre à une question simple :« qui fait quoi et qui décide de quoi ? » tant on s'y perd dans l'enchevêtrement de tous ces organismes – dont la lecture du seul sommaire du rapport peut donner un aperçu.

Par ailleurs, il faut se poser la question de la sous-utilisation ou non-utilisation d'outils remarquables pourtant théoriquement à la disposition de l'Union européenne : l'Eurocorps, la Brigade franco-allemande, les groupements tactiques… Pourquoi aucun d'entre eux n'a-t-il, par exemple, pu être utilisé dans la crise malienne ?Nous sommes allés à la rencontre de ces instances, qui elles-mêmes ne semblent pas hostiles à un engagement opérationnel dans ce type de circonstances, si la volonté politique existe. En résumé, très prosaïquement, voici la question que l'on est immanquablement conduit à poser : pourquoi tant d'instances, pourquoi tant d'efforts pour en arriver à si peu de résultats pour « l'Europe de la défense » ? Et l'actualité malienne a rendu cette question encore plus lancinante.

Encore une fois, il ne s'agit pas d'être eurosceptiques mais pragmatiques : il est évident que « l'Europe de la défense » ne se construira pas à vingt-sept. Le Traité lui-même, si on y regarde de plus près, même sans être juriste ni expert, est construit de toute évidence de manière à rendre possible l'approfondissement de la construction européenne entre les États membres qui le souhaitent. C'est un instrument permettant que cette construction européenne puisse s'étendre à tous les domaines, y compris les plus sensibles, comme la politique étrangère et la défense, en empêchant que les pays qui ne souhaitent pas participer à une Europe véritablement intégrée soient en mesure de bloquer ceux qui au contraire sont déterminés à construire la véritable unité européenne.

C'est pourquoi il faut privilégier dans ce domaine très sensible de la PSDC les solutions non contraignantes : les coopérations qui fonctionnent déjà sont d'ailleurs des coopérations souples, comme le montre, dans le domaine de la coopération aérienne, l'exemple de l'EATC (European Air Transport Command).

Les pistes à explorer doivent l'être en gardant à l'esprit cette idée de flexibilité : la possibilité de mise en place d'une coopération structurée permanente mériterait d'être enfin sérieusement étudiée par les États membres, mais sous l'angle de la souplesse. C'est pourquoi le rapport s'attache à démontrer que cet instrument, offert par le Traité de Lisbonne, ne présenterait en réalité, pour peu que l'on veuille bien se pencher de près sur la question, aucun caractère contraignant.

Enfin, les propositions figurant dans le rapport et dans le texte de la résolution européenne s'inscrivent dans le prolongement direct des conclusions du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012, qui visent à préparer sa réunion de décembre 2013 dédiée à l'Europe de la défense. Les suggestions et observations de vos Rapporteurs ont pour but de respecter parfaitement l'esprit des conclusions du Conseil, sans jamais s'écarter des axes de réflexions qu'il a lui-même définis, ce qui renforce leur pragmatisme.

Le Conseil a déclaré, dans ces conclusions, vouloir associer étroitement les États membres aux travaux de réflexion préparatoires à la réunion de décembre 2013. En conséquence, nous souhaiterions, au moyen de cette résolution européenne, pouvoir associer la représentation nationale française à l'effort de réflexion demandé par le Conseil.

Nos observations et nos suggestions sont en outre parfaitement dans la ligne définie par le Président de la République. Le 5 février 2013, le Président François Hollande déclarait en effet devant le Parlement européen : nous devons « avoir la lucidité indispensable pour élaborer une stratégie pour conduire une véritable politique extérieure commune, pour avoir une défense européenne. La France y est prête. Il est temps là encore d'en finir avec la dispersion des initiatives, de rassembler nos forces et nos moyens, de rapprocher nos industries, d'harmoniser aussi nos positions dans les instances internationales où l'Europe doit parler d'une voix, d'agir pour résoudre les conflits qui heurtent les consciences humaines ». Il s'agit bien, à nouveau, d'un appel clair en faveur de l'Europe de la défense.

« L'Europe de la défense » est d'ailleurs un terme utilisé surtout en France : nos voisins européens lui préfèrent en général celui, sans doute plus explicite de « politique de sécurité et de défense commune » – PSDC – consacré par le Traité de Lisbonne en 2007. Il s'agit en effet non pas tant d'assurer la « défense de l'Europe », rôle dévolu en principe à l'OTAN, que de préserver les intérêts de l'Europe en matière de sécurité, où qu'ils soient menacés dans le monde : le propos précité du Président de la République française va d'ailleurs clairement dans ce sens, lorsqu'il évoque la nécessité d'agir pour résoudre les conflits qui heurtent les consciences humaines…

Encore une fois, comme nous avons tenu à le souligner dans ce rapport, l'Europe de la défense, c'est aussi et peut-être surtout la prévention de nouveaux conflits. Elle ne fait pas double emploi avec l'OTAN, elle doit se construire en complément et en coopération avec elle.

La France affiche donc fermement cette ambition de relance de l'Europe de la défense et souhaite associer à sa démarche les autres États européens. Nous avons pu constater, au cours de nos déplacements - que ce soit à Berlin, à Londres, à Varsovie, à Madrid, à Dublin - que nos partenaires européens seraient prêts à nous suivre, sous réserve que l'Europe parvienne à une définition claire de ses objectifs stratégiques prioritaires. C'est pourquoi notre proposition de résolution aborde également cette question : mais je vais laisser à mon collègue, Yves Fromion, le soin de vous la présenter de façon plus détaillée.

Je voudrais simplement conclure en rappelant que lors du Sommet du 6 mars 2013 à Varsovie visant à préparer le Conseil européen de décembre 2013, qui a réuni les représentants des États du Groupe Weimar (Allemagne, France, Pologne) et ceux du Groupe de Visegrád (Pologne, République tchèque, Slovaquie et Hongrie), la Chancelière Angela Merkel, le Président François Hollande et leurs homologues des quatre États d'Europe centrale ont déclaré voir dans la crise économique actuelle une raison de plus pour relancer l'Europe de la défense. « À l'heure de la crise financière globale persistante et de son impact négatif sur les budgets de défense, nous devrions nous concentrer sur un renforcement de la coopération multinationale de défense » ont déclaré les ministres de la Défense des six pays, en prélude à ce Sommet inédit.

Ils ont souligné, à cette occasion, que l'Europe doit permettre de mutualiser et de coordonner l'effort de défense européen, y compris en matière industrielle. Et de fait, c'est par la mutualisation et le partage – « le Pooling and Sharing » – que l'on peut encore espérer faire quelques économies budgétaires sans déboucher sur de véritables ruptures capacitaires, à l'heure où globalement l'Europe ne consacre plus que 1,6 % de son PIB à la défense.

Mes chers Collègues, l'année 2013 semble être l'année de tous les défis pour l'Europe de la défense. Il s'agit de ne pas laisser passer cette fenêtre d'opportunité que représente la mise à l'agenda du Conseil européen d'enjeux majeurs pour les intérêts stratégiques et économiques de l'Union européenne. Car au-delà des considérations internes et de compétitivité technologique et industrielle, la PSDC demeure un élément essentiel dans la pluralité des politiques qui permettront à l'Union européenne de maintenir sa place demain et de mieux défendre sa vision et son rôle sur la scène internationale à l'avenir.

Je vous remercie pour votre attention et passe maintenant la parole à mon collègue Fromion qui va vous présenter plus spécifiquement notre proposition de résolution européenne.

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