L'association des Petits frères des pauvres lutte depuis plus de soixante ans contre l'isolement et la précarité, sous toutes ses formes, dont souffrent les personnes de plus de cinquante ans. Son action repose sur un réseau de bénévoles, formés et soutenus par l'association, qui interviennent durablement et régulièrement auprès des personnes signalées.
Dans le cadre de son projet « Ensemble vers les plus pauvres », l'association a choisi de développer son action auprès des personnes de plus de cinquante ans dans des zones urbaines sensibles et dans les lieux de vie isolés.
À la différence des personnes qui habituellement viennent à nous, les migrants âgés constituent un public invisible qui ne demande rien malgré des besoins importants. Nous avons dû aller à leur rencontre et résoudre une difficulté : comment entrer dans leurs lieux de vie souvent exigus sans déranger leur intimité ? Nous avons donc pris le parti de les rencontrer collectivement avec le soutien et l'accord de ce qui était encore la SONACOTRA, devenue Adoma. En vertu d'un partenariat noué avec cette dernière, des locaux sont mis à notre disposition. Les bénévoles interviennent un après-midi par semaine autour d'une « caféterie ». Cette démarche s'inscrit dans l'histoire des foyers puisque des agents de la SONACOTRA animaient auparavant ce type de lieu dans lesquels les chibanis pouvaient avoir une vie sociale. Les animateurs ont disparu, mais nous les avons remplacés dans les locaux qui demeurent.
Les migrants âgés nous ont d'abord réservé un accueil mitigé, car ils avaient été échaudés par leur expérience d'associations qui ne s'engageaient pas durablement. Les Petits frères des pauvres sont présents auprès d'eux depuis huit ans maintenant – 120 bénévoles travaillent auprès de 250 personnes dans 25 foyers.
Nous avons constaté, à la lumière de notre expérience à Grenoble et à Lyon, que l'accompagnement des immigrés âgés différait selon le lieu d'implantation des foyers et les moyens qui leur étaient dédiés en matière d'action sociale.
À Grenoble, le foyer est situé au coeur de la ville. Le schéma départemental de gérontologie prend en compte depuis longtemps le cas des immigrés âgés, ce qui a permis de nouer des partenariats rapidement, notamment avec Adoma. La politique d'action sociale a donné des moyens aux travailleurs sociaux pour accompagner les migrants âgés. La présence d'une assistante sociale dans le foyer où nous intervenions a ainsi aidé à démêler de nombreuses situations.
À l'inverse, à Lyon, le foyer est situé à Vénissieux, à l'extérieur de la ville. L'absence de schéma gérontologique n'a pas empêché Adoma de nous accueillir, mais, à Vénissieux, les travailleurs sociaux n'ont pas de temps dédié aux migrants âgés ni de bureau dans les foyers.
À cause notamment de la barrière de la langue, les chibanis sont réticents à aller vers les travailleurs sociaux. En revanche, lorsque les travailleurs sociaux vont à leur rencontre, de nombreux problèmes peuvent se régler. Nous nous sommes donc inspirés de cette démarche.
Notre action repose sur un engagement dans le temps : afin de créer du lien social, il nous faut gagner la confiance de personnes qui ont été malmenées par la vie et ne comprennent pas toujours la nature bénévole du travail des associations.
À Vénissieux, en l'absence de travailleurs sociaux, les bénévoles de l'association jouent le rôle de passerelle et de courroie de transmission vers les acteurs institutionnels. Ils aident à démêler les situations administratives complexes, notamment liées la reconstitution des carrières complètes pour faire valoir les droits à la retraite. L'accès au droit des migrants âgés nécessite d'abord de signaler leur existence aux services sociaux.
La santé est un autre sujet important. En Rhône-Alpes, nous travaillons avec Intermed, réseau d'accès à la santé créé à l'initiative d'Adoma. Cette expérience enrichissante confirme l'intérêt de la présence de ce type d'acteurs dans les foyers. Les immigrés âgés sont souvent dépourvus de mutuelle et ignorent leurs droits en matière de santé. Ils préfèrent se priver de soins pour pouvoir continuer à envoyer de l'argent dans leur pays d'origine.
Notre travail auprès d'eux permet de signaler à Intermed des personnes dont l'état de santé est précaire. L'existence de partenariats dans le domaine de la santé permet d'améliorer le suivi sanitaire et de prévenir les situations les plus alarmantes.
Les intervenants dans les foyers permettent aussi de recréer un entourage qui pallie l'absence de proches.
À Grenoble, nous avons la chance d'avoir un café social que les chibanis apprécient puisqu'il correspond à leur culture et à leur mode de vie – ils aiment être à l'extérieur de chez eux et se retrouver autour de cafés. Ce lieu, riche de sens pour eux, permet de créer du lien social, d'allier convivialité et compétence afin de trouver des solutions à certains problèmes ou difficultés avant de solliciter les organismes sociaux. Les bénévoles y jouent un rôle social et d'assistance dans les démarches administratives.
Il faut comprendre pourquoi les immigrés âgés ne retournent pas dans leur pays d'origine. Leur histoire complexe fait qu'ils sont tiraillés entre la nostalgie du pays et la difficulté à y trouver une place après quarante ans d'absence. Cela explique les nombreux allers et retours qu'ils font. Certains disent même ne se sentir bien que sur le bateau ou dans l'avion, lorsqu'ils sont entre leurs deux pays.
Les immigrés âgés rencontrent les mêmes problèmes relevant de la gérontologie que les autres personnes âgées, mais ils sont victimes d'un vieillissement précoce en raison d'un métier difficile et émaillé d'accidents du travail.
Il est regrettable que les EHPAD soient aujourd'hui construits hors des villes alors que la présence des foyers au coeur des villes facilite le lien social, y compris avec les familles.
Je veux vous faire part d'une expérience intéressante dans un foyer à Grenoble qui, malheureusement, fermera prochainement. Ce foyer a aménagé une unité de vie en rez-de-chaussée pour qu'elle soit accessible aux migrants vieillissants qui connaissent des problèmes de mobilité, ainsi qu'un espace partagé par les praticiens pour prodiguer des soins. Les migrants, qui ne souhaitent pas plus que les autres personnes âgées aller dans les établissements spécialisés lorsque leur état de santé se détériore, ne sont ainsi pas obligés de quitter le foyer qu'ils ont connu pendant quarante ans. Cela les préserve d'un second déracinement et leur permet de finir leurs jours au même endroit.
Par ailleurs, plusieurs foyers ont été réhabilités avec la volonté de favoriser la mixité des publics accueillis. Mais, si la mixité est souhaitable, elle n'est pas possible entre tous les publics. Les personnes accueillies temporairement dans les foyers, qui souffrent d'addictions ou sont dans une situation de grande précarité, créent en effet une ambiance d'insécurité pour les immigrés âgés. La nuit, la population des foyers peut ainsi doubler ou tripler, et le week-end, certains d'entre eux deviennent des zones de non-droit, livrées à la prostitution et au trafic de drogue. Les migrants âgés sont alors obligés de rester enfermés dans leur chambre, en raison des problèmes de violences physiques.
Notre travail auprès des migrants, comme des autres publics, est guidé par la fidélité et la régularité : les chibanis sont très preneurs de liens et de rencontres régulières à condition de faire le premier pas.
Enfin, nous sommes confrontés au turn-over des responsables de foyer. En dépit du partenariat qui nous lie à Adoma, le manque d'information pèse sur le travail des bénévoles sur place. Nous avons ainsi appris par ses occupants la fermeture du foyer que j'évoquais précédemment. Ils avaient reçu une lettre leur laissant un mois seulement pour choisir l'endroit où ils souhaitaient aller vivre, ce délai étant peu compatible avec l'absence parfois prolongée à laquelle donne lieu leur retour dans le pays d'origine.