Je me félicite de la création par Claude Bartolone de votre mission d'information, qui concerne des questions importantes et sensibles, aussi bien sur le plan humain que sur le plan des symboles de notre pays et de son histoire.
Les populations concernées – les chibanis – ont largement contribué à la reconstruction de la France, dans le secteur du bâtiment notamment, et ont généralement décidé de ne pas bénéficier du regroupement familial. Elles n'envisageaient pas de s'installer définitivement chez nous.
J'ai découvert le problème dans les années 2004 et 2005, par le prisme de la SONACOTRA, devenue Adoma, chargée de la gestion des foyers de travailleurs migrants.
Les chibanis ont désormais une part de leurs racines en France, parce qu'ils se sont liés d'amitié avec leurs voisins de chambrée notamment, mais conservent néanmoins un certain attachement à leur terre d'origine. Ils sont inquiets à l'idée de savoir si, en cas de retour au pays, ils pourront néanmoins revenir en France de temps en temps. Il s'agit d'une préoccupation vitale.
Il fallait donc trouver une formule leur permettant de retourner dans leur pays d'origine pendant quelques mois, voire définitivement, sans que le lien avec France ne soit entièrement rompu.
À ma grande surprise, ce sujet a suscité d'invraisemblables débats. Peu de textes de loi ont fait l'objet d'autant de prévention juridique et de rigueur de la part des différentes administrations.
Je considère que verser ces prestations non contributives aux immigrés âgés n'est rien d'autre qu'un geste de dignité républicaine qui, de surcroît, ne coûterait rien à la France. En effet, si les personnes concernées devaient rester en France, elles continueraient de percevoir ces prestations. On pourrait même considérer que leurs retours momentanés au pays entraîneraient quelques économies pour nos services publics, notamment de santé.
Les arguments portant sur les problèmes posés par le versement d'une prestation non contributive réservée aux personnes ayant résidé en France sont les mêmes depuis des années. Le travail préparatoire extrêmement important mené avec le Conseil d'État avait permis de trouver une formule juridiquement acceptable, y compris au regard du droit de l'Union européenne. La création de l'allocation spécifique, qui ne soulevait pas de difficultés juridiques d'après le Conseil d'État, fut d'ailleurs adoptée à l'unanimité de l'Assemblée nationale et du Sénat à la toute fin de la XIIe législature. Malgré cela, certains travailleurs migrants m'ont dit qu'ils craignaient que l'aide ne soit pas mise en place. Ils avaient vu juste !
Les projets de décrets d'application furent ensuite transmis au Conseil d'État. Plus tard, constatant que les décrets d'application n'avaient toujours pas été publiés, on me dit que le Conseil d'État s'était soi-disant opposé à leur rédaction. J'ai alors découvert que les projets de décrets avaient été rappelés pour être légèrement modifiés. En réalité, aucune modification n'y a été apportée, le texte a purement et simplement disparu. C'est pourquoi je demande, chaque année, à tous les chefs de Gouvernement de mener à bien ce dossier.
Comment a-t-on pu ainsi méconnaître un vote unanime des représentants de la nation en soustrayant de l'examen du Conseil d'État le projet de décret d'application correspondant ?
Aujourd'hui encore, j'entends, à l'encontre de ce texte, les mêmes arguments qu'il y a six ans. Or, j'affirme que le travail avait été réalisé en amont en concertation étroite avec le Conseil d'État et que nous avions pris le temps de penser la mesure de façon très minutieuse.
Je me réjouis donc de l'initiative prise par votre mission d'information car c'est un sujet qui me tient à coeur.