Intervention de Louis-Xavier Thirode

Réunion du 28 mars 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Louis-Xavier Thirode, chef du bureau central des cultes à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur :

Après vous avoir présenté quelques observations générales sur la pratique religieuse des immigrés âgés, qui, pour l'essentiel, sont musulmans, j'aborderai trois sujets particuliers : la pratique funéraire, l'exercice du culte dans les foyers de travailleurs et le pèlerinage à La Mecque.

Deux sondages, réalisés par l'IFOP en 2009 et 2011, et l'enquête « Trajectoires et origines » de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) permettent de dégager quatre faits saillants liés à la pratique religieuse des musulmans âgés.

Les personnes âgées sont relativement peu nombreuses chez les musulmans de France, la population musulmane étant assez jeune dans notre pays.

Elles ont une pratique religieuse plutôt plus développée que les classes d'âge plus jeunes. Ainsi, 41 % des personnes de plus de cinquante-quatre ans fréquentent la mosquée, 34 % font le pèlerinage, 32 % des plus de soixante-cinq ans ont l'intention de le faire, alors que ces pratiques sont beaucoup plus faibles dans les autres classes d'âge étudiées.

Le rapport à la société ambiante révèle des positions un peu plus conservatrices chez les immigrés âgés, notamment sur la question des mariages mixtes.

Enfin, la religiosité des personnes âgées musulmanes est plus développée que celle des autres immigrés, notamment de ceux se déclarant catholiques.

Sur la question des musulmans âgés face à la mort, où se mêlent l'émotion, le droit funéraire et les rites religieux, on entend tout et son contraire. Il est vrai que le matériel statistique est assez difficile à trouver. Ainsi, on prétend que 80 % des musulmans souhaitent se faire enterrer dans leur pays d'origine. Ce chiffre s'explique par des facteurs psychologiques, la mort ne faisant pas nécessairement partie du projet migratoire, par des facteurs culturels ou religieux – la plupart des rites musulmans étant contrariés par les modes de gestion de la pratique funéraire en France – et, enfin, par des facteurs économiques liés à l'intérêt de certains acteurs du marché funéraire à organiser le rapatriement des corps.

Il convient toutefois de relativiser cette réalité, et l'estimation traditionnelle de 80 % est à considérer avec précaution. Ainsi, l'exemple d'une mosquée de Bordeaux montre que, sur 719 décès survenus entre 1993 et 2011, il y a eu 491 rapatriements pour 228 inhumations sur notre territoire, soit une proportion des deux tiers. Pour l'ensemble des décès, les rapatriements, qui sont autorisés par une décision administrative, sont au nombre de 10 000 par an, dont 6 000 vers le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et la Turquie.

Il faut noter que, en la matière, les pratiques évoluent. L'enterrement dans notre pays a été religieusement validé et, aujourd'hui, le projet de vie en France implique un enterrement en France. L'État se préoccupe de cette question : le premier cimetière confessionnel musulman a été installé à Bobigny dans les années trente et plusieurs circulaires relatives à la législation funéraire ont été prises à partir de 1975, renouvelées en 1991 et en 2008. C'est donc la circulaire du 19 février 2008 qui fixe le cadre actuel de l'exercice funéraire.

Quatre questions pratiques se posent en la matière. La première est celle des « carrés confessionnels » dans les cimetières. Un recensement réalisé en 2010 auprès des communes françaises a dénombré 200 « carrés confessionnels » musulmans sur notre territoire. Un autre recensement en cours, pour lequel nous avons déjà recueilli les réponses d'un tiers des départements, laisse présager une augmentation de la création des « carrés musulmans ». Ainsi, le département du Rhône compte seize « carrés musulmans », contre dix en 2010, et le département de la Seine-Saint-Denis en compte quatorze, contre neuf en 2010.

La création des « carrés confessionnels » doit être conforme aux principes du droit funéraire, au premier rang desquels la neutralité des cimetières et notamment de leurs espaces collectifs, en application de la loi de 1881 sur la liberté des funérailles.

La deuxième question est relative à la perpétuité des concessions. Elle se pose pour toutes les sépultures, en raison, notamment, de la raréfaction des terrains dans les cimetières. En la matière, une grande liberté est laissée aux communes. Il faut noter que la problématique de l'absence ou de la raréfaction des concessions perpétuelles peut être compensée par un renouvellement des concessions temporaires, comme le rappellent les maires.

La troisième question a trait au respect des rites. Sur ce point, je pense que l'adaptation est plutôt réussie, le meilleur exemple étant celui des monuments funéraires qui allient les styles traditionnels et les styles plus communs dans nos cimetières. Il faut cependant noter que des volontés s'expriment, s'agissant notamment des règles sanitaires, comme en témoigne le débat qui a eu lieu à Avignon en fin d'année dernière, à l'occasion duquel une partie des responsables musulmans contestait l'utilisation du géotextile pour la réfection d'un cimetière.

La quatrième question est liée au choix de l'emplacement de la tombe au sein du cimetière. À cet égard, il faut rappeler que le principe de liberté des funérailles implique que c'est l'individu qui choisit d'être enterré au sein d'un « carré confessionnel » ou, à défaut, sa famille, et non la communauté religieuse.

Sur ce point de la « doctrine funéraire », je dirai qu'il est sans doute nécessaire de trouver un équilibre entre l'aspiration à s'approprier la terre où l'on a vécu, qui correspond réellement à une demande des communautés de fidèles musulmans, et le respect des grands principes du droit funéraire – salubrité, individualisation des funérailles, etc. Dans ce cadre, l'État a un devoir de facilitation, d'explicitation du droit, notamment au regard du respect des principes. Il a également un devoir de protection des individus.

Il existe en France de grands opérateurs de gestion des foyers de travailleurs migrants, notamment Adoma, qui dénombre environ 300 salles de prière dans ses foyers. À l'origine, la SONACOTRA mettait à la disposition des résidents des espaces pouvant être utilisés ponctuellement comme lieux de culte. La situation a changé à partir des années soixante : le public cible a évolué, l'opérateur s'est réorganisé et a proposé des salles permanentes, ouvertes aux personnes extérieures aux foyers. En outre, on dénombre aujourd'hui quelque 2 300 mosquées, contre une centaine dans les années soixante-dix. Cette situation pose la question de l'application du principe de laïcité : un opérateur public a-t-il vocation à gérer des lieux de culte dans les foyers ?

En la matière, votre Mission pourrait opportunément accompagner les efforts d'Adoma et de l'État qui travaillent à une rationalisation de la gestion des lieux de culte et éventuellement, dans le cadre des projets de réorganisation, à leur regroupement dans des salles extérieures.

Les immigrés âgés partent souvent en pèlerinage à La Mecque à la fin de leur vie. L'État a un rôle de protection à leur égard et ses services sont loin d'être inactifs en la matière. En effet, chaque année, le Quai d'Orsay, le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'intérieur diffusent, par le biais des conseils régionaux du culte musulman et le Conseil français du culte musulman (CFCM), une brochure sur l'organisation du pèlerinage. En outre, les ministères concernés travaillent à un projet de charte de qualité des agences de voyages. Enfin, sur place, à Djedda, le Quai d'Orsay organise une assistance d'urgence pour les pèlerins en difficulté afin de favoriser, en concertation avec les instances représentatives du culte musulman, la qualité des prestations fournies par les agences de voyages.

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