Au départ, mes travaux ont essentiellement porté sur les hommes, mais il est vrai que la féminisation de l'immigration est un élément non négligeable. Pour le moment, le vieillissement concerne principalement les hommes.
Jusqu'aux années quatre-vingt, les migrants seuls ou en famille avaient une perspective non négociable, le retour, si bien que la question de la mort et celle du culte étaient quelque peu suspendues. Les pratiques cultuelles donnaient lieu à des compromis, et nous avions affaire à un islam villageois où les gens s'autorisaient, par exemple, à ne pas faire le ramadan. La pratique était donc réservée, aménagée. Pour la mort, des formes de solidarité étaient organisées par les migrants, avec la constitution de caisses pour le rapatriement des corps. Aujourd'hui, nous sommes dans un islam urbain où le jeu des définitions et des interprétations prend une importance considérable. Et la solidarité villageoise a été écartée au profit d'une autre forme de solidarité, avec les assurances et le rapport au consulat.
À partir des années quatre-vingt, les personnes vieillissantes ont connu une trajectoire différente selon qu'elles vivaient en famille ou étaient seules. Les personnes vivant en famille ont éprouvé une difficulté à affirmer clairement ce que j'appelle « la double installation » : les plus âgées, en particulier les plus marquées par l'histoire coloniale, ont eu du mal à dire qu'elles s'installaient définitivement en France – ce qui ne veut pas dire qu'elles ne l'ont pas fait. Ce concept de « double installation » est important selon moi, car il interroge sur la précarité et toutes les difficultés que vous pouvez supposer. En tout cas, pour ces personnes, se posent les questions de la gestion des rapports intergénérationnels à l'intérieur de la famille, qui est très compliquée, et de la relation au pays, évoquée par M. Chaïb.
Pour les migrants célibataires géographiques, les choses sont plus difficiles. Certains ont tenté de retourner s'installer au pays d'origine. Cela ne s'est pas toujours très bien passé : des complications peuvent naître là-bas, liées à des considérations économiques notamment, alors que, en France, des formes d'entraide et de solidarité existent, à l'intérieur du foyer ou grâce à une partie de la famille à proximité, ou encore par le bénéfice de logements en ville.
Il est important de noter que, au cours des deux périodes évoquées, la situation du migrant célibataire géographique n'est pas la même selon qu'il peut compter sur quelques parents à proximité ou qu'il est isolé. Au cours de la première période, les immigrés logés dans des foyers ou dans des cités accueillant des ouvriers baignaient dans une sorte de matrice relationnelle qui rappelait constamment le village. Aujourd'hui, la situation est autrement plus difficile pour les personnes seules.
Pour revenir à la « double installation », elle est soit appréciée, soit subie par la personne en fonction de son histoire. Un retraité revenu en Algérie me disait naguère : « Vous, les jeunes, vous pouvez au moins dire que vous ne supportez pas, tandis que nous, les plus âgés, nous n'avons pas ce droit moral, nous devons dire que nous attendions ce moment du retour. » Le fait d'avoir quitté la France lui posait de nombreux problèmes. Dans la mesure où ces situations peuvent se révéler très compliquées d'un point de vue pratique, financier ou juridique, il serait intéressant de réfléchir à leur amélioration. Cette « double installation » est vécue différemment par les migrants isolés et les migrants en famille, mais aussi selon l'âge et l'état de santé.
Le passage d'un lien clivé à un lien articulé constitue un changement décisif. Dans les années soixante et soixante-dix, il était inconcevable pour beaucoup d'affirmer autre chose qu'un lien exclusif au principe de l'État-nation. Un Allemand ne pouvait pas être français. Aujourd'hui, les personnes âgées qui ont gardé leur nationalité d'origine peuvent afficher plus sereinement une double appartenance. Cette question étant minée symboliquement, il est heureux que votre Mission se soit emparée du sujet des immigrés âgés. On assisterait donc au passage d'un lien d'opposition à un lien plus articulé, lequel existe pour les personnes âgées, mais aussi pour les familles et les enfants. Un certain nombre d'associations militent en ce sens et des dispositions législatives ont été prises en la matière.
Le rapport au culte a changé très profondément, non seulement en France, mais dans la plupart des pays d'origine. Aujourd'hui, les migrants ont affaire à un islam urbain, autrement dit à des pratiques qui sont mises en discussion et interprétées, et non plus à des pratiques transmises de génération en génération. J'ignore quelle est, dans cette dynamique de transformation, la part d'action volontaire et la part de contrainte.
S'agissant des droits, il faudrait parvenir à articuler contrôle et accompagnement, pour que les personnes concernées cessent de se sentir en permanence l'objet d'une suspicion. Ne négligeons pas non plus la portée du discours, la question migratoire revêtant une importante dimension symbolique. Soutenir et encadrer les initiatives comme celles de Saint-Étienne et de Lyon – destinées en priorité aux personnes âgées, mais potentiellement utiles à l'ensemble de la cité – peut également être bénéfique, même si chercher à résoudre tous les problèmes posés par les jeunes en les mettant au contact des plus âgés relève sans doute de l'utopie. En tout état de cause, il convient de reconnaître la contribution de ces derniers à l'effort industriel.