Intervention de Jean-Pierre Philibert

Réunion du 10 avril 2013 à 16h15
Délégation aux outre-mer

Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer, FEDOM :

Vous avez dit, monsieur le président, que le nouveau système devrait offrir la plus grande visibilité et la plus grande lisibilité aux acteurs de terrain. J'ajoute qu'il devra être caractérisé par la pérennité et la simplicité.

La pérennité est sans doute ce dont la législation fiscale et sociale applicable outre-mer a le plus manqué ces dernières années. Ainsi, des lois-programmes prévues pour s'appliquer sur une durée de quinze ans ont été remises en question après seulement un ou deux ans.

Par ailleurs, il faut faire preuve de simplicité, et éviter de construire une usine à gaz dans laquelle iraient se perdre les chefs d'entreprise, notamment les plus petits d'entre eux, ceux qui dirigent des PME et des TPE.

Dans ce débat qui, je m'en réjouis, réunit l'ensemble des responsables concernés, les entrepreneurs, à travers la FEDOM, se présentent sans le moindre a priori. Ce qui nous importe, ce n'est pas tant de pérenniser tel ou tel outil que de veiller à ce que les entreprises d'outre-mer aient les moyens de se développer, et donc de créer de la richesse et de l'emploi. Dès lors, s'il existait un dispositif aussi simple et souple que la défiscalisation, nous ne trouverions aucune raison à opposer à sa mise en place. Mais le simple fait de dire cela indique où va ma préférence.

Je remercie M. Degos pour la grande honnêteté intellectuelle dont il a fait preuve en présentant son diagnostic et les différentes options envisageables. Je ne veux pas dire que les discours tenus sur la défiscalisation sont malhonnêtes, mais il reste qu'ils sont parfois marqués par les préjugés, même si je reconnais bien volontiers que le dispositif, en dépit de ses incontestables effets positifs, doit encore être amélioré.

J'ai évoqué hier les difficultés que nous avons à obtenir des chiffres en matière de défiscalisation outre-mer. Mais nous avons tout de même réalisé une étude sur le sujet avec le concours des adhérents de notre fédération et de certains spécialistes sérieux du montage d'opérations de défiscalisation. Ses conclusions permettent notamment d'en savoir plus sur l'aspect le moins connu de la défiscalisation, c'est-à-dire le plein droit.

En 2012, la défiscalisation représentait 1,173 milliard d'euros, la somme se répartissant équitablement entre le logement social et les investissements productifs. Ce n'était pas le cas au cours des années précédentes, puisque les dispositions de l'article 199 undecies C du code général des impôts, prévoyant une défiscalisation en faveur du logement social, avaient eu du mal à s'appliquer dans un premier temps. Aujourd'hui, ce sont les opérations réalisées au titre de l'article 199 undecies B et 217 undecies, c'est-à-dire en faveur des investissements productifs, qui tendent à diminuer de façon sensible, en raison de la crise, bien sûr, mais aussi de la suppression des avantages fiscaux consentis en faveur du secteur photovoltaïque. Au total, le montant des réductions d'impôts consenties au bénéfice des investissements productifs est tombé à 509 millions d'euros, dont 406 millions pour les opérations de plein droit et 103 millions pour celles avec agrément. Quant à la réduction prévue par l'article 199 undecies A, qui a entraîné des effets pervers pour le logement intermédiaire et le logement libre, son usage tend progressivement à disparaître.

S'agissant de la défiscalisation de plein droit, le montant moyen des investissements donnant droit à un avantage au titre de l'article 199 undecies B est de 33 000 euros. Les 16 000 dossiers dont nous avons connaissance concernent donc avant tout de petits investissements réalisés au profit de très petites entreprises ou de PME – par exemple l'achat d'une machine à couper la canne à La Réunion. Il faut prendre conscience que les investissements réalisés dans ce cadre de la défiscalisation sont bien souvent ceux qui permettent l'obtention d'un emprunt bancaire.

C'est donc en raison de sa souplesse et de sa réactivité que le dispositif actuel nous semble mériter d'être préservé. J'imagine mal, en effet, que l'on puisse ouvrir 16 000 guichets afin d'accorder autant de subventions… Mais cela ne signifie pas, bien sûr, que les règles actuelles doivent rester intangibles. Nous sommes ainsi, nous aussi, favorables à une moralisation du système – d'ailleurs déjà largement entamée par le Gouvernement précédent. Un meilleur encadrement est sans doute nécessaire, mais il convient de noter que les dispositions qui faisaient le plus scandale, permettant à certains contribuables parmi les plus fortunés de ne pas payer d'impôt sur le revenu, ont d'ores et déjà été supprimées.

On a aussi prétendu que la défiscalisation était essentiellement consacrée à la construction d'hôtels de luxe ou à l'achat de yachts. Mais les hôtels ont plutôt tendance à fermer, notamment en Polynésie. Il n'y a guère qu'à La Réunion que l'on a développé, à la demande des élus et des professionnels du tourisme, une offre hôtelière susceptible de répondre à la demande. Le ministre nous a d'ailleurs demandé hier de réfléchir aux moyens d'améliorer le dispositif d'aide à la rénovation hôtelière dans les collectivités d'outre-mer. S'il ne fonctionne pas pour l'instant, c'est précisément parce qu'il n'est pas préfinancé : les professionnels, dont la trésorerie est exsangue, n'ont pas les moyens d'avancer les fonds nécessaires et doivent renoncer aux travaux de rénovation, si bien que leurs bâtiments continuent à se détériorer.

Autre reproche adressé à la défiscalisation, en raison de l'ampleur des frais de montage des opérations, une partie de l'argent disponible ne va pas où il devrait aller, c'est-à-dire dans les caisses des entreprises. Cette critique est en partie justifiée : il est indiscutable qu'éliminer les intermédiaires permettrait de consacrer plus d'argent à l'investissement. Mais vous avez vous-même noté hier, monsieur le président, à quel point le taux de rétrocession était élevé, en particulier dans le domaine du logement social, où il peut dépasser 80 %. Grâce aux appels d'offres, c'est sur les honoraires et les frais d'opération que l'on peut faire jouer la concurrence. La régulation se fait donc naturellement, à travers le marché.

Pour autant, il est possible d'aller plus loin, de moraliser la profession et d'en améliorer la déontologie et l'encadrement : le ministre y a fait allusion hier, et nous sommes demandeurs d'une telle évolution. Mais les administrations ont tendance à se repasser le mistigri : qu'il s'agisse de Bercy ou de l'Autorité des marchés financiers, personne ne veut gérer la liste des monteurs en opérations de défiscalisation. Il faudra bien, un jour, trancher la question.

Toujours dans l'hypothèse d'une réforme en profondeur du système de défiscalisation – scénario sur lequel j'ai naturellement tendance à m'attarder –, il a été envisagé, hier, d'abaisser le seuil au-delà duquel les investissements sont soumis à un agrément préalable : actuellement de 250 000 euros, il pourrait passer à 200 000 euros. Nous ne serions en tout cas pas hostiles à un encadrement renforcé, et nous ferons des propositions en ce sens. Il importe de mieux savoir qui fait quoi et dans quel secteur va l'argent.

La dernière question qui se pose à propos de la défiscalisation est de savoir s'il faut la flécher. On pourrait par exemple imaginer d'en réserver le bénéfice à certains investissements spécifiques – en matière de développement durable, par exemple. On pourrait aussi exiger des contreparties en termes de créations d'emplois, mais c'est une hypothèse sur laquelle j'émettrais des réserves. Ou encore, on peut envisager de privilégier l'achat de biens et de services produits en France, de façon à éviter – pour reprendre les propos d'un trésorier-payeur général d'une collectivité du Pacifique – que la dépense fiscale ne serve à faire travailler les chantiers navals coréens. L'idée est séduisante, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit conforme aux règles du commerce international.

Le plus important est que la défiscalisation a permis un décollage de la construction de logements sociaux dans les collectivités d'outre-mer, au moment même où le secteur du bâtiment connaissait une période extrêmement difficile – à La Réunion, le nombre d'emplois dans la filière est passé de 27 000 en 2008 à 17 000 aujourd'hui. C'est donc un système qui fonctionne. Certes, la construction de logements coûte un peu plus cher dans le cadre de la défiscalisation que dans celui de la ligne budgétaire unique. C'est d'ailleurs pour cette raison, monsieur le président, que vous avez demandé hier aux bailleurs sociaux dans quelle mesure il serait possible de réduire les coûts. Nous sommes prêts à nous engager dans une réflexion à ce sujet.

En tout état de cause, nous ne croyons pas au deuxième scénario, associant crédit d'impôt et financement du logement social par la LBU. Je lis, dans le projet élaboré par les collaborateurs de M. Degos, qu'un dispositif ad hoc devra être étudié pour les collectivités à autonomie fiscale. Autant dire qu'on ne sait pas comment aborder le problème ! À tout le moins, ce sera très compliqué. Dans le cas du crédit d'impôt en faveur des investissements en Corse, la part de la défiscalisation est fixée à 25 % des investissements, alors qu'on peut aller jusqu'à plus d'un tiers. De plus, aucun système de préfinancement n'est prévu. Certes, il existe un crédit d'impôt doté d'un préfinancement : c'est le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), récemment adopté. Mais il est ainsi présenté par le ministère : « Le préfinancement sera adossé sur un dispositif de garantie partielle d'OséoBPI pour certaines PME. Il reviendra à l'établissement de crédit de solliciter cette garantie, sans que l'entreprise ait à effectuer elle-même de démarche particulière. » Transposé aux investissements outre-mer, cela signifie que les coupeurs de canne pourraient présenter leur créance à la banque sans avoir à remplir de formalités administratives. Mais comment croire que le banquier acceptera de s'occuper gratuitement de constituer le dossier, connaissant les honoraires que perçoivent les monteurs en opérations de défiscalisation pour un travail similaire ?

Soyons simples, pragmatiques. On peut citer des chiffres, avancer des arguments : il n'en est pas moins vrai que la défiscalisation est efficace et que, même si elle doit être encore améliorée, nous avons tout intérêt à la conserver.

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