Intervention de Karine Foucher

Réunion du 29 mai 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Karine Foucher, maître de conférences en droit public à la faculté de droit et des sciences politiques de Nantes :

C'est pour moi un honneur, autant qu'un plaisir, de m'exprimer aujourd'hui devant vous, sur une question complexe qui pouvait sembler réservée aux enceintes universitaires : les incidences constitutionnelles de la Charte de l'environnement dans le cadre de la QPC. J'évoquerai successivement les effets potentiellement attendus de l'entrée en vigueur de la QPC sur la Charte, les grandes lignes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière et les conséquences de cette jurisprudence, puis les incertitudes qui subsistent et les perspectives d'évolution.

Les effets attendus de l'apparition de la QPC sur la Charte étaient nombreux. On pouvait même considérer que cette dernière était une « mine à QPC », dans la mesure où il s'agit d'un texte récent, et parce que les normes constitutionnelles intéressant l'environnement au moment de l'entrée en vigueur de la Charte étaient peu étoffées. Sur la trentaine de lois adoptées depuis le début des années 1970 en matière d'environnement, cinq seulement ont été examinées par le Conseil dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité a priori. Il faut ajouter à cela les dispositions législatives adoptées dans d'autres domaines, mais susceptibles d'avoir un impact négatif sur l'environnement – car la Charte n'a pas vocation à s'imposer aux seules lois environnementales. En outre, pour les dispositions déjà contrôlées, l'adoption de la Charte peut être considérée comme un « changement des circonstances de droit », pouvant justifier un réexamen par le Conseil constitutionnel. Enfin, la Charte de l'environnement constitue, à certains égards, un « catalogue » plus riche que celui qui résulte de sources externes comme le Conseil de l'Europe ou l'Union européenne.

Tous ces éléments auraient dû contribuer à donner à la Charte une place importante dans l'application de la QPC, mais tel n'est pas le cas à ce jour. En effet, seulement huit décisions ont été rendues par le Conseil constitutionnel sur le fondement de la Charte de l'environnement – et une vingtaine d'arrêts par le Conseil d'État dans son rôle de filtre.

La jurisprudence constitutionnelle issue de la Charte est presque exclusivement centrée sur l'article 7 et, plus particulièrement, sur la disposition octroyant au public le droit de participer. Elle mobilise un moyen de constitutionnalité externe : l'incompétence négative, que le Conseil constitutionnel utilise pour sanctionner le législateur n'ayant pas épuisé sa compétence. Ce grief peut être invoqué à l'appui d'une QPC à condition que la méconnaissance par le législateur de l'intégralité de sa compétence « affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit » : il s'agit donc d'une invocabilité conditionnée. Depuis la révision constitutionnelle du 1er mars 2005 et l'intégration de la Charte dans la loi fondamentale, la préservation de l'environnement figure parmi les matières que la Constitution réserve à la compétence du Parlement.

L'article 7 de la Charte de l'environnement consacre deux droits fondamentaux : être informé et participer. Le Conseil constitutionnel, puis le Conseil d'État, ont affirmé – le premier dans sa décision OGM du 19 juin 2008 et le second dans son fameux arrêt Commune d'Annecy du 3 octobre 2008 – que cet article instaurait une nouvelle répartition des compétences entre les pouvoirs législatif et réglementaire. Depuis le 1er mars 2005, il revient au législateur de préciser « les conditions et limites » dans lesquelles ces deux droits doivent s'exercer, le pouvoir réglementaire n'ayant pour seule responsabilité que d'arrêter les mesures d'application de ces conditions et limites. Par conséquent, le pouvoir réglementaire autonome a disparu dans ce domaine depuis le 1er mars 2005 – il en va d'ailleurs de même pour les mesures de prévention contenues dans l'article 3 de la Charte – et le pouvoir réglementaire d'application de la loi se trouve limité.

Cette nouvelle règle de partage des compétences a bouleversé l'état du droit antérieur où la compétence réglementaire en matière d'enquête et de débat publics s'étendait à la détermination de la nature même des opérations soumises à ces procédures. C'est ce qui a amené le Conseil d'État, dans son arrêt Commune d'Annecy, à déclarer contraire à la Constitution un décret par lequel il avait été décidé, dans le silence de la loi, de soumettre à la participation du public la délimitation de la zone d'application de la loi littoral au lac d'Annecy.

Les associations – au premier rang desquelles figure France Nature Environnement (FNE) – ont compris que cette nouvelle répartition de compétences permettait de remettre en cause un certain nombre de dispositions législatives. La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de QPC relatives au droit de l'environnement se concentre donc sur l'article 7 de la Charte, et ce d'autant plus que le bénéfice tiré de l'invocation des autres dispositions du texte semble incertain.

Afin de restaurer la sécurité juridique des actes entrant dans le champ du principe de participation du public, l'intervention du législateur était indispensable. Celle-ci a d'ailleurs précédé les premières censures prononcées par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la QPC – je pense notamment à la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 dont certaines dispositions ont pour objet de donner une base législative à des mesures réglementaires qui prévoient la participation du public –, mais l'entrée en vigueur de la nouvelle procédure le 1er mars 2010 a accéléré la mise en conformité du droit à la Charte. Néanmoins, il a fallu plus d'un an pour que le Conseil constitutionnel réponde à une QPC – le 8 avril 2011 – sur la base de la Charte de l'environnement. Il convient d'ailleurs de noter que cette première décision reste la seule fondée non pas sur l'article 7 de la Charte, mais sur les articles 1er et 2 à partir desquels le Conseil a reconnu l'obligation de vigilance environnementale. Les sept autres décisions – rendues entre le 14 octobre 2011 et le 26 avril dernier – concernent toutes, à titre principal ou exclusif, l'article 7 et, en particulier, le principe de participation du public à l'élaboration des décisions ayant une incidence sur l'environnement.

Cette jurisprudence a contraint le Parlement à intervenir en urgence et à adopter la loi du 27 décembre 2012 relative à la mise en oeuvre du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement.

Ce processus appelle plusieurs remarques d'un point de vue constitutionnel. Tout d'abord, il faut souligner le caractère intense du dialogue noué entre le Conseil constitutionnel et le Parlement par l'intermédiaire du Gouvernement. Le législateur a manifesté une volonté d'anticiper les futures censures en élaborant une procédure générale de participation du public – prévue par l'article L. 120-1 du code de l'environnement – qui ne se contente pas de prendre en compte les décisions du Conseil constitutionnel déjà rendues, mais qui intègre celles à venir et qui renforce les droits du public.

Le Conseil constitutionnel a rendu une décision le 23 novembre 2012, c'est-à-dire pendant vos débats sur le sujet, qui censurait des dispositions de l'article L. 120-1, mais qui ne précisait pas les modalités de la participation du public. Le Conseil s'est contenté, une nouvelle fois, du service minimum, car il s'est appuyé, sans le reconnaître explicitement, sur la notion d'incompétence négative en affirmant que le législateur avait privé de « garanties légales » l'exigence constitutionnelle de participation du public en ne prévoyant pas que celle-ci s'applique aux dispositions non réglementaires. Le Conseil a donc conservé le silence sur le fond du sujet et sur les modalités de la participation, alors que sa position était particulièrement attendue puisque la loi Grenelle 2 créant l'article L. 120-1 du code de l'environnement n'avait pas été soumise à son contrôle a priori et qu'il avait déjà – dans une décision du 13 juillet 2012 – éludé cette question, à l'occasion de l'examen d'une QPC relative à la constitutionnalité de l'article L.512-5 du même code qui prévoyait des modalités de participation à la procédure d'autorisation d'installations classées identiques à celles censurées dans la décision du 14 octobre 2011. Le Secrétariat général du Gouvernement proposait au Conseil constitutionnel d'effectuer une lecture combinée des articles L. 512-5 et L. 120-1 permettant de déclarer ces dispositions conformes à la Constitution. Écartant cette option, le Conseil constitutionnel s'est contenté de reproduire sa décision du 14 octobre 2011 en s'en tenant au registre de l'incompétence négative.

Au final, aucune des décisions rendues par le Conseil sur le fondement de l'article 7 de la Charte de l'environnement ne permet de connaître les modalités d'une participation du public conforme aux exigences constitutionnelles. Dans son rapport de 2010, le Conseil d'État a émis l'idée selon laquelle la publication d'une décision touchant à l'environnement, suivie de la transmission de cette décision à un organisme consultatif, était suffisante dès lors que certaines conditions étaient remplies. Mais le Conseil constitutionnel pourrait tout aussi bien estimer que l'article 7 de la Charte impose de donner à toute personne l'opportunité de donner son avis. Le Conseil n'a dégagé que trois principes : les modalités de la participation doivent être prévues par la loi ; la publication des projets de décision ne peut être assimilée à une procédure de participation du public ; la procédure de consultation d'un organisme représentatif prévue par les anciennes dispositions sur les installations classées n'est pas suffisante, sans que le Conseil constitutionnel en explique les raisons. Le législateur est donc allé bien au-delà de la contrainte imposée par le Conseil constitutionnel, puisqu'il a considéré que l'obligation de légiférer représentait une opportunité pour améliorer les modalités de mise en oeuvre du principe de participation du public et pour le rendre effectif et conforme à la convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement – convention tout de même entrée en vigueur en France en octobre 2002.

Je tenais à mettre l'accent sur cette situation paradoxale d'une loi provoquée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, alors que celui-ci ne s'est à aucun moment prononcé sur le fond. On attend toujours, en effet, la grande décision de principe du Conseil constitutionnel sur la Charte de l'environnement.

Une incertitude pèse sur le périmètre de l'invocabilité de la Charte dans le cadre de la QPC. En effet, la QPC est une procédure visant à protéger les droits et les libertés garantis par la Constitution. Or si l'on s'en tient à une lecture littérale de la Charte, celle-ci ne consacre que le droit à l'environnement, le droit d'être informé et le droit de participer. Le Conseil a bien entendu affirmé que ces droits entraient dans le champ d'application de la QPC. Pour le reste, la Charte énonce des devoirs de prévention et de réparation, ainsi que les principes de précaution et de conciliation. Nous ignorons si ces dispositions peuvent être invoquées en tant que telles ou si elles doivent l'être en lien avec un droit et une liberté : la jurisprudence reste évasive sur ce point.

La nature de l'invocabilité du principe de précaution au soutien d'une QPC est également floue ; il me semble que la précaution étant non pas un droit, mais un principe, elle ne peut être opposable en elle-même et doit être conditionnée à une atteinte à l'environnement.

D'une manière plus fondamentale, il convient d'étudier la question de l'apport de la QPC à la protection des droits environnementaux. Cet apport restera mitigé tant que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sera dominée par le registre de l'incompétence négative qui, en application du principe de l'économie de moyens, permet au Conseil d'éviter d'avoir à se prononcer au fond, c'est-à-dire sur le niveau de garantie des droits consacrés par la Charte de l'environnement.

Sur le fond, le développement de la jurisprudence sur la Charte risque de se heurter à deux limites : d'une part, l'autolimitation du Conseil constitutionnel – il a rappelé qu'il ne disposait pas du pouvoir d'appréciation du Parlement –, qui ne doit pas l'empêcher de définir le contenu minimal des droits proclamés par la Charte, tâche lui incombant, même si l'on imagine difficilement le Conseil constitutionnel censurer une atteinte au principe de précaution ; d'autre part, le Conseil opère un contrôle abstrait, puisqu'il examine la constitutionnalité de la loi en tant que telle – contrairement au système mis en place dans d'autres pays européens – et non telle qu'elle est appliquée concrètement dans le litige qui lui est soumis, ce qui est peu propice au développement d'une interprétation approfondissant la protection des droits fondamentaux. Il est important que le Conseil évolue vers un contrôle concret de constitutionnalité. Son président, M. Jean-Louis Debré, ne semble pas vouloir accéder à cette requête pour le moment, sa priorité résidant dans la consolidation de la QPC.

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