Intervention de Béatrice Charon

Réunion du 20 mars 2013 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Béatrice Charon, présidente de l'Association française de l'aluminium, AFA :

Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de recevoir aujourd'hui les représentants de l'industrie française de l'aluminium, sachant que vos préoccupations initiales tournaient essentiellement autour de l'industrie sidérurgique. Compte tenu des circonstances, nous n'avons pas eu le temps de préparer une présentation spécifique pour cette audition, mais les deux documents qui vous ont été communiqués devraient contribuer à votre information.

Je m'appuierai d'abord sur celui qui porte l'intitulé « L'aluminium : introduction au matériau » pour rappeler qui nous sommes. L'Association française de l'aluminium représente la quasi-totalité des industriels français intervenant dans le secteur de l'aluminium à tous les niveaux du cycle, de l'électrolyse au recyclage et diverses activités aval, en passant par la transformation. Nous représentons une dizaine de milliers d'emplois directs en France.

Après avoir connu un taux de croissance de 6 % au niveau mondial en 2012, le secteur attend une augmentation à 7 % pour 2013. Depuis une trentaine d'années, la consommation mondiale de l'aluminium croît entre 5 et 7 % par an et cette tendance devrait se poursuivre au moins dans la prochaine décennie.

Cette croissance est due aux qualités intrinsèques de notre matériau qui, avec une densité inférieure de deux tiers à celle de l'acier et du cuivre, est très léger. En fonction des alliages, il peut être extrêmement malléable – ces alliages, dits doux, sont utilisés dans la menuiserie d'aluminium – ou extrêmement résistant, ce qui le rend très intéressant pour des secteurs comme l'aéronautique ou l'automobile. L'aluminium est conducteur d'électricité et de chaleur ; il est résistant à la corrosion, l'oxyde d'aluminium ne se détachant pas comme la rouille. Qui plus est, comme tous les métaux, il est recyclable à l'infini sans perte de qualité, à condition de ne pas mélanger les différents alliages.

L'aluminium trouve des applications essentiellement dans le domaine des transports, à raison de 37 % : depuis très longtemps dans le domaine aéronautique, où nous bénéficions de la croissance extraordinaire des cadences de production d'Airbus et de Boeing, dans le domaine ferroviaire et dans la construction navale. À titre d'exemple, les premiers TGV étaient en acier alors que les TGV à deux étages sont en aluminium, en raison du poids limité qui doit peser sur les rails. Dans le domaine automobile, les moteurs sont déjà essentiellement en aluminium, et un certain nombre d'échangeurs thermiques utilisent de l'aluminium et non plus du cuivre. De plus en plus, l'aluminium investit le domaine de la carrosserie et des structures. Sa densité est beaucoup plus faible que celle de l'acier, mais il faut en mettre un peu plus pour avoir la même résistance. En général, on dit qu'un kilo d'aluminium remplace deux kilos d'acier dans les automobiles. Cet allègement permet une réduction de consommation de carburant et, par-là même, une réduction d'émission de CO2. Les constructeurs automobiles allemands utilisent de plus en plus l'aluminium, suivis par les constructeurs français et d'autres plus spécialisés sur le moyen de gamme.

Le bâtiment est un secteur qui utilise également beaucoup l'aluminium, historiquement, pour les encadrements de portes et fenêtres. Les grandes façades vitrées d'immeubles de bureaux ou de commerces sont portées par des structures de profilé d'aluminium. De nombreuses autres applications sont encore possibles, telles que des brise-soleil, des cloisons intérieures, etc.

L'emballage est aussi un domaine important, en particulier avec les canettes. Quand je suis entrée en 2003 dans le monde de l'aluminium, 50 % des canettes étaient en fer et 50 % en aluminium. Aujourd'hui, elles sont à 70 % en aluminium en Europe, sachant que dans le reste du monde, elles le sont toutes. L'aluminium prend donc des parts de marché sur l'acier.

Puisqu'il constitue un excellent conducteur électrique, tous les câbles de haute tension qui parcourent la nature aujourd'hui sont en aluminium. Par rapport au cuivre, il offre la même conductivité avec un diamètre de câble supérieur d'à peine 10 %, et il est beaucoup plus léger et infiniment moins cher. Dans le domaine de l'électricité, il trouve d'autres applications industrielles. Le seul endroit où l'aluminium n'est pas utilisé en électricité est le logement particulier, simplement parce que les connecteurs ne peuvent s'utiliser indifféremment pour l'aluminium ou le cuivre. Pour éviter tout problème de sécurité, on en est donc resté au cuivre.

L'industrie mécanique utilise également beaucoup d'aluminium, notamment pour toutes les pièces mobiles qui doivent être légères. Les moules en aluminium sont plus rapides à fabriquer que ceux en acier et s'usent peu.

Ces multiples utilisations de l'aluminium expliquent pourquoi ce matériau connaît une telle croissance mondiale, liée à la fois à l'augmentation de la population et à l'élévation du niveau de vie des pays émergents. Même en Europe, la consommation de l'aluminium augmente par substitution à d'autres matériaux.

L'aluminium est recyclable. S'il faut une grande quantité d'énergie pour fabriquer de l'aluminium primaire, le recycler ne demande que 5 % de cette énergie. Un récent reportage sur Arte affirmait qu'il fallait moins d'énergie pour recycler l'aluminium que pour recycler l'acier, mais cela demande à être vérifié et je n'en ai pas eu le temps.

On ne trouve pas d'aluminium pur dans la nature, il est issu de la bauxite qui tire son nom des Baux-de-Provence. Ce minerai est très répandu au niveau mondial puisque l'on considère qu'environ 8 % de l'écorce terrestre en est constituée. Il n'y a donc pas de risque de raréfaction. Il est également très bien réparti dans le monde. Aujourd'hui, on extrait la bauxite essentiellement dans les lieux où la concentration en aluminium est forte : en Australie, en Amérique du Sud ou en Afrique. La bauxite est lavée, raffinée et transformée en alumine, qui est l'oxyde d'aluminium. Pour séparer l'oxygène et l'aluminium on recourt à l'électrolyse, opération qui utilise beaucoup d'énergie. À partir de l'aluminium dit primaire, on fabrique des semi-produits, plaques ou tôles d'aluminium, profilés, câbles, qui entrent ensuite dans les produits finis. En fin de vie de ces derniers, l'aluminium est récupéré et recyclé. Aujourd'hui, à peu près un tiers de l'aluminium provient de produits recyclés, autrement dit, sur les 60 millions de tonnes d'aluminium utilisés dans le monde, 20 millions de tonnes sont issues du recyclage. Toutefois, en raison de l'utilisation croissante, on a toujours besoin d'aluminium primaire.

Aujourd'hui, la France n'a plus de mine de bauxite. Elle a encore une activité de raffinage d'alumine, notamment à Gardanne, dans le sud de la France, mais il s'agit d'alumine dite de spécialité qui est utilisée pour d'autres applications que le métal. L'électrolyse est la spécialité de deux sites français, à Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque. Le laminage est pratiqué sur deux grands sites à Neuf-Brisach et Issoire, mais aussi à Annecy ou Rugles. Une dizaine de sites sont dédiés au filage. Avec toute l'activité de recyclage, ce sont en tout cinquante entreprises que représente l'Association française de l'aluminium.

Le recyclage récupère le plus possible d'aluminium. D'abord au niveau de la fabrication. Par exemple, la fabrication des canettes commence par la découpe de cercles dans des plaques. Toutes les chutes sont récupérées et recyclées. Ensuite, lors de la démolition de bâtiments, tous les profilés d'aluminium sont récupérés. Idem pour les machines. Le secteur où nous sommes en retard, notamment en France, est la collecte des déchets ménagers qui ne sont pas assez triés.

Vous avez compris de mon discours que nous importons à tous les stades de fabrication, que ce soit l'alumine, l'aluminium primaire ou même les déchets recyclés.

Je passe à l'étude conduite par Roland Berger dans le cadre de la première table ronde sur la filière aluminium organisée par Monsieur le Ministre Arnaud Montebourg, le 13 février dernier. La planche 22 montre comment la structure industrielle du secteur a évolué. Il y a encore quinze ou vingt ans, il s'agissait de sociétés nationales qui étaient complètement intégrées verticalement, c'est-à-dire qu'elles maîtrisaient tout le processus de l'électrolyse de l'aluminium au laminage et au filage et même, pour certaines, depuis l'extraction de bauxite. Il s'agissait de sociétés nationales qui étaient en situation de quasi-monopole. Au cours des quinze dernières années, la structure industrielle s'est complètement transformée, passant à une concentration horizontale. Tous les grands groupes miniers se sont progressivement regroupés et ont acheté des activités minières ou de raffinage d'alumine, gardant quelquefois de l'électrolyse, tandis que de grands groupes de transformation se sont créés, qui n'ont absolument plus d'activité amont. Parmi ces grands groupes de transformation, on distingue Constellium, société dans laquelle je travaille, Novelis dans le laminage, SAPA dans le filage, et bien d'autres. Dans le monde occidental, il n'existe plus que deux sociétés totalement intégrées verticalement : l'Américain Alcoa et le Norvégien Hydro.

La concentration du secteur est représentée sur la planche 23. On y constate que les six plus gros acteurs dans le raffinage d'alumine représentent 57 % du marché mondial, qu'ils ne sont plus que 50 % dans l'électrolyse et à peu près 40 % dans le laminage. Le même camembert pour le filage montrerait que les six plus gros représentent 15 ou 20 % du marché mondial. La dissémination est encore plus importante dans le recyclage. Il s'agit donc d'une industrie dont le degré de concentration décroît à mesure que l'on va vers l'aval.

Dans la vision que nous avons des enjeux pour l'industrie française de l'aluminium, il en est un majeur qui est le prix de l'énergie pour l'aluminium primaire, car il représente une part essentielle de ses coûts. Si aujourd'hui, le prix de l'aluminium primaire est fixé au niveau mondial par le London Metal Exchange, dit LME, sur lequel nous n'avons aucune influence, en revanche, les coûts dépendent essentiellement du prix de l'énergie. Certains pays, comme le Canada ou la Norvège, peuvent certes obtenir des coûts plus faibles grâce à leur industrie hydroélectrique, mais ils ont aussi choisi de faire de l'électrolyse plutôt que de vendre de l'électricité aux États-Unis. En France, le coût de l'électricité pourrait être bas grâce à notre parc nucléaire important. Les contrats des deux sites d'électrolyse arriveront bientôt à échéance, en 2014 et 2017. Nous souhaitons qu'ils soient renouvelés à un niveau moyen de ce dont bénéficient nos concurrents dans le monde, pas forcément plus bas, éventuellement avec des aménagements qui permettent de rendre ce prix vraiment compétitif. Ainsi, les producteurs d'aluminium pourraient, de temps en temps, arrêter un court instant leur production en période de pics important de consommation d'électricité pour préserver le réseau. L'application de la directive ETS sur les quotas de CO2 crée des coûts indirects et certains pays, comme l'Allemagne, ont décidé d'attribuer des compensations à leurs industriels. La France ne l'a pas fait. Même au sein de l'Europe, nous sommes pénalisés par rapport à nos concurrents. Il faut aussi prévoir une durée suffisante pour ces contrats de renouvellement. Pour des investissements aussi lourds, il ne peut s'agir que de contrats sur vingt ou trente ans.

J'ai déjà dit que le recyclage ne demandait que 5 % de l'énergie requise pour la fabrication d'aluminium primaire. Il est donc vraiment dommage d'exporter des déchets, puisque cela équivaut à exporter de l'énergie. Nous sommes à la fois exportateurs de déchets et importateurs d'aluminium recyclé. Peut-être conviendrait-il de mieux réfléchir à l'organisation de cette filière, sans doute dans le cadre de la table ronde de l'aluminium, par exemple en améliorant la collecte des déchets ménagers.

Parmi les nombreux secteurs d'application de l'aluminium, le bâtiment se porte aujourd'hui assez mal en France. Par ricochet, les sociétés de filage d'aluminium ne se portent pas très bien non plus. Tout ce qui peut être fait en faveur du bâtiment aura donc un impact favorable sur nos industriels. De manière générale, pour les produits filés, la France est un pays d'importation : plus de 50 % des profilés que nous consommons sont importés, pour la plupart d'Espagne. Le développement de l'industrie espagnole a été favorisé par des subventions européennes, notamment des industriels du filage qui sont venus nous concurrencer. Aujourd'hui, le domaine est globalement en surcapacité dans l'ensemble de l'Europe. Maintenant, c'est un peu tard, mais pour d'autres sujets, en tant que représentants de la nation, vous auriez certainement des choses à dire sur ces subventions. C'est vrai aussi en France, où certaines municipalités ou régions donnent des subventions pour l'implantation d'industries de ce secteur sur-capacitaire. Quel dommage ce serait de donner des subventions d'un côté pour fermer des usines de l'autre !

Comme tous les industriels français, nous sommes sensibles aux mesures destinées à favoriser le développement et le maintien de l'industrie en France. Tout ce qui favorise la recherche constitue un point extrêmement important. C'est pourquoi nous souhaitons absolument le maintien du crédit d'impôt recherche et la poursuite des initiatives d'instituts de recherche et de technologie, comme le pôle matériaux à Nantes et celui plus centré sur l'automobile en Lorraine. Ce sont des initiatives que nous saluons et que nous souhaitons voir se développer dans la mesure du possible.

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