Intervention de Olivier Dufour

Réunion du 20 mars 2013 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles de Rio Tinto Alcan :

Bien que directeur des relations institutionnelles chez Rio Tinto Alcan, j'interviens aujourd'hui au titre de l'Association française de l'aluminium.

En cette période de crise, la production européenne d'aluminium a chuté : depuis 2008, elle est passée de 3 millions de tonnes à 2 millions. Plusieurs sites ont été fermés sur cette période qui a été marquée par la fin de contrats de tarifs historiques, en Espagne par exemple, et par une crise du secteur puisque, en 2008, le prix de l'aluminium, qui se situait aux alentours de 3 300 dollars, a chuté en quelques mois à 1 300 dollars. Depuis, il avoisine les 2 000 dollars, ce qui est assez bas par rapport aux coûts de production. Cela étant, la baisse de production affecte exclusivement l'Union européenne ; les autres pays producteurs, comme la Norvège et l'Islande, sont plutôt en progression grâce à leurs ressources hydroélectriques et géothermiques.

La France n'a pas connu de baisse de sa production d'aluminium. Malgré de petites baisses de capacité liées à la crise, les deux sites de production de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque sont restés stables. Depuis vingt ans, d'ailleurs, la production d'aluminium primaire en France est stable. Les fermetures d'usines, dont la dernière a touché l'usine de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées en 2008, ont été largement compensées par l'investissement, en 1991, de Dunkerque, qui reste la dernière usine ouverte de l'Union européenne et celle qui a la meilleure technologie disponible en Europe. Elle est le vaisseau amiral de la production d'aluminium en Europe.

Dans cette situation, ce que nous craignons, c'est l'arrivée à terme de nos contrats historiques en 2014 pour Saint-Jean-de-Maurienne et à la fin de 2016 pour Dunkerque. Ces contrats avaient été signés respectivement en 1982 et 1991, avant la nouvelle donne du marché de l'énergie au niveau européen. Nous travaillons à leur renouvellement depuis longtemps déjà puisqu'une table ronde sur les prix de l'électricité a été organisée, dans notre usine de Dunkerque en 2003, pour que tous les industriels électro-intensifs puissent exprimer leurs desiderata en la matière. Depuis bientôt dix ans que nous cherchons des solutions, nos échéances se rapprochent, et le mur devant nous est haut.

Des comparaisons ont été établies entre ce qui se passe en Allemagne et la pratique en France. L'Allemagne a pris des mesures pour assurer aux électro-intensifs un prix de l'électricité compétitif. Sa décision d'arrêter le nucléaire a eu un effet inflationniste sur les prix de l'électricité, mais elle a fait le choix sociétal de faire porter le delta du coût sur les particuliers plutôt que sur les industriels. Lors du colloque sur la transition énergétique organisé par François-Michel Gonnot, le Dr. Hans-Joachim Ziesing, expert énergie auprès du gouvernement allemand, a indiqué que les industriels électro-intensifs ont obtenu 10 milliards d'euros de compensation en Allemagne. Si donc la facture augmente, des dispositifs sont prévus pour réduire le coût de l'électricité. Du côté de la France, selon un document de l'Union des industries utilisatrices d'énergie, au titre de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, dit ARENH, issu de la loi NOME, le mégawatheure coûterait aujourd'hui aux alentours de 47 euros. En Allemagne, il serait généralement de 35 à 37 euros et entre 31 et 37 euros pour les plus électro-intensifs, notamment pour les industriels de l'aluminium, grâce à une très large rémunération des effacements, à la compensation des effets indirects de la réglementation sur le CO2 et aux exonérations de taxes et de coûts de transport. Ce sujet fait actuellement l'objet d'un groupe de travail rassemblant la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, la Direction générale de l'énergie et du climat et la Commission de régulation de l'énergie dont nous attendons les résultats. Pendant toute cette période, l'Allemagne a su préserver son outil industriel en dégageant les marges et la fiscalité nécessaires. Elle a fait le choix de l'emploi en faisant porter l'effort de développement vers les énergies renouvelables par les particuliers et non pas par les industriels. Les questions sociétales sont portées par le grand public pour sauvegarder la compétitivité de l'industrie.

Le coût de structure de la production d'aluminium est composé pour un tiers d'électricité et un tiers d'alumine, le dernier tiers comprenant tout le reste. Le coût de main-d'oeuvre représente grosso modo 10 %, ce qui permet d'envisager un avenir pour nos usines d'aluminium dans les pays industrialisés. L'alumine étant une commodité mondiale, nous n'avons pas d'impact sur son prix. Nous faisons des efforts très importants de compétitivité sur nos sites, mais l'évolution des prix de marché de l'électricité en Europe efface complètement ces efforts. L'analyse Roland Berger du prix de l'énergie par région dans le monde, page 17, montre que le prix de l'électricité moyen au Moyen-Orient, qui est proche du marché européen, est compris entre 20 et 25 dollars le mégawatheure, à mettre en regard des tarifs européens. Si nous voulons conserver nos usines en France – et la situation n'est pas à la fermeture –, il faut les garder compétitives et leur proposer des conditions d'accès à l'énergie comparables à celles qui existent dans le reste du monde, en faisant finalement tourner la politique industrielle autour de l'aluminium. C'est le choix qu'ont fait la Norvège et le Canada, qui considèrent ce métal comme stratégique. Les États-Unis, pays pourtant libéral, apportent également un soutien très fort à l'industrie de l'aluminium. C'est ainsi que dans la périphérie de New York, les autorités sont intervenues pour maintenir une usine de fil d'aluminium, très comparable à celle de Saint-Jean-de-Maurienne, promise à la fermeture. Grâce à un contrat basé sur l'électricité hydraulique à des coûts très performants, soit 20 dollars le mégawatheure, cet outil a été maintenu.

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