Je tiens à préciser d'emblée que je ne suis ni un historien ni un universitaire. C'est donc en ma qualité de témoin que je m'exprimerai.
Mon intervention portera sur les luttes de l'immigration et l'évolution du mouvement associatif lié à l'immigration, qu'il s'agisse des associations de solidarité ou des associations d'immigrés.
Il y aurait beaucoup à dire sur la période qui a précédé l'année 1981. Jusqu'à cette date, les étrangers ne bénéficiaient en effet pas vraiment du droit d'association, qui restait encadré par le décret-loi de 1939, lequel soumettait la constitution d'une association étrangère à une autorisation préfectorale et à des règles très strictes. Après 1968, on a assisté à de nombreuses luttes menées par les immigrés, souvent en lien avec les associations de solidarité qui s'étaient créées durant cette période, voire avec les syndicats. Je pense d'abord aux luttes en usine, avec la révolte des ouvriers spécialisés (OS) chez Renault à Flins et à Boulogne-Billancourt, et la mobilisation contre des conditions de travail indignes des ouvriers de Peñarroya à Saint-Denis et à Lyon. Les personnels étaient alors logés par l'employeur dans des conditions épouvantables ; le saturnisme était devenu une maladie professionnelle atteignant de nombreux travailleurs qui n'avaient même pas le droit de se syndiquer. Cette lutte exemplaire en a entraîné d'autres, un peu partout en France, qui n'ont pas toujours été soutenues par les syndicats. Cela a été à l'origine – après la révolte des OS chez Renault – de la création de l'Union nationale des comités de lutte d'ateliers (UNCLA). Il s'agissait d'essayer d'organiser les immigrés dans les industries où ils étaient fortement implantés.
C'est seulement après les « lois Auroux » que le droit syndical a véritablement été accordé aux immigrés. Je ne suis cependant pas certain que les syndicats aient mis toute la volonté nécessaire pour que les immigrés prennent leur place dans le mouvement syndical. Aux élections prud'homales, le nombre des élus issus de l'immigration ne dépasse guère quelques dizaines – et sans doute suis-je trop généreux.
Entre 1972 et 1975 se développent en outre de grandes luttes contre le racisme. Elles ne sont pas tant le fait des associations que de groupes d'intellectuels, qui se forment autour de Jean-Paul Sartre ou de Michel Foucault. À la suite du meurtre d'un jeune homme à la Goutte d'Or, puis d'un Algérien dans un commissariat, ils mettent en place le Comité pour les droits et la vie des travailleurs immigrés (CDVTI), qui va jouer un rôle important pour aider les étrangers à connaître, puis à défendre leurs droits. Une enquête sera ainsi conduite chaque fois qu'il apparaît qu'il y a eu crime raciste. Le comité accompagne les luttes durant toute la période ; il va jusqu'à une tentative de liaison avec l'UNCLA. La volonté des immigrés d'obtenir la reconnaissance d'un droit d'association est donc bien présente.
Il faut bien sûr parler des luttes pour le logement. Madame de Barros a évoqué la SONACOTRAL, devenue Adoma. Les conditions d'accueil n'ayant pas été mises en place alors même que l'on faisait venir massivement les immigrés en France, de nombreux bidonvilles sont apparus autour des villes, de même que des hôtels meublés sordides ; l'insalubrité était réelle. Les revendications en matière de logement se sont donc développées un peu partout en France, mais elles n'ont commencé à se coordonner que dans les années 1974, 1975 et 1976, lorsqu'un Comité de coordination des foyers en lutte s'est créé autour du foyer Romain Rolland de Saint-Denis. Cette lutte particulièrement exemplaire a rassemblé jusqu'à deux cents foyers et des milliers de travailleurs jusqu'en 1978, sur la base de revendications précises : la reconnaissance du statut de locataire, qu'ils n'ont toujours pas obtenue, celle du rôle de délégué de foyer, lutte qui est aujourd'hui menée par le Collectif pour l'avenir des foyers (COPAF), avec les délégués de foyer, le droit d'association et l'accès au logement social. Cette lutte a également été la colonne vertébrale des luttes contre l'évolution suivie par les politiques d'immigration : c'est le comité de coordination des foyers en lutte qui a organisé les grandes manifestations contre les lois de 1978-1979. J'ai suivi de près ce combat : ce fut une expérience très intéressante de voir comment les délégués de foyers, même illettrés, arrivaient à s'approprier les actions juridiques conduites pour les expliquer dans les assemblées générales des foyers. Cela a aussi été un lieu d'expression culturelle extraordinaire. Les « journées portes ouvertes » ont permis de montrer que les foyers étaient en réalité des structures ghettos, et qu'il n'existait pas – c'est toujours le cas aujourd'hui – de possibilité de passer du logement en foyer au logement social, ce qui aurait pourtant été un moyen d'intégration. On se retrouve donc avec des immigrés âgés, qui occupent depuis vingt, trente ou quarante ans des logements qui ne sont plus du tout adaptés à leur âge dans des foyers taudis.
À partir de 1972, on a vu se développer la lutte contre les « circulaires Marcellin-Fontanet », avec le grand mouvement des grèves de la faim initié avec succès par Saïd Bouziri le 6 novembre 1972, dans la salle paroissiale de l'église Saint-Bernard, qui s'est ensuite étendu à toute la France.
En 1964 est née la Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs-euse-s immigré-e-s (FASTI), principalement issue des milieux chrétiens, qui accompagne les associations d'immigrés. En 1979, un collectif d'associations s'est constitué contre la politique de refoulement instaurée par les « lois Bonnet-Stoléru ». Durant toute cette période, les associations – l'Association des Marocains de France (AMF), créée en 1964, les comités de travailleurs algériens et tunisiens, et les regroupements d'Africains – n'ont cessé de réclamer le droit d'association. C'est sur cette base que le Service oecuménique d'entraide, aujourd'hui Comité inter-mouvements d'aide aux évacués (CIMADE), accueillit à la Maison des travailleurs immigrés (MTI) de Puteaux un regroupement d'associations pour faire reconnaître le droit d'association.
Après 1981, les étrangers disposent donc du droit d'association. Je tiens ici à dire un mot du FAS, vers lequel on a orienté les associations d'immigrés. Ce faisant, nous avons raté quelque chose : l'enjeu de ce mouvement était que les étrangers prennent leur place dans le mouvement associatif général, non qu'ils créent leurs propres associations. Le danger était là : quoi qu'on en dise, le FAS a contribué à ce que l'action sociale en direction des immigrés reste distincte du droit commun. Il a aussi été un véritable instrument de contrôle.
Beaucoup d'associations se sont créées après 1981, notamment dans les quartiers. La remise en cause des subventions qui leur avaient été attribuées a profondément déstabilisé le mouvement associatif, qui était pourtant un partenaire indispensable.
J'aurais aimé vous parler également – mais je n'en ai plus le temps – du mouvement de mobilisation des banlieues.