Intervention de Danièle Lochak

Réunion du 18 avril 2013 à 14h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l'Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, ancienne vice-présidente de la Ligue des droits de l'homme :

Vous nous demandez comment a été organisée l'immigration. Il est justement manifeste qu'elle n'a pas été organisée. Dans l'entre-deux-guerres, il n'existait pas de politique de l'immigration autre que purement policière. Les syndicats reprochaient d'ailleurs aux employeurs de s'être substitués aux pouvoirs publics à travers la Société générale d'immigration (SGI). L'immigration était certes organisée, mais c'était le fait des patrons, qui allaient recruter de la main-d'oeuvre en Pologne ou ailleurs. L'État se contentait pour sa part de conclure des accords de main-d'oeuvre. À côté de cela, on enregistrait une immigration dite spontanée.

Après la Seconde Guerre mondiale apparaît un contraste évident entre les ambitions d'une politique qui se veut dirigiste, comme le veut l'époque, marquée par la naissance de la planification, et la réalité. Ce contraste se reflète dans les débats entre ceux qui, tels le démographe Alfred Sauvy, prônent une politique d'immigration de peuplement, et ceux qui appellent de leurs voeux une politique d'immigration de main-d'oeuvre. Les seconds ont eu gain de cause, ce qui signifie que l'on sera moins « regardant » sur la provenance – bien que le général de Gaulle ait évoqué dans un discours la nécessité d'une immigration assimilable. En vérité, la position de notre pays sur ce sujet a toujours été ambivalente. Ce n'est pas le cas en Allemagne, où l'on fait venir des travailleurs « hôtes ». En France, on a au contraire toujours admis – y compris dans l'entre-deux-guerres – que des familles accompagnent le travailleur migrant. Après la guerre, l'immigration a aussi été un moyen de repeupler la France. Néanmoins, nous n'avons pas eu une vraie politique de main-d'oeuvre. Les besoins étaient considérables ; les gens sont venus, avec ou sans papiers ; ils ont trouvé un employeur ; et ensuite, leur situation a été régularisée. C'est ainsi que s'est faite la régulation. Ce n'était pas du tout ce qui avait été imaginé. Il est vrai que l'ONI était un système bureaucratique, qui ne pouvait pas tenir. À cela s'est ajouté le problème des Algériens, qui venaient librement en France et y étaient très nombreux.

Non seulement il n'y a pas eu de politique organisée pour faire venir de la main-d'oeuvre, mais il n'y a pas eu de politique pour loger celle-ci. Nous payons aujourd'hui l'absence d'une véritable politique d'intégration, dont il n'y a eu que de timides éléments.

S'agissant de l'isolement des immigrés, la réponse est déjà dans votre question. Les politiques actuelles, qui rendent impossible l'obtention d'un visa pour venir voir sa famille et freinent le regroupement familial, ne peuvent que renforcer cet isolement. En outre, les gens savent désormais que s'ils repartent, ils ne pourront pas revenir. Cela a concouru à les « enfermer » en France, alors que jusqu'en 1974, ils considéraient eux-mêmes leur situation comme provisoire et rêvaient d'un retour au pays.

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