Intervention de Françoise de Barros

Réunion du 18 avril 2013 à 14h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Françoise de Barros, maître de conférences à l'Université de Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et chercheuse au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris, CRESPPA :

L'opposition entre politique d'immigration de main-d'oeuvre et politique d'immigration de peuplement est très artificielle, même si elle a pu s'incarner à certaines périodes – par exemple dans le débat de 1945 entre les démographes, partisans de la seconde, et les représentants du ministère du travail ou du patronat, partisans de la première. La politique de main-d'oeuvre du patronat français de l'entre-deux-guerres était aussi une politique de peuplement : faire venir des travailleurs signifiait aussi faire venir leur famille et leur procurer un logement, afin de fixer les travailleurs – le problème n'étant pas seulement d'avoir de la main-d'oeuvre, mais d'avoir une main-d'oeuvre stable. Politique de main-d'oeuvre et politique de peuplement étaient donc liées.

Le patronat – du moins certains types de patronat – a une politique active d'immigration, et parfois la politique de peuplement qui va avec même si, après 1945, la composante coloniale de la main-d'oeuvre fait que celle-ci n'est plus systématique. Mais la politique de l'immigration des pouvoirs publics reste théorique et donc dépourvue de vrais outils. En-dehors des outils juridiques d'encadrement du séjour, ceux-ci ont en effet été conçus pour une population dont les membres n'ont pas le statut d'étranger, mais celui de sujet colonial, et dont les pouvoirs publics ne contrôlent ni la circulation ni la venue en métropole, puisqu'elle a la nationalité française et que les politiques d'expropriation, qui n'ont fait que s'accélérer depuis le début du XXe siècle, poussent les Algériens ruraux à quitter les campagnes, d'abord pour les villes algériennes, puis – dès les années 1940 – pour la métropole.

À cette époque domine encore, y compris chez les migrants eux-mêmes, une logique d'immigration de travail. Ce que vous évoquiez à propos des villages marocains vaut d'ailleurs aussi pour la migration algérienne. Mais du fait de la destruction des structures rurales traditionnelles, la migration en métropole ne vise bientôt plus seulement à apporter un revenu ponctuel, ce qui se traduisait par des rotations migratoires : elle devient permanente, à l'insu des populations. Dès les années 1950, les femmes et les familles représentent donc une proportion significative des migrants. Celle-ci a pu varier selon les périodes, mais elle reste une constante.

La question des politiques du logement est complexe. Après la Seconde Guerre mondiale, le logement est une ressource rare en France. Le problème est donc loin de concerner les seuls migrants, qu'ils soient sujets coloniaux ou étrangers : il est immense. Les bidonvilles ne sont d'ailleurs pas seulement habités par des étrangers. Simplement, c'est à eux que cet intitulé renvoie. Les campements d'ATD-Quart monde se développent pourtant à la même période mais on ne les qualifie pas de bidonvilles. Il est intéressant de constater que les réponses qui vont être apportées diffèrent selon le statut juridique des occupants.

Les archives montrent que le logement est l'un des principaux outils dont dispose un CTAM pour encadrer les Algériens ; c'est aussi l'une des actions prioritaires qu'il doit mener, tant les conditions de logement sont déplorables. Au début de la période, l'objectif est de faire en sorte que des familles d'Algériens intègrent des logements HLM. Ces ambitions seront revues à la baisse, sur le fondement d'un discours « intégrationniste » d'inspiration coloniale : d'abord plutôt favorables aux Algériens, les objectifs en termes de proportions de populations dans les HLM vont diminuer au cours de la guerre d'Algérie. Ce ne sont pas nécessairement ceux dont on pourrait penser qu'ils sont les plus hostiles qui préconisent les mesures les plus restrictives en matière de logement. Les oppositions auxquelles on se heurte sont en fait liées à la situation du logement. Certes, il y a peut-être un problème d'intégration par le logement ; mais il y a surtout un problème général de logement. Si la construction de logements, déjà importante à l'époque, l'avait été encore plus, les difficultés de logement des étrangers auraient sans doute été moindres.

En revanche, il y a une logique ségrégative dans l'attribution des logements, directement liée à une approche coloniale des populations, qui tend à opérer une distinction entre celles-ci en fonction d'origines ethniques indélébiles. Cela sera très tôt – dès la politique de résorption de l'habitat insalubre – l'une des caractéristiques de ces politiques du logement : dès le début des années 1970, les tableaux bureaucratiques utilisés pour le relogement distinguent les personnes selon leur origine ethnique ; certains distinguent même les personnes originaires d'outre-mer. Ce type de tableau était déjà utilisé par les CTAM. Les agents chargés de mettre en oeuvre la politique de résorption de l'habitat insalubre ne sont pourtant pas tous d'anciens personnels coloniaux. Il y a donc eu diffusion de cette approche ethnicisée – ou « racialisée » – des populations à qui s'adressent ces politiques.

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