J'évoquerai pour commencer le rôle de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration.
Le désir de créer un musée de l'immigration en France est né dans les années 1990, un peu sur le modèle d'Ellis Island à New York. Ce musée fédéral de l'immigration a été inauguré en 1990, conçu après la guerre du Vietnam pour raconter l'histoire des courageux immigrés arrivés sans rien et qui ont bâti l'Amérique et pour intégrer cette histoire dans le roman national. Un certain nombre d'historiens et de militants associatifs de notre pays ont souhaité reprendre cette idée typiquement américaine et présenter l'histoire de nos immigrés dans un lieu de mémoire.
Peu de Français savent que l'immigration fut un phénomène massif dès le début du XIXe siècle. Notre pays est en cela un cas particulier en Europe puisqu'à cette époque, la plupart des pays européens étaient des pays d'émigration. Depuis deux siècles, la France est le fruit d'une immigration massive, composée à la fois de main d'oeuvre et de réfugiés politiques.
La proportion d'étrangers dans la population française est restée à peu près stable tout au long du XXe siècle, à la différence de pays comme l'Espagne ou l'Italie où le phénomène est très récent. La France connaît depuis plus de cent ans d'importants flux migratoires, qui varient en fonction des guerres et des crises. En 1931, année d'ouverture du Palais de la Porte Dorée et de l'Exposition coloniale, le nombre d'étrangers était, contrairement aux idées reçues, proportionnellement plus important en France qu'aux États-Unis, d'après les chiffres de l'INSEE.
La Cité nationale est née suite au rapport rédigé en 2001 par MM. Driss El Yazami et Rémy Schwartz Pour la création d'un Centre national de l'histoire et des cultures de l'immigration. Depuis, elle s'efforce de changer les représentations de nos concitoyens sur l'immigration et de faire connaître sa place dans l'histoire de la France. Cela nous a amenés à travailler sur l'histoire plus que sur la mémoire.
Le phénomène historique qu'est l'immigration, bien que peu connu, est constitutif de l'histoire de France puisque l'on considère aujourd'hui qu'un quart des Français ont au moins un de leurs grands-parents d'origine étrangère et, si l'on remonte à la quatrième génération, ils sont près de 40 % à avoir au moins un ancêtre étranger. Cette prépondérance de l'immigration a été jusqu'à présent peu évoquée dans les manuels d'histoire.
Pour changer les regards et les représentations des Français, nous avons adopté une approche muséographique, car seule une approche patrimoniale est en mesure de légitimer la place de l'immigration dans l'histoire.
La Cité, qui est le dernier musée national créé en France, a pour particularité qu'à sa création elle ne possédait pas de collections, à la différence des autres grands musées nationaux dont la création peut remonter, comme c'est le cas du Louvre, à la Révolution française. La question s'est donc posée de savoir comment constituer des collections à partir d'une histoire dont nous avons peu de traces, en termes de monuments et d'oeuvres d'art.
L'histoire de l'immigration se trouvant essentiellement dans la mémoire des personnes qui l'ont vécue, l'une des urgences de notre institution fut de collecter les traces de cette histoire avant qu'elles ne disparaissent, car les travailleurs migrants des Trente Glorieuses, qui ont reconstruit la France après la Seconde Guerre mondiale, sont aujourd'hui âgés.
Nous avons collecté un certain nombre de témoignages de migrants, qui sont présentés dans l'exposition permanente. Nous avons par ailleurs fait l'acquisition d'un certain nombre de travaux réalisés par des artistes sur ce thème, essentiellement des photographies et des oeuvres cinématographiques.
La Cité travaille en réseau avec des associations dans toute la France. Sur environ six cents projets concernant l'histoire et la mémoire de l'immigration en France, soixante-neuf concernent les migrants âgés. Ce thème a suscité près d'une centaine d'initiatives, les artistes ayant en commun le souci de collecter une mémoire qui disparaît peu à peu et de rendre les migrants fiers de leur participation à la société française, alors qu'ils ont parfois le sentiment d'avoir été oubliés.
Je voudrais faire une proposition concrète à votre commission. Les migrants âgés, notamment ceux qui vivent dans les foyers, n'ont pas accès à la culture. Lorsque nous parlons de l'accès aux droits des migrants, nous entendons l'accès à des éléments de droit commun comme les prestations sociales, mais ils sont les grands oubliés des politiques culturelles. N'ayant pas eu l'occasion au cours de leur vie de découvrir les musées, ils sont très éloignés de la culture.
La fréquentation de notre musée se compose pour moitié de publics scolaires ou relevant du champ social, mais nous n'accueillons quasiment jamais de groupes de personnes âgées immigrées. J'ai proposé à Adoma d'organiser des visites pour les résidents des foyers, mais le projet n'a pas pu se concrétiser. Je le regrette car il serait opportun de revenir sur cette période de l'histoire de France qu'est la guerre d'Algérie et de permettre aux migrants de visiter le musée de l'immigration.