Je vous remercie à mon tour, monsieur le président, pour cette initiative qui permet de rompre le silence.
Travailler sur le vieillissement des immigrés est pour moi une façon pertinente d'aborder la question de l'immigration d'une manière globale, car c'est la seule manière de rompre avec cette politique de l'intégration dont on nous rebat les oreilles depuis plusieurs décennies et qui affecte les descendants de l'immigration.
Nous sommes venus pour travailler et produire français et nous nous sommes retrouvés à « faire des Français ». Mais que fait-on de ces Français ? Nous ne pouvons nous contenter de restituer la mémoire : nous devons la transmettre et la conjuguer au présent et au passé pour construire le « vivre ensemble » de demain. Quant au vieillissement de la population immigrée, il relève du droit commun.
J'en viens à la culture de l'immigration, longtemps confinée dans le domaine du folklore – le couscous et le thé. Pour nous, la culture ne doit en aucun cas être traitée comme un problème périphérique mais devenir un enjeu central pour la société française qui, comme l'a démontré M. Gruson, est cosmopolite.
Comment assurer la transmission de la mémoire ? Je participais la semaine dernière à la « marche des vivants », organisée pour perpétuer le souvenir des victimes de la Shoah. À Auschwitz, j'ai discuté avec un historien juif qui nous accompagnait. Il évoquait cette mémoire avec beaucoup de lucidité et de recul, car la communauté juive est outillée pour parler de la Shoah et a mis au point une méthode pour le faire. Elle dispose d'un certain nombre d'espaces – le théâtre, le cinéma, l'écriture, la culture en générale – pour combler ce vide. Ce n'est pas le cas de la communauté maghrébine. Un Algérien qui vient du monde rural n'est pas en mesure de transmettre sa mémoire à ses enfants car il ne dispose pas des outils nécessaires.
Notre démarche au sein de l'ATMF consiste à créer des espaces susceptibles de jouer un rôle de médiateurs. Le sociologue, l'anthropologue et l'historien doivent s'accaparer cette mémoire. Si nous ne faisons rien, elle disparaîtra, ce qui serait dommageable non seulement pour nos enfants, mais aussi pour la société française dans son ensemble.
Investir le champ culturel est pour nous le meilleur moyen de déconstruire les représentations qui nourrissent les préjugés et les stéréotypes, qui eux-mêmes nourrissent le racisme et les discriminations.