Si tous les vieux travailleurs migrants ne résident pas en foyer, c'est cependant le cas d'un très grand nombre d'entre eux – essentiellement originaires du Maghreb et des trois pays du bassin du fleuve Sénégal que sont le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Arrivés en France à la fin des années 1960, les migrants issus de ces trois pays ont pour la plupart plus de cinquante-cinq ans.
Le fait qu'ils soient logés en foyer traduit une double hypocrisie : considérant que les travailleurs migrants doivent disposer d'un logement « spécifique », on refuse dans le même temps de leur accorder des droits comparables à ceux des locataires – ce qui correspond à une conception fort curieuse de la spécificité ! Désormais, lorsque des foyers sont transformés en résidences sociales, on qualifie cet habitat de logements « autonomes de droit commun » alors qu'il ne s'agit en réalité ni de logements autonomes ni de logements de droit commun, mais de petits studios voire de studettes dans lesquels ces immigrés doivent vivre pendant quarante ans. Lors de l'une de vos auditions, il vous a été précisé qu'il s'agit là d'une spécificité française, que l'on ne trouve autrement qu'en ex-République démocratique allemande, en Afrique du Sud et en Chine.
On recense quatre types de foyers : le premier correspond à des quasi-taudis tout à fait indignes, meublés de lits superposés, accueillant essentiellement des travailleurs d'Afrique noire. Des foyers-tours furent ensuite construits dans les années 1970 par la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (SONACOTRA), afin non seulement d'exercer un contrôle social sur les travailleurs migrants mais aussi de les « reléguer ». C'est pourquoi ces tours, hautes de treize étages, ne comportent qu'une seule entrée. Plus récents et destinés aux travailleurs originaires d'Afrique noire, les foyers Coallia (ancienne AFTAM) et Soundiata comportent beaucoup d'espaces communs et de services collectifs tels qu'une cuisine, un bar et des salles de réunion. Ils sont désormais illégalement suroccupés. Enfin, les résidences sociales, censées favoriser la mixité sociale, ne correspondent en réalité qu'à des « fourre-tout de la misère sociale » : outre les travailleurs migrants issus de foyers, on y place des personnes confrontées à de graves problèmes – soit qu'elles sortent de prison ou d'un hôpital psychiatrique, soit qu'elles se trouvent en situation de grande précarité. Non seulement ces mélanges sont explosifs mais, de surcroît, comme il s'agit de logements autonomes, les espaces collectifs y sont limités si bien que chacun vit dans sa boîte et doit subvenir seul à ses besoins. Ce système est extrêmement critiqué et critiquable.
Les conditions de vie dans ces quatre types de sous-logement présentent des points communs. En Île-de-France, les foyers de Coallia, d'Adoma, et de l'ADEF, administrés de manière extrêmement opaque, sont très mal entretenus et mal réparés. Les espaces collectifs et parties communes de ces foyers – tels que leurs petites salles ou leurs escaliers – sont malheureusement occupés par des squatteurs sans argent qui, loin d'être aimables avec les personnes âgées qui y résident, les bousculent ou les volent.
Dans la majeure partie des cas, les travailleurs migrants résidant dans ces foyers souhaitent définitivement quitter la France lorsqu'ils atteignent l'âge de la retraite tout en gardant le droit au séjour c'est-à-dire la possibilité d'y revenir – soit pour revoir leurs amis, soit pour y être soignés dans l'hypothèse où ils seraient atteints d'une maladie grave qui ne peut être traitée dans leur pays d'origine. Ce souhait est d'autant plus fort qu'il leur est désormais beaucoup plus facile d'entretenir un lien avec leur pays, que ce soit grâce au téléphone ou aux chaînes de télévision maghrébines et d'Afrique noire qui sont à présent accessibles dans tous les foyers.
Cependant, certaines personnes souhaitent rester sur le territoire, pour quatre raisons. La première est d'ordre sanitaire : les travailleurs immigrés atteints de pathologies telles que l'hypertension, le diabète ou le cancer le sont dix ans plus jeunes que les travailleurs français en raison du travail pénible qu'ils ont exercé au cours de leur vie, notamment dans le secteur du bâtiment. D'ailleurs, si l'on constate un recul des maladies respiratoires chez ces populations, ce n'est en revanche pas le cas des maladies squeletto-musculaires. Par ailleurs, certaines personnes ont perdu leurs relations au pays, par exemple si leur conjoint(e) est décédé(e) ou que leurs enfants sont partis. De plus, certains travailleurs souhaitent continuer à bénéficier d'un complément de retraite. Enfin, beaucoup de travailleurs migrants maghrébins font des allers retours entre la France et leur pays d'origine, ce qui est moins le cas des travailleurs d'origine subsaharienne, pour lesquels le coût du voyage est beaucoup plus élevé.
Ces résidents âgés ont exprimé plusieurs demandes fortes.
Tout d'abord – et c'est là leur revendication principale –, ils ne cessent de répéter qu'ils ne souhaitent ni vivre ni mourir seuls et isolés dans une chambre et réclament de l'aide, si possible de la part d'un membre de leur famille, ainsi qu'une protection face à l'insécurité que suscitent les jeunes squatteurs. Ensuite, ils souhaiteraient pouvoir accéder aux soins. Par ailleurs, le montant du loyer en résidence sociale, de l'ordre de 400 euros, leur paraît trop élevé. Or, ils ne peuvent partager ce loyer – paradoxalement moins élevé à Paris qu'en banlieue du fait des subventions accordées par la Ville de Paris – puisqu'il leur est interdit d'héberger qui que ce soit. De surcroît, pour pouvoir bénéficier d'aides personnelles au logement, il leur faut demeurer huit mois dans le logement en question. Enfin, ils déplorent le harcèlement administratif dont ils font l'objet de la part des caisses de retraite et d'allocations familiales et de la préfecture – d'autant plus qu'ils sont issus de pays ignorant la culture du papier – et les files d'attente qu'il leur faut partout affronter.
Plus généralement, les vieux travailleurs migrants ont le sentiment que la France n'a pas besoin d'eux et qu'elle souhaite les voir retourner dans leur pays d'origine. Ils comprennent mal une culture française en vertu de laquelle soit les services sont complètement pris en charge par l'État, soit ils le sont par le marché. Leur logique à eux est plutôt celle du don et du contre-don, de la solidarité familiale ou de l'entraide au sein de leur petite communauté. C'est pourquoi, il leur est très difficile de demander de l'aide auprès des services sociaux mais très facile de le faire auprès d'un jeune.
Quant aux autres difficultés auxquelles ils sont confrontés, je soulignerai en premier lieu qu'en interdisant aux résidents de foyer de vivre avec quelqu'un, la loi et les règlements intérieurs les empêchent de bénéficier d'une vie privée. Le COPAF a demandé à plusieurs reprises aux gestionnaires et aux comités de pilotage de prévoir dans les résidences sociales pour résidents âgés des unités de vie comprenant chacune une kitchenette, une douche commune et des chambres à deux lits tout autour – dont le loyer serait plus faible qu'actuellement. Or, cette proposition n'a fait l'objet d'aucune suite.
En deuxième lieu, les travailleurs migrants ont de grandes difficultés d'accès aux droits. Or, il n'y a paradoxalement que dans les foyers de l'ADEF à Paris – où le loyer est pourtant très élevé et la culture de la concertation très peu développée – que l'on trouve ce personnage clef qu'est le médiateur social, quasi absent dans les foyers Adoma et Coallia.
En troisième lieu, les membres du personnel gestionnaire, très mal formés, ont souvent une mentalité de « petits chefs », ne s'activant que pour obtenir le paiement des loyers. Ce personnel n'étant présent sur les lieux que huit heures par semaines, il est extrêmement difficile de discuter avec lui de l'ensemble de ces questions.
Enfin, pas une seule fois n'a-t-on mis à l'ordre du jour des conseils de concertation la question de l'adaptation du bâti à la situation des personnes âgées qui ont besoin de barres auxquelles se tenir et de chaises à proximité des ascenseurs, ces derniers devant par ailleurs être entretenus et réparés.