J'accepte bien sûr de prêter serment, mais avons-nous seulement défini ce que c'est que la vérité ? Je suis peut-être le premier à soulever cette question ! Si vous, députés, ne vous remettez pas perpétuellement en cause, sur tous les sujets, comment notre pays et ses représentants pourraient-ils continuer d'avoir une place dans un monde qui change à la vitesse que vous connaissez ?
Voici donc quelle est, du moins en matière de sidérurgie, sinon la vérité, du moins ma vérité. D'abord, la sidérurgie est un métier passionnant. Soyons clairs : il n'est pas du tout impossible de conserver des activités sidérurgiques rentables et utiles en Europe, et notamment en France, à condition de vivre et de gérer, au sens noble de ce terme, ce métier de manière intelligente, c'est-à-dire en intégrant ce qui se passe ailleurs dans le monde, et en se gardant du comportement qu'ont adopté certains ministres et qui constitue le plus sûr moyen de dégoûter les bonnes volontés, y compris françaises.
J'ai passé quinze ou seize ans de ma vie à tenter, avec un certain succès, de rebâtir sur un champ de ruines, et alors que le moral était très bas, le premier groupe sidérurgique mondial, le tout à partir d'une base française. Pourquoi serait-il impossible de refaire ce que j'ai réussi, avec d'autres, il y a quelque vingt ans ? Tout est possible, je le répète, à condition de vivre à son époque, et non dans le passé ou dans un rêve. Rêver éveillé est de plus en plus difficile et vivre dans le passé ne sert à rien : il est vain de vouloir arrêter le temps.
Pour être significative et rentable, notre activité sidérurgique doit être utile, c'est-à-dire utile au client. En effet, pourquoi celui-ci s'intéresserait-il à nous sous prétexte que nous sommes là, s'il trouve mieux – je n'ai pas dit moins cher – ailleurs ? Les sidérurgistes actuels doivent donc se positionner par rapport aux marchés de demain et non à ceux d'avant-hier.
Ces sidérurgistes ne sont pas très nombreux – je les connais tous –, car nous avons bien fait notre travail de concentration. Un seul a refusé de fusionner avec moi ; il a été un peu marginalisé et vient de faire parler de lui en termes assez négatifs au sujet de ses coûteux avatars brésilien et américain : il s'agit de Thyssen. À l'époque, tout le management était favorable à la fusion mais les actionnaires – réunis dans une fondation à l'allemande – ont préféré rester entre eux. En revanche, les Anglais et les Néerlandais ont accepté la fusion et ont fait appel à un Français pour les diriger : c'est avec plaisir que j'ai appris à l'époque que Philippe Varin avait été choisi pour prendre la tête de British Steel et de Hoogovens.
Les Italiens, par l'intermédiaire du gouvernement Prodi, ont refusé de fusionner avec nous. Voyez où ils en sont aujourd'hui : Ilva a été sanctionnée dans des conditions effarantes, forcée d'arrêter sa production – ce qui, vis-à-vis de Fiat et d'autres, représente un désastre – sous prétexte que la production de Tarente serait dangereuse pour la santé des Tarentais et des habitants des Pouilles en général. Je n'ai rien contre le gouvernement italien, au contraire, mais voyez où l'a mené la séparation des pouvoirs : le gouvernement Monti a finalement dû passer outre la décision du juge pour laisser fonctionner l'usine de Tarente, quitte à étudier d'un peu plus près les problèmes de pollution. Dans le monde actuel, les entreprises ne peuvent être compétitives si elles sont enserrées dans de telles contraintes.
Les autres sidérurgistes, belges, français, luxembourgeois et espagnols, ont fusionné. Je dois à l'honnêteté de vous dire que j'avais défendu la fusion auprès des Espagnols mais qu'un nouveau ministre, que je connaissais bien et qui fera ensuite parler de lui comme patron de Bankia, a préféré le compromis, qui n'avait rien d'historique, proposé par nos amis luxembourgeois, moins directs sans doute que ne le sont les Français. La fusion a donc eu lieu avec Arbed, qui avait su le rassurer. Chacun a sa conception des responsabilités respectives de l'industriel et du politique. En ce qui me concerne, je n'ai jamais été capable de dire autre chose que ce que je pensais, ce qui est rare. Pour atteindre ses objectifs, mon ami luxembourgeois, lui, n'a pas hésité à mentir. Finalement, nous nous sommes tous retrouvés dans le même bateau lorsque Arbed nous a rejoints pour fonder Arcelor. Les Belges, dont on parle en ce moment à propos des annonces d'ArcelorMittal, s'étaient déjà alors rangés à l'idée qu'ils feraient mieux avec Usinor-Sacilor que seuls, avec Cockerill-Sambre. Jean Gandois a été d'une grande aide à cette époque.
Telle est l'histoire récente de la sidérurgie européenne – à laquelle s'ajoutent quelques acquisitions, notamment brésiliennes –, fondée sur quelques convictions qui sont les nôtres. D'abord, la taille est importante pour optimiser les coûts afin de supporter la concurrence puisque le même produit peut être offert partout dans le monde. Ensuite, pour grandir, il faut proposer la meilleure offre, c'est-à-dire satisfaire mieux que les autres les besoins de ses clients.
Mon souvenir le plus cuisant à ce sujet date d'un voyage au Japon où je m'étais rendu pour essayer d'y vendre de l'acier. J'y ai rencontré le patron de Toyota, qui n'était pas encore implanté en France. « On n'est pas mauvais », lui ai-je dit, « je suis convaincu que nous avons le meilleur acier, nous sommes meilleurs que vos fournisseurs ; je viens donc vous proposer nos services ». Le patron, M. Toyoda, m'a répondu : « Je suis d'accord avec vous, monsieur Mer : vous êtes le meilleur ! Mais ce n'est pas une raison pour que je fasse défaut à mes fournisseurs traditionnels qui ont du mal à évoluer aussi vite que vous, même si vous les piquez aux fesses ! J'ai donc décidé, quels que soient vos mérites, de garder ma confiance à Nippon Steel et aux autres. — Bravo, lui ai-je dit : il n'est pas sûr qu'en Europe nous ayons, nous, industriels, des relations qui nous fassent réagir ainsi à une proposition honnête et, de votre propre aveu, valable. — Je connais parfaitement votre acier et vos performances, a-t-il rétorqué. »
Car les Japonais connaissent tout, partout, en temps réel. Et les Chinois commencent à marcher sur leurs traces, envoyant partout dans le monde des représentants intelligents qui se renseignent sur ce qui se fait de mieux et rapportent en Chine l'état de l'art mondial en précisant ce qui est compatible avec la mentalité nationale.
« Je ne prends pas votre acier au Japon, monsieur Mer », a donc poursuivi M. Toyoda, « mais je vais le prendre en France : j'ai décidé, au vu de la qualité de la fourniture française, d'implanter mon usine européenne en France ». Je me suis senti non pas responsable de cette décision, mais fier qu'indirectement, la performance d'Usinor-Sacilor ait contribué à notre attractivité collective.
Il faut donc, disais-je, avoir les meilleurs coûts. Et, pour cela, il faut avoir – je vous surprendrai peut-être en commençant par là – le meilleur personnel. Le personnel n'est pas une masse salariale : c'est le principal capital d'une entreprise. Il travaille beaucoup mieux lorsque la reconnaissance dont il bénéficie lui en donne l'envie. Dès lors, rien ne lui est impossible.
En la matière, un exemple m'a particulièrement marqué. Après moult réflexions, nous avions décidé de fermer une usine, ne voyant plus comment nous en sortir sans renoncer à une capacité supplémentaire, puisque l'on ne peut pas inventer la quantité que l'on vend. Je suis venu annoncer la fermeture selon la méthode de gestion de la réduction d'effectifs lancée alors par Usinor et qui a ensuite fait florès. « Je suis désolé », ai-je dit, « on est obligé de fermer l'usine dans six mois. Mais, comme vous le savez, aucun d'entre vous ne sortira de l'usine sans avoir été reclassé, dans Usinor ou à l'extérieur ». Cette méthode nous a permis de réduire considérablement les effectifs, sans faire perdre espoir à ceux qui restaient et qui devaient continuer de travailler, et même travailler de mieux en mieux. Cela nous a coûté un peu d'argent, mais nous y sommes parvenus. Un mois avant la fermeture, conformément à notre usage, je retourne sur place. Je savais ce que l'on allait me dire mais je tenais à m'y rendre pour que les salariés puissent s'exprimer. « Monsieur le président », ai-je alors entendu, « on n'a pas pu vous faire changer d'avis, mais voici ce que nous avons fait » – et de me présenter la performance de l'usine pendant les trois mois qui avaient précédé l'annonce, puis pendant les trois mois précédant la fermeture. La performance de l'usine sur le point de fermer était incomparablement meilleure que celle que l'on connaissait auparavant et qui nous paraissait correcte. Car le personnel avait décidé non pas de nous empêcher de fermer – à la différence de ce qui se passe à Florange et consorts –, mais de nous montrer, que si nous nous étions mieux débrouillés avec eux, nous n'aurions pas eu besoin de le faire. Ce qui était vrai.
Une équipe, une communauté de travail, quel que soit le métier qu'elle exerce, ne travaillera pas de la même manière au bord du gouffre – dans l'espoir d'éviter d'y tomber – ou qu'elle bénéficie d'une reconnaissance qui lui donne envie de grandir. En quinze ans, nous avons réussi à redresser la sidérurgie française puis européenne. Lorsque je suis arrivé, en 1986, tous étaient convaincus que l'on allait droit dans le mur, que l'on allait tout fermer. Il y avait alors peu de candidats prêts à s'emparer du sujet, sans doute parce que cette conviction était largement partagée à l'extérieur également. Ne la reprenez pas à votre compte en 2013 ! À l'époque, notre personnel a découvert, grâce à quelques décisions importantes, que l'espoir restait permis.
Les valeurs d'un pays, celles d'un homme, celles d'une communauté sont souvent les mêmes : la confiance, l'espoir, une vision. J'avais décidé, avec quelques autres, qu'il n'y avait que deux manières de nous sortir de cette situation très critique. D'abord, faire confiance au personnel et développer fortement ses compétences. Nous avons ainsi consacré à la formation l'équivalent de 8 % de la masse salariale pendant quatre ou cinq ans – ce qui était méritoire car nous perdions de l'argent –, puis, après la phase de remise à flot, 4 à 5 % pendant quinze ans. À nos yeux, ce n'était pas une dépense, mais un investissement en capital humain. Ensuite, ne pas faire comme les autres, sans quoi nous étions perdus. Nous étions bien placés pour savoir que l'acier que nous produisions au Brésil, quand on le faisait venir à Mulhouse, revenait moins cher que l'acier fabriqué à Florange. Pour continuer de vendre de l'acier français, puis européen, à des entreprises essentiellement européennes, c'était donc l'offre qui devait être meilleure, voire la meilleure, de sorte que le client n'ait pas le choix. Le plus gros client de Florange, c'était Volkswagen ! Car de tels messages traversent les frontières : celles-ci n'existent pas dans notre Europe industrielle. Gerhard Cromme, qui a fait carrière chez Thyssen, a d'ailleurs débuté dans une filiale de Pont-à-Mousson en Sarre et Peter Hartz, qui a donné son nom à la fameuse loi Hartz IV sous le gouvernement Schröder, entre 2003 et 2005, était « mon » Arbeitsdirektor dans la même usine sarroise. Voilà qui répond à la question de savoir comment la sidérurgie française et la sidérurgie allemande travaillent ensemble. Cromme a suivi mon exemple en faisant fusionner les entreprises du secteur sidérurgique allemand.
Premièrement, donc, le personnel ; deuxièmement, l'offre, qui suppose un budget de recherche. Nous avons ainsi développé la plus belle compétence sidérurgique mondiale. Le produit dit Usibor est le résultat, en Lorraine, d'un effort, essentiellement lorrain, fourni pendant quinze ou vingt ans. Savez-vous que le procédé ULCOS – Ultra Low Carbon Dioxide Steelmaking –, qui permettra de fabriquer de l'acier en réduisant les émissions de CO2, est le fruit d'une décision prise il y a vingt ans par votre serviteur, en accord avec quelques collègues ? J'ai pu mesurer à l'époque l'effet sur mes interlocuteurs d'une idée quelque peu nouvelle. On m'avait averti que la sidérurgie émettait du CO2 en quantité non négligeable. J'avais pressenti que cela risquait de nous retomber dessus et souhaité que l'on invente un autre procédé qui ne présenterait pas cet inconvénient. J'ai donc convoqué mes équipes de chercheurs pour une discussion de trois ou quatre heures dont il est ressorti que ce que je demandais était possible mais long – une vingtaine d'années, car il faudrait repenser le haut fourneau – et coûteux.
Ne voulant pas me lancer seul dans cette entreprise, je me suis tourné vers mes collègues, d'une part, et, d'autre part, vers Bruxelles, dont j'ai pu, pour une fois, rapporter de bonnes nouvelles. Était-ce l'heureux souvenir du commissaire Davignon ? Toujours est-il que je n'ai eu aucun mal à convaincre Bruxelles de contribuer au financement du projet. Je vais ensuite voir mes collègues, en commençant par Thyssen : accord immédiat. Je traverse la Manche : accord immédiat. Je traverse la Sibérie pour aller au Japon : accord immédiat. Je remonte vers la Corée du Sud : accord immédiat. Puis je traverse l'Atlantique… et ce qui devait arriver arriva. « Mon cher Francis, science must lead policy : tant que l'on ne m'aura pas démontré par A + B que les émissions de CO2 sont la cause du réchauffement climatique, il n'est pas question de dépenser un sou, car il faudrait le prendre en bas de ligne, c'est-à-dire aux actionnaires. » « Tant pis pour vous ! » ai-je répondu. De toute façon, objectivement, la sidérurgie américaine n'existe pour ainsi dire plus : elle appartient pour l'essentiel au reste du monde. En moins d'un siècle, les États-Unis sont ainsi passés d'une position dominante dans la production d'acier au désintérêt pour cette activité, même si quelques Chinois, Européens ou Russes continuent d'y fabriquer de l'acier primaire. Les modes passent et les principes fondamentaux de gestion d'une entreprise influencent sa stratégie.
La recherche, d'une part, le savoir-faire et les compétences du personnel, de l'autre, sont donc les deux piliers de la réussite – sachant que le personnel doit être réduit au minimum dans ce métier hautement compétitif et mondial.
Pourquoi sommes-nous dans la situation actuelle ? C'est la faute des Chinois. Il y a quinze ans, ils n'existaient pas dans le secteur sidérurgique ; aujourd'hui, la Chine représente 50 % des besoins et de la production d'acier. Depuis quinze ans, un gigantesque effort d'investissement mondial a été fourni pour profiter du déferlement de la demande chinoise, fruit des projets de construction. Au terme de dix à quinze ans de croissance, la Chine commence à changer de modèle et à penser au consommateur au détriment relatif de l'investissement. Mais, sur la lancée du passé, la capacité de production continue de se développer en Chine et ailleurs, car, dans la sidérurgie, il faut plusieurs années pour créer une usine fournissant cette capacité. Que l'on ajoute à cela la crise, sur laquelle je ne m'étendrai pas, et voilà que la sidérurgie vit son drame habituel : l'effondrement mondial de la production et de la consommation – fût-il un peu moins marqué en Chine qu'ailleurs. Je vous renvoie aux chiffres qu'a dû vous donner celui que vous avez auditionné avant moi.
Face à cette situation, les entreprises, et pas seulement ArcelorMittal, ont fait le raisonnement suivant. Dans une industrie de frais fixes comme la sidérurgie, les résultats sont pour l'essentiel liés au volume, donc à la saturation des outils. S'il faut des années, voire l'éternité, avant de pouvoir de nouveau saturer tout l'appareil industriel situé en Europe, il est de notre devoir d'industriels, pour minimiser les pertes et retrouver au plus vite les gains indispensables à la survie du métier, de serrer les boulons, c'est-à-dire de réduire les capacités les moins bonnes et de concentrer sur les meilleurs outils l'essentiel de la production afin d'optimiser les coûts, donc les résultats, même en cette période de pertes. C'est ce qui s'est passé à Florange.
J'imagine que vous allez vous octroyer le plaisir d'entendre les syndicalistes de Florange. J'ai moi-même de très bons rapports avec deux syndicalistes du secteur sidérurgique que j'ai aidés à devenir leur propre patron et qui sont aujourd'hui consultants. Le premier, un cégétiste qui s'est fait virer de son entreprise par la CGT, est en train d'écrire ses mémoires. Le second, qui était à la CFDT Sidérurgie, est venu me proposer de s'occuper des gens que je poussais hors de l'entreprise mais que je gardais dans une entreprise ad hoc faute de parvenir à les recaser à l'extérieur. J'avais en effet créé en Lorraine une petite entreprise qui s'efforçait de leur trouver des clients. « Si vous me faites confiance, je m'en occupe ! », me dit-il. Il est donc devenu chef d'entreprise, d'une entreprise de services qui allait chercher les clients et effectuait ou faisait effectuer des tâches pour eux. Je l'ai aidé à devenir consultant. Je les ai tous deux fait venir chez Safran pour qu'ils expliquent à nos managers le fonctionnement des syndicats. Ainsi, dans la relation entre le manager de terrain et son personnel ainsi que les représentants de ce dernier, chacun sait comment l'autre fonctionne : on est à armes égales. Dans le cas contraire, le manager, perpétuellement aspiré par le haut, a peur du terrain, alors que c'est de ce dernier que dépend la performance d'une entreprise, et non du patron.
Les syndicats de Florange connaissent bien le sujet, depuis trente ou quarante ans. Les déclarations que j'ai entendues m'ont fait rire. Le site de Fos-sur-Mer, que certains d'entre vous connaissent bien, a été créé par la Lorraine pour anticiper sur l'épuisement prévisible du charbon et du minerai de fer lorrains. Ceux qui vous raconteraient qu'ils ne sont pas au courant de l'évolution de la sidérurgie depuis des années, alors même qu'ArcelorMittal a été parfaitement transparent à ce sujet, vous mentiraient. Ils essaient de tirer profit d'un gars qui veut faire parler de lui ! Je suis allé voir Arnaud Montebourg – dont il y a ici des amis, je le sais – début novembre, avant qu'il ne fasse sa sortie. Nous avons passé deux heures ensemble. Je l'ai prévenu : « Vous allez dans le mur, vous allez vous faire flinguer soit par le Gouvernement, soit, si celui-ci fait l'erreur de vous suivre, par le droit français et européen. Car vous ne pouvez justifier par l'intérêt collectif la nationalisation d'une usine au sein d'un groupe. Vous ne pouvez plus nationaliser Arcelor ; vous pourriez peut-être en nationaliser la partie française, mais certainement pas une usine. » Malgré ses compétences intellectuelles, il reste incapable de reconnaître que sa thèse l'envoie dans le mur, ce qui est inquiétant : n'abuse-t-il pas de la confiance qu'on lui accorde à Florange et ailleurs ? Prenez garde, mesdames et messieurs les députés : la démocratie suppose que l'on ait le sens de la responsabilité et de l'intérêt collectif. Je me demande parfois si certains de ses éminents représentants ne cherchent pas surtout à défendre leurs intérêts personnels, de quelque nature qu'ils soient.
Pour en revenir à la sidérurgie, que faire aujourd'hui ? Rien au niveau français, car cela n'a pas de sens : il existe un marché intérieur qui s'appelle l'Europe ; si l'on doit agir, c'est au niveau européen. J'ai été amusé que les Belges, les Luxembourgeois et les Français envisagent d'alerter ensemble la Commission. Il y a une quarantaine d'années, M. Davignon était presque dans la même situation au sein de la Commission de Bruxelles. L'existence d'un traité spécifique à l'acier facilitait sans doute les choses. Mais, surtout, il y avait alors à Bruxelles des gens qui pensaient et qui n'épousaient pas nécessairement la ligne anglo-saxonne. Aujourd'hui, personne n'ose plus remettre en question la doxa, sans être pour autant capable d'en tirer toutes les conséquences. De ce point de vue, la sidérurgie fournit un exemple révélateur qui devrait nous préoccuper. En France, en particulier, combien de métiers, combien d'emplois, en dehors de l'industrie, sont en réalité protégés de la concurrence, interne ou européenne – pour les meilleures raisons du monde, naturellement ? Quel pourcentage de l'activité européenne et notamment française échappe à la règle qui a été imposée à l'industrie par les Allemands dans les années 1950 et que de Gaulle a eu le courage d'accepter, permettant ainsi au marché commun, donc à l'Europe, de se bâtir ?
Bruxelles pourrait peut-être proposer aux Européens des règles du jeu adaptées à la sidérurgie et aux métiers analogues, au lieu de s'en tenir au constat que le marché et les prix sont mondiaux et que les prix fluctuent selon le rythme auquel les Chinois respirent. Le secteur a connu une période exceptionnelle de 2002 – date à laquelle j'ai quitté Arcelor, ce qui m'inspire rétrospectivement quelques regrets – à 2008 : les prix montaient, les quantités augmentaient, tout le monde gagnait de l'argent, ce qui a d'ailleurs conduit ArcelorMittal à dépenser beaucoup pour acheter des mines. À partir de 2008, tout s'est effondré et le contexte est devenu comparable à celui dans lequel j'avais commencé mes activités industrielles, en 1973. Lors du choc pétrolier, le Président de la République de l'époque, dont j'admire habituellement l'intelligence, nous avait dit : « Messieurs les industriels, c'est un mauvais moment à passer. » Tu parles ! C'était le début d'une révolution politique mondiale. Or aujourd'hui, certains pays réagissent comme lui face au choc que connaît l'Europe.