Intervention de Francis Mer

Réunion du 27 février 2013 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Francis Mer, vice-président du groupe Safran, ancien président d'Usinor-Sacilor et d'Arcelor :

Grâce à moi ! Cela étant, je rappelle que j'ai essuyé un refus lorsque j'ai proposé à l'État de garder un ticket au moment de la privatisation d'Usinor-Sacilor. Mais jamais Mittal ne décidera de mettre fin à ses activités françaises, parce qu'il sait que ses meilleures usines européennes sont en France. Ne donnez surtout pas dans la paranoïa !

La crise de la sidérurgie ne vient-elle que de la surproduction européenne ? Non. J'ai passé quinze ans dans un secteur où les prix baissaient tous les ans et où, quelques années mises à part, les quantités n'augmentaient pas. Plus généralement, la crise en Europe résulte de la crise mondiale et elle n'est pas terminée. Quelles que soient les prévisions de Bercy, c'est sur une hypothèse de croissance de 0,5 % en moyenne, 1 % tout au plus, que vous, députés, devriez-vous fonder pour évaluer les prévisions que l'on vous donne et les recettes fiscales à en attendre. Inutile de sortir d'une grande école pour comprendre que l'Europe connaît une crise de confiance dont elle ne sortira pas avant d'avoir retrouvé sa boussole et fixé quelques objectifs communs. Dans l'intervalle, les entreprises en pâtiront. Mais les plus grandes pourront dire : « Ça ne marche pas en Europe ? Je m'en moque : le monde m'appartient ! » Et elles iront aux États-Unis, en Chine, en Inde ou au Brésil. Ce n'est pas nécessairement en Europe que sont obtenus les brillants résultats affichés par le CAC 40. Or vos responsabilités concernent le territoire national et des populations qui ne sont peut-être pas toutes appelées à quitter le continent comme les millions d'Irlandais partis aux États-Unis ou au Canada parce qu'ils crevaient de faim !

Faudrait-il se protéger par des normes ? Les normes techniques sont aussi satisfaisantes que possible. Des normes sociales et environnementales ? Pourquoi pas, à condition qu'elles ne soient pas propres à la sidérurgie. En d'autres termes, c'est de faire l'Europe qu'il s'agit. Si vous cherchez un supporter de ce projet, vous l'avez en face de vous ! En réalité, qui refuse de faire l'Europe ? Ce sont les pouvoirs publics de chaque pays : notre administration, et notamment nos assemblées, qui craignent d'y perdre leur souveraineté, leur pouvoir, leur raison d'être. Voilà une question à laquelle vous devriez vous intéresser si vous en avez le courage. Et la réponse se trouve chez nous, dans les pays membres. Elle naît de la crise qui nous impose de transférer des parts de souveraineté à un « machin » qui s'appelle Bruxelles. Voyez le six pack : de l'extérieur, il est amusant de comparer ce que les gouvernements ont entériné au discours politique officiel. Grâce à la crise, le système bruxellois a pris le pouvoir, et d'abord sur votre budget : n'imaginez pas que vous pourrez faire quoi que ce soit d'autre qu'approuver ce qui aura été préalablement validé par Bruxelles au nom d'une logique dont je ne suis pas certain qu'elle soit valable. Si vous voulez résoudre les problèmes de la sidérurgie, accouchez donc ensemble de normes techniques, sociales et environnementales – et accessoirement douanières, même si, dans le cas de l'acier, la distance est telle que le coût du transport est relativement élevé par rapport à celui de la matière, sauf pour les produits sophistiqués. Aucun Chinois n'a envie d'expédier un rond à béton ici : il y perdrait sa chemise ! Quoi qu'il en soit, nous, Européens, devons prendre notre destin en main, ce que vous ne faites pas parce que vous êtes élus du territoire français. Prenez garde aux eurodéputés qui ont envie d'utiliser le pouvoir qui leur a été donné ; vous allez en entendre parler.

S'agissant de la recherche sur les aciers du futur, je ne peux vous répondre car j'ai quitté la sidérurgie il y a dix ans. Je pense néanmoins qu'Arcelor, qui a su conserver une partie des méthodes anciennes, continue d'être à la pointe, contrairement à l'image que l'on peut en donner, sans quoi l'entreprise ne pourrait pas s'en sortir.

Quelles sont les forces et faiblesses du groupe ArcelorMittal ? En ce qui concerne la stratégie minière, depuis 1973, le nombre des groupes miniers – minerai de fer, charbon à coke –, qui n'était pas très élevé, a encore diminué : quatre ou cinq mineurs au monde font la pluie et le beau temps en matière de prix – un canadien, un brésilien, deux australiens, un suisse qui a remarquablement réussi et vient de fusionner avec un autre australien. Le minerai brésilien, c'est une montagne d'hématite à 66 % de fer : quand vous montez dessus, vous comprenez que les mines qui ont fait notre succès pendant un siècle soient fermées ! Avant le choc pétrolier et ses conséquences sur la sidérurgie en France et ailleurs, tous les sidérurgistes cherchaient à s'intégrer en amont ; ensuite, ils ont dû vendre parce qu'ils perdaient de l'argent, et ils ont préféré vendre une mine plutôt qu'une activité sidérurgique, c'est-à-dire le coeur de leur métier. Puis, pendant six ou sept ans, les sidérurgistes, Mittal en tête, se sont de nouveau enflammés pour l'intégration en amont. Mais Mittal a mal acheté.

Lakshmi Mittal – qui est très doué et compétent, contrairement à ce que d'aucuns ont dit de lui – a fait un pari. Considérant que la montée des prix ne pourrait pas durer aussi longtemps que les impôts et qu'il devait consolider son entreprise, il a eu l'idée géniale de se rapprocher d'Arcelor. Moi président d'Arcelor, je n'aurais jamais accepté et je me serais protégé de Mittal bien avant : nous savions ce qui se préparait puisque nous connaissions les résultats. Mais mes successeurs n'ont pas su changer de politique : ils n'ont pas vu que cette phase temporaire de prospérité leur offrait l'occasion de rompre avec la méthode besogneuse que nous avions été obligés d'employer pendant quinze ans.

Aujourd'hui, Mittal revend – il s'est déjà séparé des mines de Dofasco – pour réduire son endettement, qui est sa principale faiblesse. Le monde financier n'a eu de cesse de fournir de l'argent aux entreprises : « empruntez, empruntez, vous rembourserez plus tard » ; il faut maintenant le rassurer. Mais Mittal ne veut pas sacrifier la production d'acier et n'a aucune envie de se détourner de ses sites européens, coeur de son activité sidérurgique, même s'il cherche à vendre en Bulgarie. En revanche, il cherche à concentrer la même production sur un plus petit nombre de sites. N'oubliez pas que Mittal habite Londres et que s'il est né en Inde, il n'y va pas souvent. Il n'y a que les Français pour croire que Mittal est indien ! Sa fortune était la deuxième ou la troisième d'Angleterre il y a quelques années et il n'a aucun intérêt à vendre une entreprise dont il détient 40 % et dans laquelle travaille aussi son fils Aditya, jeune financier brillant formé aux États-Unis. Vous évoquez l'éventualité d'un abandon progressif des sites européens dans lequel le groupe n'investirait qu'au minimum – c'est possible, mais cela m'étonnerait ; je ne connais pas les chiffres.

L'État, me demandez-vous, a-t-il un droit de regard et d'intervention ? Mais au nom de quoi, dès lors que les entreprises respectent le droit – civil, commercial, pénal – et que les éventuelles subventions perçues sont conformes au traitement que l'État a choisi de réserver non à une entreprise en particulier, mais à un secteur et à un marché ? Quant aux droits d'émission de CO2, il est absurde que les politiques européens fassent confiance au marché pour donner envie aux industriels de réduire leurs émissions de gaz carbonique.

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