J'aborderai tout d'abord nos actions – plus particulièrement celles pour lesquelles nous requérons votre soutien – puis les défis auxquels nous sommes confrontés et les solutions permettant d'y répondre.
Les parlements nationaux, qui jouent un rôle essentiel dans la définition des politiques européennes, doivent s'assurer que notre politique environnementale est guidée par une vision réaliste, tant l'enjeu environnemental imprègne l'ensemble des sujets dont nous avons à traiter. Les politiques environnementales et la croissance économique doivent aller de pair, la croissance verte étant à long terme le seul moyen de surmonter la crise sur le continent. Je me félicite donc des engagements pris par la France en ce sens, en particulier des résultats obtenus lors de la conférence environnementale de septembre dernier. J'attends également les résultats des travaux du Comité sur la fiscalité environnementale.
Lors de mon arrivée à la Commission européenne, en 2010, je me suis fixé trois priorités : l'utilisation efficace des ressources naturelles, la protection de la biodiversité ainsi que l'application et le respect de la législation environnementale existante. Trois ans plus tard, je reste convaincu de leur bien-fondé et estime que nous avons progressé dans ces trois domaines.
En 2011, nous avons publié la « Feuille de route vers une économie à faible intensité de carbone à l'horizon 2050 », c'est-à-dire efficace dans l'utilisation des ressources, en vue de rendre l'économie européenne aussi compétitive que durable. Nous avons également défini la stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité. La France dispose d'un patrimoine naturel particulièrement riche, qu'il convient de promouvoir et de protéger – ce qui lui procurera aussi des avantages économiques. Nous avons par ailleurs formulé des propositions visant à améliorer les avantages que l'on pourrait tirer des mesures prises par l'Union européenne pour préserver et protéger l'environnement.
En novembre 2012, nous avons adopté un nouveau programme de mesures visant à protéger, conserver et renforcer notre patrimoine écologique, dont dépend notre économie. Nous devons impérativement améliorer notre utilisation des ressources naturelles, tant elles sont limitées. Dans le cadre de ce nouveau programme, nous tenterons également de créer les conditions nécessaires à une croissance économique européenne sobre en carbone. Afin de relever les défis auxquels nous sommes confrontés, nous nous efforcerons d'assurer un meilleur respect de la législation environnementale en vigueur, de mieux informer les citoyens européens, de mieux utiliser les données scientifiques disponibles, de garantir les investissements nécessaires à l'exécution de notre politique environnementale et d'assurer la prise en compte de l'enjeu environnemental dans le cadre des autres politiques. Il importe que le texte définitif de cette proposition de programme soit suffisamment ambitieux.
D'agissant du cas plus particulier des sols cultivables, je suis tout à fait disposé à m'entretenir avec les autorités françaises au sujet de la directive-cadre sur la protection des sols, qui a suscité de nombreuses inquiétudes.
À la fin de l'année dernière, nous avons également défini une stratégie dans le domaine de la politique de l'eau : la directive-cadre prévoit quatre initiatives majeures pour les années 2013 et 2014.
Dans une communication intitulée « Une vie décente pour tous : éradiquer la pauvreté et offrir au monde un avenir durable » et fondée sur les conclusions de la conférence de Rio + 20, nous proposons la définition d'un cadre unique et cohérent permettant d'allier développement durable et lutte contre la pauvreté, ce qui constitue pour nous un succès important.
Nous reverrons également notre politique de l'air – domaine dans lequel la situation doit impérativement évoluer puisque l'on recense le décès prématuré de 400 000 personnes en Europe, et 40 000 en France, du fait de la pollution atmosphérique. Je suis d'ailleurs tout à fait favorable à l'approche d'urgence adoptée par la France sur cette question en février.
Quant aux gaz de schiste, les risques environnementaux qu'ils nous font courir doivent impérativement être identifiés, compris et maîtrisés. Seul un cadre adapté nous permettra de rétablir la confiance du public et de garantir la transparence du secteur privé.
Enfin, nous préparons un paquet global sur les déchets, qui devrait être finalisé l'an prochain. Au cours des prochains mois, nous proposerons d'autres initiatives, comme le Livre vert sur les déchets plastiques et des propositions de réduction de l'usage des sacs plastique à usage unique et de contrôle renforcé des cargaisons de déchets. Nous souhaitons également renforcer les inspections environnementales et la surveillance dans ce domaine.
Notre feuille de route pour une Europe efficace dans l'utilisation des ressources vise également à améliorer notre chaîne alimentaire, le secteur du bâtiment et la sylviculture. Il convient en outre de protéger la biodiversité de l'Union européenne face aux espèces invasives, de renforcer les infrastructures vertes et de définir, dans le domaine des produits chimiques, des critères d'identification des perturbateurs endocriniens.
En mars, sous la présidence irlandaise, nous avons eu un échange très intéressant à propos du recyclage des navires. Je me félicite aussi que la mise en oeuvre du protocole de Nagoya sur l'utilisation des ressources génétiques, qui fait l'objet de discussions entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil. Ces deux sujets ont donné lieu à des rapports d'information de Mme Danielle Auroi et de M. Arnaud Leroy.
Nous suivons en outre de très près le cadre financier pluriannuel, dont dépend le financement de nos politiques.
De manière très encourageante, la réforme de la politique de la pêche en cours a été récemment approuvée par le Parlement européen, conformément aux souhaits de la Commission de mieux cibler les fonds de l'Union européenne et de garantir une pêche durable.
En revanche, les réflexions menées sur la politique agricole commune demeurent largement en deçà de la réforme proposée par la Commission européenne, fondée sur trois objectifs : garantir aux citoyens européens une alimentation saine et de qualité, préserver l'environnement et développer les zones rurales. Nous visons en effet depuis vingt ans à réconcilier l'agriculture et la protection de l'environnement – notre seule option possible étant, pour conserver des terres productives à long terme, de protéger notre écosystème et sa biodiversité et de disposer d'eau saine en abondance. Les réformes que nous proposons visent à préserver les campagnes et notre environnement et donc à nous permettre de continuer d'exploiter nos terres à l'avenir. Comme nous l'avons rappelé lors du Conseil des ministres de l'agriculture, tous nos efforts visent à éviter l'« écoblanchiment », qui serait fort nuisible non seulement à l'environnement mais aussi à notre agriculture.
Si nos résultats ne sont pas à la hauteur des débats que nous avons eus en 2010-2011 afin d'allouer les fonds publics aux biens publics, les citoyens européens considéreront notre politique comme un échec ; ce sera une mauvaise nouvelle pour l'agriculture. Si nous nous montrons incapables d'atteindre des résultats en matière environnementale via l'intégration et la coopération, la seule alternative possible consistera à définir une réglementation en ce domaine, qui ne sera guère utile si elle n'est pas appliquée et qui, de surcroît, perturbera le fonctionnement du marché : le non-respect de la législation en vigueur coûte environ 50 milliards d'euros par an. Les législateurs nationaux ont donc un rôle majeur à jouer. Ils doivent notamment faire en sorte que les textes européens soient transposés en temps et en heure, concevoir les règles d'application nationale les plus adaptées à leur législation interne et assurer un suivi de l'application de ces règles.
La période difficile que nous traversons n'est guère propice à une planification de long terme dans le domaine environnemental. Toutefois, le monde étant devenu un village planétaire, nous sommes plus que jamais interdépendants. Il nous faut donc unir nos forces pour affronter les défis globaux que sont le changement climatique, la protection de la biodiversité, la disparition des ressources, la protection de l'eau, de la terre et des océans, la lutte contre les pandémies et la pauvreté et la sécurité internationale.
En juillet 2012, le magazine Nature publiait un article dont l'auteur expliquait que l'évolution de nos conditions climatiques résultait directement des activités humaines, au premier chef de l'accroissement démographique mondial et de l'augmentation du niveau de consommation par habitant. La population mondiale devrait attendre 9 milliards d'habitants en 2045. D'ici à 2030, on comptera probablement 3 milliards de consommateurs supplémentaires appartenant aux classes moyennes des pays à forte croissance comme la Chine, l'Inde et le Brésil. Nous utiliserons donc trois fois plus de ressources naturelles qu'actuellement d'ici à 2050. Quant à la demande alimentaire, elle augmentera de 70 % environ. Si nous ne parvenons pas à prendre conscience que l'espèce humaine exerce pour la première fois un impact négatif sur l'équilibre de notre planète, la dette écologique sera beaucoup plus lourde à rembourser que la dette financière actuelle. Aujourd'hui déjà, 60 % des écosystèmes qui renferment ces ressources sont dégradés, qu'il s'agisse des poissons, de l'eau, de la biodiversité ou de nos conditions climatiques. Si nous ne parvenons pas à gagner en efficacité dans l'usage des ressources d'ici à 2030, nous manquerons de 40 % d'eau potable sur la planète. Nous devons donc impérativement évoluer vers un modèle de croissance efficace et peu consommateur de ressources. Il en va non seulement de la croissance verte mais de la croissance en général.
Il est inexact d'affirmer que l'environnement est facteur de désindustrialisation en Europe : la dématérialisation de l'industrie est au contraire indispensable au maintien de l'industrie sur le continent. Les économies européennes reposent sur des décennies de croissance axée sur l'utilisation des ressources. Nous en enterrons trois tonnes par personne et par an. Or le prix des ressources et de l'énergie continuera d'augmenter en Europe, finissant par dépasser les cours américain et chinois. Ainsi, 43 % des coûts de l'industrie allemande proviennent de l'exploitation des ressources et 18 % seulement de la main-d'oeuvre. C'est pourquoi les entreprises concentrent leurs efforts d'investissement sur leur capacité d'innovation et non sont de plus en plus volatiles. En Europe, nous importons la moitié des ressources que nous exploitons et six fois plus de matières premières que nous n'en exportons. L'usage efficace de la ressource ne relève donc pas uniquement d'une dimension environnementale mais constitue également un enjeu fondamental pour la compétitivité européenne : si nous ne basculons pas vers une production plus économe en ressources et une économie plus circulaire, nos prix seront structurellement moins compétitifs que ceux de nos concurrents. Le cas japonais illustre à cet égard les difficultés auxquelles sont confrontées les économies d'États fortement peuplés et tributaires de leurs importations, notamment lorsque les cours des matières premières augmentent.
En matière environnementale, deux options s'offrent à nous. La première consiste à laisser à chaque secteur – les transports, l'industrie ou la pêche – la possibilité de maximiser ses intérêts. Mais il nous faut ensuite légiférer pour réparer les conséquences des choix opérés par ces secteurs, en termes de pollution de l'eau ou de l'air. Les acteurs industriels ayant déjà réalisé leurs investissements, on s'enferme alors dans un conflit sans fin entre l'industrie et la protection de l'environnement, que la première tend alors à considérer comme un obstacle au développement économique. La seconde option consiste au contraire à intégrer l'objectif de protection de l'environnement dans la définition de l'ensemble des politiques, qu'il s'agisse du transport, de l'énergie, de l'agriculture, de la pêche, du développement, du commerce ou de la recherche. Mieux vaut prévenir que guérir car guérir est beaucoup plus onéreux que prévenir.
Pour conclure, je dirai que nous devons nous concentrer sur les avantages compétitifs dont l'Europe dispose, comme l'innovation et la recherche et développement, l'éducation ou la culture. Il nous faut également améliorer la productivité des ressources et créer des économies vraiment circulaires – c'est possible, si nous acceptons d'apprendre de la nature, modèle d'économie circulaire, où rien ne se perd et qui repose sur des millions d'années d'expérience.
Nous devons d'autant plus conjuguer nos efforts pour acquérir une vision stratégique de l'économie que, selon de nombreuses estimations, aucun des pays européens ne fera partie des grandes économies mondiales à l'horizon de 2050. C'est pourquoi il nous faut repenser notre modèle de développement en passant d'une logique court-termiste à une logique fondée sur le long terme. Que ce soit sur les plans politique ou économique, personne n'est réélu ou récompensé pour avoir anticipé ses résultats sur cinq ou dix ans : l'homme politique ou l'entrepreneur sont jugés sur les résultats de l'année passée, voire de l'année en cours. Mieux vaut intégrer le long terme dans nos processus de décision, notamment en matière de gestion des ressources naturelles, et, pour ce faire, dépasser le cadre du PIB annuel. Nous ne pourrons pas gérer les défis du XXIe siècle, que j'ai évoqués devant vous, en utilisant une logique court-termiste. Si nous ne tenons pas compte, en amont, des conséquences à long terme de nos décisions, nous provoquerons notre autodestruction. Demeurant des êtres humains dotés d'intelligence, nous pouvons et devons faire mieux.