Intervention de Antoine Math

Réunion du 21 février 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Antoine Math, membre du Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l'égalité des droits, CATRED :

Le CATRED défend l'égalité des droits entre ressortissants français et étrangers et organise des permanences juridiques, en particulier sur les droits sociaux, pour des femmes et des hommes dont une forte proportion est immigrée et âgée. J'interviens en concertation avec d'autres associations, notamment celles du Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s ».

Je centrerai mon intervention sur la question de la condition de résidence sur le territoire français. En théorie, pour l'accès à la plupart des prestations sociales, la condition de résidence s'impose à tous, Français comme étrangers, mais, en réalité, les problèmes se posent particulièrement pour les personnes immigrées, qu'elles fassent des allers et retours entre la France et leur pays d'origine ou qu'elles souhaitent y séjourner pour de longues périodes.

La question renvoie à la liberté d'aller et venir, qui a valeur constitutionnelle et est d'autant plus fondamentale pour ces personnes que, de par leur histoire professionnelle et personnelle et de par leur situation familiale, elles ont partagé leur vie entre deux pays. Or, cette liberté peut ne pas être effective si la personne est pénalisée lorsqu'elle l'exerce. Beaucoup se voient assignés à résidence en France, contraints d'y rester bien plus longtemps qu'ils ne le voudraient, pour ne pas perdre leurs droits sociaux ou la possibilité de recevoir des soins.

À ce propos, j'aborderai trois points. Les deux premiers, assez rapides, porteront sur la carte de séjour portant la mention « retraité » et sur la question de la portabilité des droits sociaux des personnes souhaitant repartir. Le troisième insistera sur la condition de résidence et sur son contrôle par les organismes sociaux.

La carte de séjour portant la mention « retraité » représente un piège puisque, lorsqu'elle échange sa carte de résident contre une carte « retraité », la personne âgée ignore qu'elle perd non seulement la quasi-totalité des droits sociaux, mais aussi d'autres possibilités, comme celles de liquider certains droits à l'assurance vieillesse, d'obtenir un duplicata du permis de conduire ou de demander un regroupement familial ou une naturalisation. La personne perd également le droit de changer d'avis et de récupérer une carte de résident.

Plutôt que la carte de séjour portant la mention « retraité », les pensionnés des régimes français devraient se voir remettre un droit au séjour permanent. Comme l'a préconisé la Cour de cassation, l'éligibilité des prestations devrait uniquement dépendre de la situation concrète de la personne et non de la détention de telle ou telle carte.

S'il était décidé de maintenir cette carte de retraité, il faudrait prévoir explicitement qu'elle ouvre les mêmes droits que la carte de résident et, pour ceux qui auraient décidé à un moment de repartir en disposant de cette carte, de pouvoir changer d'avis, de revenir sans obstacle en France et d'y recouvrer leurs droits.

S'agissant de la portabilité des droits sociaux des personnes souhaitant repartir, je ne reviens pas sur le dispositif de la loi de mars 2007 instituant le droit au logement opposable (DALO) qui a créé, à l'article L. 117-3 du code de l'action sociale et des familles, une « aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leur pays d'origine », prestation exportable pour faciliter le retour d'immigrés âgés, qui n'a jamais vu le jour.

Si l'idée de départ était bonne, le dispositif, mal conçu, est peu défendable en l'état car trop limité, ciblé et discriminatoire. Je veux souligner la légèreté et l'hypocrisie dont le Gouvernement de l'époque et les représentants de l'administration ont fait preuve dans cette affaire en invoquant des difficultés juridiques et en parlant de discrimination ou d'incompatibilité avec le droit communautaire. Il ne s'agissait que d'un alibi commode puisque, quelques mois seulement avant le vote de la loi DALO, il existait encore, et depuis cinquante ans, une petite prestation exportable. Un retraité pauvre, quel que soit son lieu de résidence, ne pouvait pas recevoir une retraite du régime général inférieure à quelque 280 euros par mois, en vertu de la majoration prévue à l'article L. 814-2 du code de la sécurité sociale qui rendait exportable, en pratique, une petite partie du « minimum vieillesse ». Cette majoration devait certes disparaître au 1er janvier 2007, à la suite de l'entrée en vigueur de l'ordonnance de 2004 simplifiant le minimum vieillesse et créant l'ASPA, mais cette ordonnance avait prévu, à l'article L. 815-30 du code de la sécurité sociale, une prestation de remplacement appelée « complément de retraite » pour les pensionnés non résidents. Or, le législateur l'a supprimée en 2006 par voie d'amendement avant même son entrée en application, ce qui a rendu la décision de repartir au pays encore plus coûteuse qu'auparavant. Pourquoi ne pas revenir à la situation antérieure en réintroduisant ce « complément de retraite » ?

Mon troisième et dernier point porte sur la condition de résidence et son contrôle par les organismes sociaux. Vous n'ignorez rien des graves problèmes qui sont intervenus à partir de 2008-2009 : je vous renvoie aux actes d'un séminaire de réflexion que le CATRED a récemment organisé sur le thème « Suppression des droits des sociaux des immigré-e-s âgé-e-s. Contrôle de la résidence et harcèlement par les caisses de sécurité sociale ».

Cette question conjugue les trois causes qui rendent difficile l'accès aux droits et que Mme Naïma Charaï, présidente du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé) a rappelées lors de son audition : les textes inadaptés ou restrictifs ; les pratiques administratives, l'interprétation et la mise en oeuvre des textes ; enfin, les difficultés inhérentes à la complexité des règles et au manque d'information.

Avant d'aborder la question des textes, je voudrais revenir sur les pratiques administratives qui posent actuellement les plus graves problèmes, en notant tout d'abord que les responsables d'administrations que vous avez auditionnés ont passé sous silence ou nié les pratiques contestables de leurs organismes, alors même qu'elles ont été soulignées par le Défenseur des droits. Comme lui, nous dénonçons les pratiques illégales, déloyales ou peu respectueuses des personnes. Elles sont contestables sur le plan de l'interprétation de la condition de résidence comme sur celui des modalités de contrôle et de suspension des prestations ou des méthodes de recouvrement des indus.

Les associations ont accumulé, sur ces pratiques, de nombreux témoignages et établi de nombreux constats, mais, pour ne pas paraître porter des accusations gratuites, je me contenterai d'en donner deux illustrations, attestées par des écrits des organismes eux-mêmes. Lors de la dernière audition, vous avez noté qu'une des méthodes du service de l'ASPA (SASPA) de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) consiste à envoyer un courrier simple à un bénéficiaire et, si ce dernier ne renvoie pas le questionnaire dans le délai d'un mois, à suspendre automatiquement le versement de l'ASPA. Les caisses d'allocations familiales (CAF) recourent également à des méthodes douteuses, comme l'atteste une note interne que nous nous sommes procurée : après le passage d'un contrôleur dans un foyer, précédé d'un courrier envoyé quatre jours auparavant, la note préconise à ses services – immédiatement après le contrôle – de « suspendre le versement de toutes les prestations » « à titre préventif » pour « les allocataires non rencontrés », « le risque de suspension infondée » étant jugé faible.

D'une manière générale, les décisions de suspensions sont exécutées sans notification et sans respect du principe du contradictoire, qui laisse la possibilité à la personne de s'expliquer, deux obligations pourtant contenues dans la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

C'est pourquoi les associations demandent, dans l'attente des résultats de cette mission d'information, un moratoire sur les contrôles et une annulation des dettes des personnes âgées qui ont été piégées, ce qui reviendrait finalement à étendre à tous ce qui a été obtenu par certains à la suite de mobilisations locales ou de contentieux.

Elles demandent également des pratiques respectueuses du droit et de la dignité des personnes, un réel respect de l'obligation d'information des caisses – l'information devant être accessible et non pas purement formelle – et des règles relatives au remboursement des indus, ainsi qu'une réelle amélioration des relations entre les usagers et les caisses. Ces relations se sont en effet beaucoup dégradées pour l'ensemble des personnes précaires du pays, un trop grand nombre de caisses, qui tendent à se « bunkériser », étant devenues injoignables. Cette amélioration des relations doit également passer par la possibilité, pour les caisses, d'avoir des relations avec les associations.

Il convient enfin d'adapter le droit lui-même. La question de la portabilité des prestations doit être réexaminée, en particulier pour les personnes qui ont, sur la base de situations objectives, une forte légitimité à résider « ici et là-bas », parce qu'elles ont travaillé et cotisé « ici » et ont conservé des attaches « là-bas ». La condition devrait être au moins assouplie pour tous les pensionnés ayant travaillé et cotisé durant de longues années en France.

Aujourd'hui, les retraites contributives sont déjà exportables. D'autres prestations le sont dans le cadre de la coordination européenne des systèmes de sécurité sociale ou dans celui de certaines conventions bilatérales : rentes d'accidents du travail, pensions d'invalidité, certaines prestations d'assurance maladie. Mais il faut avouer que c'est un peu la loterie, puisque cette possibilité dépend de la nationalité. C'est pourquoi il conviendrait de l'étendre unilatéralement à toutes les nationalités sans se réfugier derrière d'hypothétiques nouvelles conventions bilatérales avec des pays qui ne prêtent que peu d'intérêt à leurs ressortissants émigrés. L'époque où il revenait aux seuls pays d'origine de défendre l'intérêt de leurs ressortissants est révolue. L'existence même de votre mission en est d'ailleurs une illustration.

En ce qui concerne les prestations pour lesquelles la condition de résidence est maintenue, il conviendrait de la simplifier et de l'harmoniser tout en prévoyant plus de souplesse et des exceptions, par exemple en cas de problème de santé ou d'accident du pensionné ou d'un de ses proches lors de son séjour au pays, surtout lorsque les personnes sont très âgées.

Il pourrait être également envisagé de limiter l'exigence de la condition de résidence à l'ouverture des droits, notamment en matière d'assurance maladie et a fortiori pour les soins reçus en France. Une fois ouverts, certains droits resteraient attachés à la personne retraitée.

Si la condition de résidence est maintenue en l'état, il faudrait à tout le moins que les pensionnés de régimes français revenant en France puissent recouvrer leurs droits sociaux, sans qu'aucun obstacle ne leur soit opposable.

En matière de contrôle, il faudrait rappeler et clarifier les pratiques auxquelles les caisses ont le droit de recourir ou non, ainsi que leurs obligations, notamment en matière de notification, de motivation des décisions ou de délais.

L'obligation de loyauté des caisses vis-à-vis des assurés, qui figure dans la loi, devrait être renforcée.

Il conviendrait par ailleurs de rendre effective l'interdiction de critères discriminatoires dans le ciblage des contrôles. Les caisses devraient rendre publics les critères utilisés, qu'il s'agisse des méthodes statistiques de type « data mining » ou d'autres méthodes. D'une manière générale, les caisses devraient rendre des comptes plus transparents, qui ne porteraient pas seulement sur le nombre de contrôles effectués ou sur celui des indus ou des fraudes détectés.

Les décisions de coupure des droits devraient également être suspendues dès leur contestation par les intéressés, les personnes âgées vivant dans des conditions précaires ne pouvant se permettre d'attendre deux ou trois ans la décision du juge. Il en va de l'effectivité du droit au recours.

Enfin, il serait nécessaire de clarifier et d'harmoniser les règles de remboursement des indus et les règles sur le « reste à vivre », qui sont complexes et varient non seulement en fonction des prestations, mais également selon le bon vouloir de la caisse ou la motivation qu'elle a fournie.

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