Intervention de Christophe Daadouch

Réunion du 21 février 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Christophe Daadouch, membre du GISTI :

Je vous remercie de nous avoir invités ainsi que de la bienveillance des débats que j'ai pu écouter depuis le début de la Mission. C'est d'autant plus important que, pour bien vieillir, il faut vivre dans la bienveillance. C'est un des enjeux de cette mission d'information.

J'ai été étonné des propos tenus devant vous par les représentants de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et de la CDC sur la condition d'antériorité de résidence de dix ans sur le territoire français pour bénéficier de l'ASPA. La CNAV a en effet expliqué que, en l'absence de circulaire, la loi ne s'appliquait pas, tandis que la CDC a précisé qu'en un an, 10 % des étrangers avaient été rayés des listes, soit de 700 à 800 personnes, en raison de l'application de cette même loi. Il est tout de même surprenant que, devant l'Assemblée nationale, deux organismes aient une interprétation différente d'une même loi. C'est pourquoi, s'agissant de l'ASPA, nous proposons le retour à la situation antérieure à 2006 : à l'époque, la seule condition pour pouvoir en bénéficier était, à l'instar des règles applicables aux autres droits sociaux – AAH ou prestations familiales –, la régularité du séjour en France. Il est paradoxal que la prestation sociale pour laquelle l'exigence d'antériorité est la plus longue concerne les personnes les plus âgées et les plus vulnérables – le revenu de solidarité active (RSA) a une condition d'antériorité de cinq ans seulement. Cela révèle, en filigrane, une suspicion à l'encontre des personnes âgées. Lors du débat à l'Assemblée nationale, d'aucuns ont déclaré qu'il s'agissait d'éviter le développement d'un tourisme ayant pour objectif d'obtenir cette allocation par opportunisme, comme si des personnes âgées étrangères pouvaient subitement décider de venir en France pour toucher l'ASPA. C'est oublier qu'il n'existe pas de droit acquis à l'obtention d'un visa, les refus n'ayant pas à être motivés. De plus, si le visa est accordé, il n'existe pas non plus de droit à la carte de séjour. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 repose sur un fondement idéologique erroné : l'éventualité que des fraudeurs viennent massivement bénéficier du dispositif. Les étrangers sont jugés responsables de la montée en puissance de cette allocation, qui n'est due qu'à sa revalorisation.

De plus, la loi est contestable sur le plan administratif. En effet, en raison de la condition d'antériorité de dix ans, le titre de séjour ne permet plus à lui seul d'en bénéficier : les immigrés retraités doivent apporter la preuve qu'ils avaient l'autorisation de travailler. Les personnes âgées, qui ont déjà dormi dehors pour renouveler leur carte de séjour, doivent retourner en préfecture pour obtenir une attestation établissant qu'ils ont disposé durant plus de dix ans d'un titre les autorisant à travailler. Cette seconde attestation répond-elle à la logique de la simplification administrative ? Pourquoi cette mention ne figurerait-elle pas sur leur carte de séjour ? Une circulaire administrative aurait pu prévoir la délivrance d'un tel sésame, à savoir un document attestant que ces immigrés sont en France depuis plus de dix ans avec l'autorisation de travailler. C'est pourquoi ils ne cessent pas de faire la navette entre les caisses de prestations sociales et la préfecture.

Enfin, l'antériorité de dix ans est contestable sur le plan juridique. Certes, le Conseil constitutionnel n'a pas été saisi sur l'ASPA, mais il l'a été sur le RSA : il a alors jugé que, comme ce droit est lié à l'insertion professionnelle, prévoir une condition d'antériorité de cinq ans sur le sol français pour s'insérer est fondé. Mais l'ASPA, elle, n'est pas liée à l'insertion professionnelle. Faudra-t-il attendre une question prioritaire de constitutionnalité pour abroger cette discrimination légale ? Cette disposition est également contraire aux conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) qui posent le principe de l'égalité de traitement entre Français et étrangers réguliers. Il est inutile enfin de revenir sur le caractère discriminatoire de cette antériorité : vous avez entendu le Défenseur des droits sur le sujet.

Cette loi idéologiquement, administrativement et juridiquement infondée doit être abrogée.

Je tiens à souligner également qu'il est nécessaire de garantir la formation des professionnels qui ont pour mission d'informer les migrants, qui ne vivent pas en foyer, sur leurs droits et de les accompagner.

Il faudra également que votre mission aborde la réforme des tutelles de 2007 : les allers et retours des travailleurs âgés sous curatelle ou curatelle renforcée et qui ont leur curateur en France posent des problèmes spécifiques.

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