Intervention de Boualam Azahoum

Réunion du 21 février 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Boualam Azahoum, membre du Collectif « Justice et dignité pour les chibani-a-s » :

Je ne rentrerai pas dans des considérations juridiques : nous vous ferons parvenir un document qui en traite.

Cette mission était une nécessité. Elle répond du reste à une demande que nous avions formulée dès 2006, lorsque nous avons lancé notre premier appel, mais à l'époque nos militants étaient condamnés, comme les chibanis, à l'anonymat et à l'invisibilité. Nous nous sommes un jour rendu compte que, non loin de chez nous, dans la région lyonnaise, en Île-de-France ou à Marseille, des immigrés, qui avaient fait toute leur carrière en France et qui paraissaient n'avoir jamais eu de jeunesse, continuaient de vivre dans des foyers de travailleurs. Nous pensions qu'ils vivaient dans le mythe du retour alors qu'ils aspiraient à l'aller-retour. Les carrières de ces travailleurs étaient pour la plupart morcelées. Ils avaient souvent travaillé dans des secteurs concernés par la fraude – l'agriculture ou le bâtiment : lorsqu'ils avaient voulu liquider leur retraite, ils s'étaient aperçus qu'ils possédaient l'équivalent de dix ans de fiches de paie inutilisables, falsifiées par les employeurs. Ils n'avaient pas été déclarés et, en raison de la prescription, il leur était impossible d'engager des poursuites, si bien qu'ils se sont retrouvés avec des retraites très faibles, sans même pouvoir bénéficier, au début, du minimum vieillesse, car ils étaient étrangers. Heureusement, il existe aujourd'hui l'ASPA.

Beaucoup d'entre eux avaient une espérance de vie très faible et vivaient loin de leur famille, n'ayant pas pu ou voulu les faire venir. Ils se sont retrouvés seuls dans les foyers pour migrants, vivant parfois à trois dans quinze mètres carrés – la situation s'est améliorée. Je tiens à souligner l'extrême dignité de ces vieux travailleurs, qui ont toujours cherché à faire valoir leurs droits à leur manière, face à une administration tatillonne. Il faut savoir également que leur pays d'origine, notamment le Maroc, la Tunisie ou l'Algérie, se désintéressent d'eux et n'appliquent même pas les conventions bilatérales. Rien n'est prévu pour eux là-bas.

Je tiens aussi à évoquer le cas des femmes, qui sont encore plus discriminées, du fait notamment de carrières professionnelles chaotiques. Nous ne savons pas comment elles vivent, surtout les veuves qui n'ont jamais travaillé ou ont travaillé sans être déclarées, comme c'était souvent le cas dans l'agriculture ou l'artisanat. Les anciens combattants de la seconde guerre mondiale se sont, eux aussi, trop souvent retrouvés abandonnés. La CDC, qui établit à leur encontre des dossiers à charge, n'hésite pas à leur demander des pièces en grand nombre. Quand ils ne peuvent pas se rendre aux rendez-vous, les certificats médicaux qu'ils produisent sont insuffisants aux yeux de l'administration. Ils sont présumés fraudeurs.

Comme cette population était peu organisée et précaire, on l'a offerte en pâture à l'opinion publique. Elle a servi de bouc émissaire : en période de crise, ne s'agit-il pas de faire des économies ? Des départements pilotes ont même été désignés dans la lutte contre la fraude. Toutefois, il faut reconnaître que les agents de l'administration sont souvent gênés, sur les plans humain et éthique, de devoir se conformer aux pratiques que les circulaires leur imposent. Ces pratiques sont-elles efficaces, au moins ? L'ampleur de la fraude a été souvent exagérée dans le seul dessein de justifier ces contrôles – des études commencent à le montrer, mais personne ne connaît les chiffres exacts de la fraude. Cette mission devrait permettre d'appréhender la question avec plus de sérieux. Il faut cesser de harceler les immigrés âgés.

Le statu quo étant inacceptable, les associations souhaitent que la Mission émette le voeu que, durant ses travaux, l'administration procède à un moratoire des contrôles et des demandes de remboursement des indus, et reprenne le versement des prestations suspendues. Certaines administrations font déjà preuve d'une plus grande mansuétude.

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