Intervention de Claudine Attias-Donfut

Réunion du 21 février 2013 à 9h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Claudine Attias-Donfut, chercheuse associée au Centre Edgar-Morin, directrice de recherche honoraire à la Caisse nationale d'assurance vieillesse, CNAV :

Notre grande enquête sur le vieillissement des immigrés l'a montré, la retraite est un facteur d'intégration. En dépit de la modicité des pensions qu'ils perçoivent, le passage à la retraite confère à des travailleurs qui ont connu la précarité et le chômage un sentiment de stabilité et, sur le plan symbolique, d'appartenance. C'est ainsi que plus de 80 % des personnes interrogées considèrent avoir accédé à une meilleure réussite sociale que leurs parents restés au pays, d'autant plus si elles sont d'origine modeste ou viennent d'un pays où la retraite n'existe pas ou est embryonnaire.

Toutefois, cet effet identitaire s'observe moins chez les femmes âgées n'ayant pas été intégrées au monde du travail, surtout pour celles originaires d'Afrique du Nord et de Turquie. En outre, le sentiment d'intégration est moins marqué chez les personnes arrivées tardivement en France – l'enracinement concerne les immigrés arrivés plus jeunes et ayant fondé une famille, mené une carrière, bénéficié d'une retraite, etc. Pour les immigrés arrivés plus tardivement – des parents venus s'occuper de leurs petits-enfants, des enfants venus s'occuper de leurs parents –, la création de liens en dehors de la famille est difficile. S'ils vivent chez leurs enfants, qui, le plus souvent, ont une vie professionnelle, leur seul univers est la maison, et ils se retrouvent très seuls. Ceux qui sont originaires de pays dont les émigrés sont peu nombreux, comme l'Iran ou le Sri Lanka, ne sont même pas pris en compte par les enquêtes. Il me semble essentiel de créer des lieux de rencontre à l'intention de ces laissés-pour-compte.

La migration a un impact très fort sur les rapports intergénérationnels. En la matière, deux thèses s'opposent. Selon la première, il existe un fossé entre générations en raison de la différence d'acculturation à la société moderne : les jeunes deviennent plus individualistes, adhèrent à la modernité, s'écartent des normes traditionnelles auxquelles les parents sont toujours attachés, ce qui entraîne des conflits entre générations. Selon la seconde thèse, les familles immigrées sont plus solidaires que les autres du fait de valeurs familiales plus fortes – respect de la tradition, piété filiale – et du besoin accru de trouver refuge et protection dans la famille face à un environnement parfois hostile. Aucune de ces deux thèses n'a été vérifiée par les enquêtes empiriques : les conflits entre générations et la solidarité familiale ne concernent pas plus les familles d'immigrés que les autres.

Cependant, ces familles se transforment. Lorsqu'elles sont devenues transnationales, certains de leurs membres demeurant au pays, d'autres étant accueillis en France, elles sont souvent confrontées à des difficultés de regroupement familial. La famille élargie, qui existe dans la plupart des pays tiers à l'Union européenne, avec frères, soeurs, tantes, cousins, se transforme en famille restreinte, limitée aux seuls parents et enfants. De ce fait, les personnes qui avaient l'habitude de partager des responsabilités familiales et l'éducation des enfants avec la famille élargie, parfois même avec tout le village, peuvent éprouver d'importantes difficultés, voire un grand sentiment de solitude, en particulier lorsqu'elles doivent faire face à des coups durs. Cette situation explique la fréquence des allers et retours, tout comme les nombreuses communications à distance, facilitées par les nouvelles technologies, entre le pays d'origine et la France. Ainsi, les immigrés forment un pont culturel entre le pays d'origine et le pays d'accueil.

Dans la mesure où le projet migratoire vise à trouver de meilleures conditions de vie pour soi-même, mais aussi pour les générations suivantes, l'enfant occupe une position centrale dans les familles immigrées. Encouragés à poursuivre des études, la majorité des enfants d'immigrés connaissent une meilleure réussite sociale que leurs parents – davantage en France qu'en Belgique. Toutefois, comparés à l'ensemble des enfants de leur classe d'âge et en tenant compte de l'ensemble de la population du pays d'origine, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, ces enfants réussissent moins bien, les immigrés comportant une forte proportion d'ouvriers peu qualifiés. Il s'agit donc principalement de la détermination par le milieu social qui existe pour n'importe quel groupe d'immigrés comme pour la population française en général. De la même manière, les personnes originaires d'un même pays sont hiérarchisées, celles issues d'un milieu plus élevé réussissant mieux que celles qui viennent d'un milieu plus modeste.

La solidarité chez les immigrés prend la forme, comme pour la population générale, de transferts financiers au sein des générations qui sont un effet direct de la protection sociale et du bénéfice des retraites. Chez les immigrés, la solidarité se manifeste de plusieurs façons. D'abord, par des envois d'argent à la famille restée au pays, surtout aux vieux parents, qui les ont parfois aidés à partir et dont le niveau de vie est généralement très bas. Pour des immigrés dont les revenus sont généralement peu élevés, cela limite d'autant la possibilité d'aider les enfants présents en France à faire des études ou à démarrer dans la vie. Pourtant ces aides sont un facteur de réussite des études.

Ensuite, les enfants d'immigrés aident beaucoup leurs parents et interviennent même plus jeunes que les enfants du pays d'origine. Éduqués à l'école française, mieux à même de maîtriser la langue et de décoder la société, ils se posent comme médiateurs entre la famille et celle-ci. Après avoir été aidés par leurs parents, ils leur apportent à leur tour une aide tant sur le plan matériel que pour les démarches administratives et les soins.

Les immigrés gardent souvent des liens importants avec leur pays d'origine. Ce double attachement a été très bien étudié à l'aune des notions d'identité et de citoyenneté. Des attachements pluriels sont possibles. Néanmoins, les immigrés transmettent rarement, sinon jamais, à leurs enfants leur propre attachement à leur pays d'origine, et encore moins leur sentiment d'appartenance, si bien que ces derniers ont souvent un rapport distancié au pays d'origine et se sentent surtout appartenir au pays dans lequel ils vivent. Ainsi, les enfants de la deuxième génération nés en Grande-Bretagne, pays qui a choisi le multiculturalisme, ou nés en France, qui prône l'intégration par l'assimilation, et même nés en Afrique du Sud, où les immigrés subissent de fortes discriminations, aspirent très fortement à être Anglais, Français, Sud-Africains, c'est-à-dire au fond à être comme les autres. Leur rapport au pays d'origine est différent de celui de leurs parents : d'ailleurs, quand ils s'y rendent quelques jours, ils y sont considérés comme des étrangers. Cette tension dans le sentiment d'appartenance au pays de naissance et au pays d'origine conduit souvent ces jeunes à exprimer un goût pour le travail à l'international ou pour l'aide au développement ou à se définir comme « citoyens du monde ».

Les cultes sont pratiqués différemment selon les religions. Il y a beaucoup plus d'observance parmi les musulmans. On note chez les enfants d'immigrés soit une surenchère lorsqu'ils sont à la recherche d'une identité religieuse, soit un détachement – il n'y a pas de reproduction des parents aux enfants.

Quant aux préférences pour le lieu de sépulture, elles diffèrent selon le pays d'origine et la religion. Quand ils sont originaires d'Europe, les immigrés optent en majorité pour l'enterrement en France – les Espagnols à 66 %, les Italiens à 76 % –, à l'exception des Portugais (31 % optent pour la sépulture en France, contre 34 % pour une inhumation au pays) et des Turcs (68 % optent pour une sépulture au pays). Les Asiatiques souhaitent également être inhumés en France à 62 % – 12% seulement souhaitent être enterrés dans leur pays. À l'inverse, les personnes venues d'Afrique sont plus nombreuses à vouloir être inhumées dans leur pays d'origine : 58,5 % pour celles originaires du Maghreb (au lieu de 23 % qui optent pour une inhumation en France), 44,5 % pour celles d'Afrique subsaharienne. En revanche, les immigrés dont les parents sont inhumés en France, y compris lorsqu'ils sont originaires du Maghreb et d'Afrique subsaharienne, choisissent leur sépulture en France. Ainsi la continuité générationnelle se traduit soit par la fidélité au pays d'origine, soit par la création d'une continuité en France.

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