Comparer les politiques d'intégration est un exercice très difficile. Nous l'avons surtout fait entre la France et l'Angleterre, même si leur modèle d'intégration est distinct, l'Afrique du Sud étant un pays dont le point fort n'est pas le respect des droits des immigrés. La France est considérée comme un modèle d'intégration par mes collègues enquêteurs anglais, pour qui le multiculturalisme de leur pays a trouvé ses limites, car plusieurs générations d'immigrés n'y parlent pas l'anglais, qui est pourtant l'une des langues les plus parlées au monde. Les études comparatives entre ces deux pays montrent que, le sentiment d'appartenance est plus fort en France – j'y vois une réussite de notre politique d'assimilation, en dépit de ses insuffisances – et que très peu d'immigrés retraités souhaitent revenir dans leur pays d'origine. Il faut reconnaître aussi que le climat français est plus attractif que le brouillard anglais. Le multiculturalisme, qui existe aussi en Belgique, peut certes faciliter l'accès à des services, mais les personnes concernées se trouvent souvent à part dans la société, alors même qu'elles aspirent à en faire partie.
En définitive, la politique d'intégration française ne me semble pas si mauvaise que cela, même si elle nécessite des améliorations en matière d'accès aux services et d'aide des associations. En fait, il n'y a aucun pays où les choses se passent bien : en Allemagne, par exemple, les populations turques connaissent de grandes difficultés d'intégration.
L'acquisition de la nationalité favorise fortement le sentiment d'appartenance. La stratification civique, qui permet de différencier les individus selon leur degré d'appartenance à la citoyenneté, recoupe la stratification sociale qui constitue une autre forme de hiérarchie sociale. En facilitant l'intégration, la citoyenneté est symboliquement très importante : elle facilite les démarches, l'accession à la propriété, etc.
La migration peut parfois profiter davantage aux femmes qu'aux hommes. Après un divorce, un grand nombre d'entre elles refuse de retourner au pays, car elles risquent d'y être cantonnées dans le rôle traditionnel des femmes – s'occuper des autres, servir tout le monde… Elles sont donc plus attachées à la France, les hommes l'étant davantage au pays d'origine. Ainsi, l'immigration est une forme d'empowerment des femmes, et c'est ce qui peut expliquer l'évolution du militantisme. Comme le montre une récente thèse sur les femmes immigrées marocaines en Belgique et en France, des femmes qui se retrouvent seules après avoir été abandonnées par leur conjoint, mais qui ont pu se reconstruire grâce notamment aux services sociaux, se considèrent plus libres et plus heureuses qu'avant.