Il y a la réalité globale du vieillissement, et la réalité particulière, urgente, du vieillissement dans les foyers : je considère qu'à partir de soixante ans, il ne devrait plus être possible de résider en foyer. Il faut que toutes ces personnes puissent s'insérer dans l'habitat ordinaire. Je ne veux pas m'aventurer sur le terrain des prestations sociales, car je sais que vous allez entendre des gens plus compétents que moi, mais les deux questions sont liées.
La vieillesse en foyer, c'est une vieillesse marginale, confisquée ! Ces personnes habitent en ville, mais ne vivent pas la ville. Ils sont dans une sorte de no man's land qui n'a longtemps fait l'objet d'aucune attention, même si cela est en train de changer. Les foyers de travailleurs migrants construits en France sont d'ailleurs uniques à l'échelle européenne.
Il faut donc de la volonté politique : ceux qui ne travaillent plus n'ont rien à faire dans ces foyers. Ils doivent pouvoir accéder à un logement normal, même si cela implique de recourir à une mesure de discrimination positive. Ils ont le droit d'avoir une vie de famille.
Les allers retours avec le pays d'origine montrent que quelque chose chez eux a été profondément déstabilisé : ils ne sont finalement ni d'ici, ni d'ailleurs. Je dis parfois qu'ils ont réinventé une nouvelle territorialité. Et, à force d'avoir vécu dans ces foyers, ils ne savent plus s'en détacher.
Il faut donc réfléchir non seulement aux moyens qui leur permettraient de se regrouper, mais aussi à la façon dont leurs épouses pourraient les rejoindre pour s'occuper d'eux. Il y a effectivement des problèmes de délivrance de visas. Nous pouvons trouver des solutions pour ces personnes âgées qui ne vivent pas leur vieillesse comme tous nos concitoyens, pour leur permettre d'avoir enfin une vie de famille. Une épouse s'occuperait mieux d'eux qu'une soignante !
Ces foyers ont joué leur rôle, ont amélioré le quotidien, mais ils ne conviennent pas à des personnes âgées : ceux-ci doivent pouvoir passer ailleurs leurs vieux jours. Les foyers ne sont notamment pas équipés pour gérer la dépendance : on risque de voir se développer des maisons de retraite déguisées, qui pourraient devenir de tristes mouroirs.
Il faut se souvenir que, pour nombre de ces travailleurs, la vie s'est faite sans leur conjoint, sans leurs enfants : ils ont la nostalgie du Maghreb quand ils sont en France, mais la nostalgie de la France quand ils sont là-bas.
Il est donc temps d'agir, par volonté humanitaire et par simple réalisme.